Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique poursuit sa mission sur les œuvres orphelines. Et pour cause, d'ici la fin de l'année, la France devra transposer comme les autres pays membres une directive sur ce sujet. Au ministère de la Culture, le CSPLA a rédigé un questionnaire interne où il se demande s’il faut ou non prévoir des restrictions d'accès sur ces œuvres. Il soulève aussi la question des oeuvres libres. Next INpact a recueilli les réactions de l'Aful, l'April et SavoirCom1 sur ces deux thèmes.
Le CSPLA s’intéresse à nouveau à la question des œuvres orphelines, ces œuvres dont on ne connaît plus l’origine. Et pour cause : la directive de 2012 sur le sujet doit être transposée en France d’ici la fin de l’année. Le texte tente de régler la situation des bibliothèques, notamment, qui ne peuvent numériser sans risque ces contenus sans père. En effet, si un organisme diffuse ces contenus, il risque une action en contrefaçon en cas de réapparition de l’auteur de l’œuvre.
Dans un questionnaire (malheureusement) interne, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique envisage par une question, la mise en place d’éventuelles mesures de verrouillages qui pourraient être placées sur les œuvres orphelines tombant dans le giron de la directive. « Faut-il imposer des mesures de contrôle d’accès ou de limitation des possibilités de reproduction par l’utilisateur des œuvres mises à disposition du public ? » se demande-t-il.
Autre question posée dans le même temps, « comment traiter le cas particulier de l’utilisation des œuvres déclarées libres par leurs auteurs ? »
Sur ces deux sujets, nous avons glané les réactions de l’AFUL (l’association francophone des utilisateurs de logiciels libres), l’April et SavoirCom1.
Oeuvres orphelines et restrictions d'accès
L’Aful recommande avant tout que « l'exploitation et l'usage des œuvres orphelines doivent pouvoir se faire dans un cadre juridique serein, au bénéfice de l'œuvre et du public dans le respect des volontés de l'auteur. » Or, estime Laurent Seguin, président de l'association, « ce n'est pas le cas lorsqu'aux droits de l'œuvre elle-même, s'ajoutent des droits inhérents aux mesures de protection techniques. Non seulement ces mesures de protection techniques confèrent de facto un monopole de diffusion de l'œuvre aux titulaires des droits des mesures, et dans le cadre d'une œuvre orpheline sans accord de l'auteur de l'œuvre, mais posent également de réelles barrières à l'exploitation. C'est pourquoi l'Aful est opposée aux mesures de protection techniques qu'elles portent sur l'accès, l'usage ou la reproduction des œuvres. »
SavoirCom1 rappelle que « la directive donne à des institutions culturelles la possibilité de mettre en ligne des œuvres orphelines qui ont été reconnues comme telles en ayant été cherchées dans telle ou telle bases de données. Le mécanisme est simple : si ces vérifications échouent, cela établit que l’œuvre est orpheline et l’institution peut la mettre en ligne. Cependant, cela ne donne pas droit à des tiers de les réutiliser. Voilà la question à laquelle nous sommes confrontés ».
Le juriste et bibliothécaire Lionel Maurel (@Calimaq), membre de SavoirCom1, témoigne d’ailleurs qu’en bibliothèque, il existe « des tas de documents d’archives où il est rigoureusement impossible de tracer les titulaires de droits. »
Cependant, tempère-t-il, « si jamais on met des contrôles d’accès, on va diffuser ces éléments dans une sorte d’extranet et ce n’est pas ce que prévoir la directive. La mise en place de ces systèmes ne nous paraît donc pas une bonne solution. Au CSPLA, est envisagé aussi des restrictions à la copie, bloquer le download. Cela ne nous parait pas davantage justifié, car il devrait au moins y avoir la possibilité de faire des copies privées : l’accès à la bibliothèque est au moins une source licite, ni plus ni moins. Il faudra au contraire prévoir des mesures d’informations pour dire que c’est diffusé dans le cadre de ce régime-là et il n’y a pas de réutilisation possible du document, mais il ne peut y avoir pour nous de contrôle d’accès ou de blocage de la reproduction. »
Du côté de l’April, association pour la promotion du libre, la réaction est plus simple : « ces « menottes numériques » qui enferment les utilisateurs et imposent un contrôle de l'usage privé, ils devraient être purement et simplement interdits » prévient Frédéric Couchet, son délégué général.
Le questionnaire interne du CSPLA sur les oeuvres orphelines
Œuvres orphelines et œuvres libres
Pour la seconde question, celle ayant trait au libre, l’Aful considère dans tous les cas que « les œuvres sous licences libres, ou déclarées d'usage gratuit, doivent être protégées au même titre que les autres. La libre diffusion doit absolument être préservée et aucun dispositif légal ou technique ne doit apporter de viscosité aux souhaits de l'auteur. »
Mais que des œuvres orphelines puissent croiser le chemin d’œuvres libres, c’est surtout un non-sens selon SavoirCom1. « La question devient absurde. Si l’œuvre est sous licence libre, même si c’est la plus restrictive des Creative Commons, elle est toujours réutilisable. »
Problème : les vaines recherches menées sur les sources officielles afin de trouver la paternité d’une œuvre pourraient qualifier d’orphelines des œuvres estampillées comme libres à l’origine. « Ça me parait assez compliqué, insiste Lionel Morel. À partir du moment où il y a une licence libre attachée, l’institution culturelle aura toujours la possibilité de la mettre en ligne. Elle n’a pas à faire la procédure de vérification. Je ne vois pas trop comment les deux peuvent s’articuler. Imaginons que la licence CC est bien mise, avec des métadonnées mentionnant le nom de l’auteur… j’aurais tendance à dire que les licences CC, c’est le moyen d’éviter le problème des œuvres orphelines. »
Justement. L’April retient que si « les auteurs ont choisi de diffuser une œuvre sous une licence libre, c’est qu’ils en ont dès le départ explicité les libertés d'exploitation. Associer ça à des œuvres orphelines est un peu étrange. Ceci dit, si cela encourage les auteurs à expliciter dès le départ les libertés d'utilisation de leurs travaux ce sera une bonne chose. »
SavoirComm1, qui sera bientôt auditionné par le CSPLA, recommande cependant d’être « prudent » : « je ne sais pas ce que les autorités françaises ont en tête comme moyen de transposition. Si jamais il devait y avoir un dommage collatéral sur les œuvres libres, évidemment on le dénoncerait, mais en l’état, cela ne paraît pas une question qui se pose. Je ne vois pas trop comment une œuvre libre peut finir à se retrouver orpheline. Après cela pourrait être une photo retrouvée sur Internet avec juste le logo CC en bas, avec le lien vers la licence où on ne sait plus qui est l’auteur… mais est-ce que dans ce cas-là, on ne considère pas que l’œuvre est sous Creative Commons ? »
De ce dispositif, ne risque-t-on pas d’avoir une sorte de mainmise sur toute la bouillabaisse de fichiers sans paternité qu’on trouve sur Internet ? « Le gros risque de cette transposition est que les autorités en profitent pour mettre en place un mécanisme ressemblant à celui existant sur les livres indisponibles, une sorte de système de gestion collective obligatoire. S’il s’agit d’étendre ces mécanismes-là à la photo, aux films, à la musique, etc. – ce que j’ai déjà entendu dire – là effectivement, cela peut finir à englober beaucoup de choses. La vraie question est de savoir si la France va retranscrire la directive sur les œuvres orphelines ou si elle va étendre le mécanisme des œuvres « indisponibles » à d’autres secteurs. La directive le permet : elle s’applique sans préjudice aux systèmes de gestions collectives qui pourraient être mise en place au niveau national. »