Interrogé par Le Figaro en fin de semaine dernière, Martin Bouygues est sorti de sa tanière et a vivement critiqué les méthodes de Vivendi à son égard. Le PDG a de plus indiqué que malgré les postes doublons entre son groupe et SFR, il n'y aurait pas eu de licenciements. Enfin, d'après La Tribune, si Bouygues venait à abandonner son accord de mutualisation avec l'opérateur au carré rouge, cela pourrait lui coûter très cher.
Martin Bouygues
« De futurs partenaires, nous sommes devenus soudainement des gêneurs »
C'est désormais officiel depuis plus d'une semaine et Bouygues n'y peut plus rien : Altice, principal actionnaire de Numericable, rachètera bien SFR à Vivendi. Numericable et Altice ont d'ailleurs déjà commencé diverses manœuvres afin de réunir l'argent nécessaire à cette acquisition importante, ceci en passant par de la dette. Mais pour Martin Bouygues, la pilule a encore du mal à passer. Lors d'une entrevue accordée au Figaro, le milliardaire n'a pas caché une certaine amertume, pour ne pas dire sa frustration d'avoir perdu la bataille.
Pour le grand patron, c'est bien simple, les dirigeants de Vivendi n'ont pas été corrects avec lui et l'ont tout simplement trompé : « Des appels d'offres compliqués, tordus, bizarres, j'en ai vu beaucoup. Mais je n'imaginais pas de telles pratiques dans un tel dossier. » Indiquant que c'est le patron de Vivendi lui-même qui l'a convaincu d'entrer dans la danse dès le début de l'année 2014 alors que Numericable s'intéresse au dossier depuis plusieurs années, Martin Bouygues explique ensuite que Jean-René Fourtou, « pour des raisons qui me sont inconnues, a totalement changé d'attitude un peu avant le dépôt de notre première offre. De futurs partenaires, nous sommes devenus soudainement des gêneurs. Tout a été fait pour ne pas permettre à Bouygues de présenter ses offres et ses arguments au Conseil de surveillance. Les anomalies se sont multipliées. »
Utilisé comme un lièvre afin de pousser Altice à relever ses prix, Bouygues estime ainsi avoir été le dindon de la farce. Une situation peu appréciable, qui pourrait avoir des conséquences sur l'avenir. En effet, alors que les relations entre SFR et Bouygues étaient plutôt bonnes jusqu'à cet épisode, aujourd'hui, ces rapports sont différents. La semaine dernière, nos confrères des Échos indiquaient déjà que le créateur de la Bbox « pourrait sortir de son accord de mutualisation avec SFR afin d’en nouer un nouveau avec Orange ». Une simple rumeur sans élément concret pour le moment, mais qui n'est pas dénué de sens pour autant.
« La confiance est rompue, on se sent trahis »
D'après La Tribune, le futur achat de SFR ne change strictement rien à son accord signé avec Bouygues d'un point de vue contractuel. Les deux opérateurs peuvent toujours mutualiser leurs réseaux 2G, 3G et 4G. La question ne se porte néanmoins pas sur le contrat et l'acquisition par Altice, mais tout simplement sur leurs volontés et nouvelles stratégies. Or si du côté de Numericable/SFR, il n'y a pas de raison de changer de chemin, pour Bouygues, la chanson est différente. « La confiance est rompue, on se sent trahis » a ainsi confié une source proche de l'opérateur à notre confrère. Une source qui indique que d'autres options sont étudiées, notamment avec Orange.
Selon plusieurs sources différentes du côté de Bouygues, la remise en question de cet accord est loin d'être certaine, mais elle reste une possibilité à ne pas écarter. « Ce n'est pas un sujet très chaud, il faut nous laisser souffler. (...) L'analyse qui a conduit à conclure cet accord, la nécessité de mutualiser pour une meilleure couverture et moins de coûts, reste valable. Après, dans le business, il y a un peu de rationalité et un peu d'affect. »
1 milliard d'euros en cas de rupture de contrat ?
Mais Bouygues peut-il briser si facilement un accord négocié avec tant de vigueur ces derniers mois ? Interrogé par ses salariés, Jean-Yves Charlier, le directeur général des activités télécoms de Vivendi, aurait affirmé « que SFR pourrait réclamer 1 milliard d'euros à Bouygues en cas de rupture de l'accord ». Une somme qui reste à confirmer, mais tout indique que la facture sera salée pour le troisième opérateur mobile s'il souhaite abandonner le navire en route. Si l'on ne parlera peut-être pas en milliard, il serait peu surprenant que plusieurs millions d'euros de dédommagement soient demandés.
La mutualisation des réseaux 2G, 3G et 4G entre SFR et Bouygues aura-t-elle bien lieu ?
Outre l'éventuelle perte de confiance entre les deux opérateurs, notez que dans l'entrevue accordée au Figaro, Martin Bouygues a réalisé une déclaration assez surprenante au sujet de l'emploi et des licenciements qui auraient pu avoir lieu suite à la fusion : « En définitive 1400 "doublons" pouvaient éventuellement subsister. Garder ces collaborateurs ne posait pas de difficulté à une entreprise de cette taille avec un tel potentiel de développement. » Des propos étonnants qui indiquent clairement que Bouygues aurait sciemment gardé des emplois « en trop » tout simplement afin de tenir ses engagements sur l'emploi. Il est toutefois plus aisé de faire de telles déclarations dès lors qu'il s'agit d'une fiction.
« Bouygues Telecom peut rester seul car il peut compter sur le groupe Bouygues »
Enfin, concernant le futur de sa filiale télécom, le milliardaire indique qu'il n'y a pas de rapprochement en vue avec un concurrent et notamment Free : « Dans un marché à quatre opérateurs, nous savons que nous devons continuer à diminuer nos coûts et à innover fortement. Bouygues Telecom peut rester seul car il peut compter sur le groupe Bouygues, qui peut lui fournir des moyens importants pour gagner la rude bataille qui s'annonce. »
Reste à savoir si le groupe verra d'un bon œil l'évolution financière de sa filiale. En effet, la société spécialisée dans le BTP et la communication (TF1) n'a d'intérêt dans le télécom que du fait des marges importantes qui y sont réalisées. Des marges qui se réduisent comme peau de chagrin depuis plusieurs années, en particulier depuis l'arrivée de Free Mobile. Or plus le temps avance, et plus la valeur de Bouygues s'amenuise. Située aux alentours de 8 milliards d'euros aujourd'hui, cette valeur pourrait ainsi diminuer fortement du fait des baisses de prix pratiquées par l'opérateur lui-même (notamment dans le fixe) ou encore du fait des pertes de clients voire des nouvelles règles en Europe (itinérance, etc.). Assurément, le groupe doit être en pleine réflexion quant à savoir s'il doit rechercher ou non un repreneur.