Avec le rachat de SFR par Altice/Numericable, la question des dépenses en FTTH (fibre optique jusqu'au foyer) est sur toutes les lèvres. En effet, le risque est que l'opérateur se contente d'exploiter le réseau FTTLA de Numericable pour déployer le très haut débit. Interrogé par divers confrères et blogueurs lors d'un Hangout organisé il y a quelques jours, Frank Cadoret, le Directeur Exécutif Grand Public et Professionnels de SFR, a tenté d'éclaircir la situation, tout en semant un certain doute.
FTTH vs FTTLA
En matière de très haut débit fixe, la France compte aujourd'hui trois technologies principales. Il y a tout d'abord le FTTH (Fiber to the Home), qui permet des débits descendants (téléchargement) très élevés, mais aussi d'excellents débits montants (upload). Certains particuliers peuvent ainsi diffuser des vidéos en ligne à 200 Mb/s. Orange et SFR représentent la grande majorité des clients FTTH à ce jour. Vient ensuite le FTTLA (Fiber To The Last Amplifier), exclusivement utilisée par Numericable et ses partenaires (Bouygues Telecom), qui permet d'obtenir de bons débits descendants, mais les débits montants restent très faibles - pour le moment tout du moins.
Enfin, il existe le VDSL2, qui permet d'améliorer de façon substantielle les débits, mais uniquement pour les clients placés à moins d'un kilomètre du NRA. Notez aussi que d'ici un an ou deux, une quatrième technologie intermédiaire pourrait faire son apparition en France en matière de très haut débit, à savoir le G.Fast. Bouygues Telecom s'est dit intéressé par cette technologie moins coûteuse que le FTTH. Mais il faudra patienter encore plusieurs trimestres avant d'en avoir la couleur. Même logique pour le FTTDP (Fiber to the Distribution Point).
Aujourd'hui, Numericable domine les débats en matière de très haut débit grâce à son FTTLA aux frais limités, puisque basé partiellement sur son câble, la fibre n'arrivant pas jusqu'au foyer. L'opérateur compte ainsi 1,041 million de clients très haut débit, sans compter 363 000 clients supplémentaires chez son partenaire Bouygues Telecom. SFR, de son côté, est le deuxième opérateur du pays en matière de FTTH, avec 197 000 abonnés, derrière les 319 000 clients fibre d'Orange (données au 31 décembre 2013).
Une question de coût
La problématique est donc la suivante. D'un côté, nous avons le FTTH qui est coûteux à déployer et dont la couverture est encore minime en France, même si cela progresse. De l'autre, Numericable dispose d'un réseau très important dans les villes françaises, avec déjà plus de 5,2 millions de lignes reliées en très haut débit (minimum 30 Mb/s) et cela devrait doubler dans les années à venir. Pour le futur duo SFR/Numericable, miser sur le FTTLA ne serait donc pas insensé, les investissements étant bien plus faibles pour des retours financiers non négligeables.
Il y a plusieurs semaines, avant même que le mariage entre les deux sociétés soit officialisé, Numericable annonçait déjà qu'il comptait proposer du très haut débit à au moins 8,5 millions de foyers d'ici 2016. Un nombre prolongé à 12 millions de logements en 2017 et à 15 millions de foyers en 2020 en cas de fusion avec SFR. Cet objectif de « 12 millions de prises à 200 Mb/s » a été rappelé par Frank Cadoret lors de son entrevue croisée. Mais plusieurs petites phrases sèment le doute quant aux ambitions de l'opérateur en matière de FTTH.
Le câble avant tout ?
Lors des différentes réponses apportées au cours de ces plus de 50 minutes d'entretien, Cadoret a notamment déclaré que l'opérateur « pourra connecter directement (les foyers, ndlr) sans faire tous ces travaux, puisque ça existe déjà, avec les prises de Numericable ». Une façon de dire que là où il y aura le réseau de Numericable, SFR ne posera pas de fibre. Une interprétation confirmée un peu plus tard par la phrase suivante : « On focusse nos investissements, d'abord sur le très haut débit et donc en zone câble ». Il pourrait s'agir d'un simple raccourci de langage, mais la dernière précision laisse craindre un désengagement profond du FTTH.
Un peu plus tard, aux alentours de la 22e minute, Frank Cadoret aborde le cas des zones moyennement denses et de son accord de mutualisation signé avec Orange début 2010 : « En zone moyennement dense, SFR s'est engagé sur à peu près 20 % des 120 communes, et France Télécom 80 %. Ils nous achètent évidemment de la fibre là où nous opérons, et nous on leur achète de la fibre. On a un engagement minimum. (...) Même dans ces zones-là, à supposer que dans ces villes-là, il y a le câble. De toute façon, il n'y a pas 100 % de câble. Donc on peut faire câble et fibre chez Orange. Et c'est ce qu'on fera. On est parti pour respecter notre plan de marche. »
Des propos qui semblent rassurants. Néanmoins, la suite laisse à nouveau planer un doute : « Par contre, évidemment, dans une ville (...) opérée par France Télécom, on doit leur racheter au moins 5 % de fibre. Si on est présent avec le câble, on couvre 50 % des prises de cette ville (par exemple, ndlr), eh bien on achètera que 5 % parce qu'on a déjà 50 %, et au total on aura 55 % de très haut débit dans cette ville. Si à l'inverse, dans une ville Y où il n'y a pas de câble, eh bien (...) peut-être qu'on achètera plus (de 5 %, ndlr). »
Que doit-on penser de tels propos ? En attendant que la fusion soit terminée - cela devrait être le cas fin 2014 ou début 2015 - il sera déjà intéressant de suivre la stratégie de SFR en tant qu'opérateur seul. Une fois mariés, c'est en effet les patrons d'Altice et Numericable qui imprimeront leurs choix stratégiques. Et au regard de la dette du nouveau groupe, investir des milliards d'euros dans la fibre optique pourrait ne pas être une priorité.
Le plan France Très haut débit « n'a jamais exclu le câble »
Notez que d'après Antoine Darodes, directeur de la mission gouvernementale sur le Très haut débit, il existe « un risque sur 182 communes où SFR prévoit de déployer de la fibre jusqu'à l'abonné d'ici à 2020 et qui pourrait bénéficier du câble modernisé ». De quoi bouleverser le plan THD ? Pas forcément, puisque selon Darodes, « la fibre optique jusqu'à l'abonné est au cœur du plan France Très haut débit. Mais c'est un plan pragmatique qui s'appuie sur l'ensemble des technologies : il n'a jamais exclu le câble. »
Rappelons aussi que mi-mars, Patrick Drahi, le patron d'Altice/Numericable, avait déjà annoncé la couleur au sujet du FTTH et de ses accords de co-investissement avec l'opérateur historique. Il a notamment déclaré : « Il va falloir s'asseoir à la table de discussions avec Orange pour en faire plus avec le même argent ». Une phrase qui sonne comme : « en faire autant avec moins d'argent » ou encore « faire du FTTLA au lieu du FTTH ».
Enfin, autre sujet sans rapport aucun, lors de son entretien avec nos confrères et divers blogueurs, Frank Cadoret a abordé brièvement le cas des futures box internet. Après avoir déclaré que « le fixe est vraiment un endroit où il va y avoir énormément d'innovations », le directeur exécutif a lancé une phrase intéressante : « Il y a des révolutions technologiques qui arrivent devant nous : puissance des chipsets, gaming, 4K, l'encodage. » Une remarque claire dès lors que cela liste des points précis, mais vague sachant que ce haut cadre de SFR ne parlait pas spécifiquement de la future box de l'opérateur. Tout au plus a-t-il déclaré que « le meilleur est devant nous ». Dès lors que la concurrence et en particulier Free peaufinent leurs prochains boîtiers, proposer le meilleur produit sera primordial afin de sortir son épingle du jeu.