En février dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique lançait une mission sur les œuvres orphelines. Il s’agit d’œuvres dont on ne connaît plus l’auteur. Problème, fin 2014, les États européens devront transférer dans leur droit une directive sur ce sujet. À ce titre, le CSPLA vient d’adresser un questionnaire interne où il se demande notamment s’il serait judicieux de mettre des mesures techniques de protection sur les œuvres déclarées comme orphelines.
La commission européenne avait posé la problématique en 2012 : faute de disposition d’encadrement, « les œuvres orphelines contenues dans les collections des bibliothèques européennes pourraient rester inexploitées si aucun cadre juridique n’est créé pour rendre leur numérisation et leur affichage en ligne possible légalement ». Or, si une bibliothèque numérise le contenu, le met en ligne et que le créateur réapparait, elle risque de se retrouver accusée de contrefaçon.
Le mécanisme de la directive de 2012 (PDF) est simple, sur le papier : il considère comme orphelines, les œuvres dont l’auteur n’a pu être identifié malgré « une recherche diligente des titulaires de droits » auprès des « sources appropriées », sources définies par chaque État membre. Ces recherches sont alors concentrées dans une base de données européenne pour éviter des efforts inutiles dans d’autres pays européens. Ceux qui profiteront des œuvres orphelines « devraient être autorisés à percevoir des recettes de l'utilisation qu'ils en font » dit la directive. Elle voudrait aussi que le fruit de cette exploitation commerciale puisse abonder un compte dédié à la numérisation. Le texte prévoit enfin que si l’auteur réapparait, il aurait droit à une « compensation équitable. »
Un questionnaire Rue de Valois pour préparer la transposition
Le dossier avance en France. Selon nos informations, le CSPLA vient d’adresser un questionnaire aux membres du CSPLA « et aux autres personnes intéressées », afin de recueillir leurs contributions (préoccupations, souhaits, propositions). Les réponses sont attendues avant le 12 mai via l’adresse cspla@culture.gouv.fr
Le Conseil demande par exemple si « une œuvre peut être considérée comme orpheline au sens de la directive en l’absence de titulaire sur les droits numériques ? » ou encore quelle serait la volumétrie et la typologie des œuvres concernées. Il est aussi question de déterminer l’application dans le temps de cette directive et de son articulation avec le régime des livres indisponibles.
Autre interrogation, la notion même de « recherches diligentes », critère qui doit être défini par chaque État membre, comme souligné plus haut. Il est spécialement demandé s’il y a « lieu de prévoir un contrôle autre que celui du juge sur le caractère diligent des recherches ? »
De même, que se passera-t-il concrètement si l’auteur réapparait ? Auprès de qui devra-t-il se manifester « pour faire sortir une œuvre de l’orphelinat ? », « Quelles doivent être les conséquences de cette manifestation sur les exploitations en cours ? ». Des problèmes complexes. De même, puisque la directive prévoit que celui-ci a droit à une « compensation équitable », il faudra aussi « déterminer les modalités de calcul et de versement de la compensation équitable ». Le CSPLA vise aussi les utilisations possibles des œuvres déclarées orphelines, sans oublier d’évoquer la question des frais de numérisation.
Le libre, DRM et les oeuvres orphelines
Une question, toute simple, pose une problématique bien lourde : « comment traiter l’utilisation des œuvres déclarées libres par leurs auteurs ? ». Pourquoi ? Le sujet des œuvres orphelines avait déjà provoqué la colère de l’univers du libre lorsqu’il avait été évoqué en France, à l’occasion d’une proposition de loi avortée.
Pour l’Aful, la FFII et l’Adullact, ce mouvement traduit l'objectif « de se débarrasser de divers concurrents qui sont apparus avec l'économie numérique ». Et pour cause, « on ne peut, pour l'heure, empêcher les auteurs de donner leurs oeuvres gratuitement. Mais comme ils ont alors tendance à ne plus s'en occuper, elles deviennent orphelines et il faut en profiter pour les contrôler et casser le cancer de la gratuité ».
Les inquiétudes et colères du libre devraient être plus bruyantes encore quand on sait que le CSPLA demande dans son questionnaire s’il ne faudrait pas « imposer des mesures de contrôle d’accès ou de limitation des possibilités de reproduction par l’utilisateur des œuvres mises à disposition du public ». En clair, la Rue de Valois dessine l’hypothèse de limiter les reproductions de ces contenus orphelins, mis à disposition du public, avec des verrous technologiques, même si ceux-ci n'avaient pas été envisagés initialement par les créateurs désormais introuvables.