La CJUE interdit de gonfler la « taxe » copie privée avec les sources illicites

Quels effets en France ?

La Cour de justice vient de décider ce matin (PDF) que la redevance pour copie privée ne peut en aucun cas indemniser les copies illicites. L’affaire avait été soulevée aux Pays-Bas, mais cet arrêt vaut pour tous les pays européens. L'occasion de replacer les pratiques menées en France durant des années sur cette « taxe » (terme impropre, puisqu'il s'agit d'une indemnisation).

copie privée

 

Lorsqu’ils déterminent les taux de ponction, les ayants droit effectuent des études d’usages afin d’évaluer les pratiques. Plus elles sont importantes, plus les taux et donc les fruits de la redevance grimpent en flèche.

 

Des importateurs et fabricants (ACI Adam e.a.) avaient attaqué deux organisations d’ayants droit (la Stichting de Thuiskopie et la SONT) devant la justice hollandaise. Ils faisaient valoir que les montants de copie privée que celles-ci fixent ne peuvent en aucun cas venir combler les dommages résultant des copies de source illégale. En clair, les études d’usages doivent ignorer les copies illicites.

 

Pourquoi un tel débat ? Simple : l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, qui fonde la redevance pour copie privée en Europe, ne fait aucune distinction suivant la source des reproductions. Peut-on du coup, comme le soutient une partie des ayants droit, compenser le piratage par la redevance pour copie privée ?

La copie privée ne répare pas les copies illicites

La Stichting de Thuiskopie tout comme les gouvernements néerlandais et autrichien ont fait valoir devant la CJUE que cette disposition serait, faute de mieux, le seul moyen de réparer le préjudice subi par les titulaires de droits.

 

Mais pour l’avocat général, c’est niet : « l’exception de copie privée n’a pas été instituée dans un tel objectif et il est exclu qu’elle puisse l’être, sauf à remettre en cause les fondements mêmes sur lesquels elle repose. » Il faut dire qu’en Hollande, existe une tolérance sur le téléchargement descendant (downloading) alors que son droit ne réprime que la mise en ligne («uploading» ou téléchargement ascendant).

 

L’analyse a été suivie aujourd’hui par la Cour de Luxembourg : on ne mélange pas copie privée et source illicite, il n’est pas possible « pour les États membres d’élargir la portée de telles exceptions ou limitations ». La Cour insiste : elle ne peut accepter de législation qui mélange ainsi les torchons et les serviettes. « Admettre que de telles reproductions puissent être réalisées à partir d’une source illicite encouragerait la circulation des œuvres contrefaites ou piratées, diminuant ainsi nécessairement le volume des ventes ou d’autres transactions légales relatives aux œuvres protégées, de sorte qu’il serait porté atteinte à l’exploitation normale de celles-ci ». Ainsi, en butinant de la redevance calculée à partir de sources illicites, les ayants droit ont encouragé par la même occasion le téléchargement illicite. Ce qui n'est pas très beau.

 

Pire : « si les États membres disposaient de la faculté d’adopter ou non une législation qui permet que des reproductions pour un usage privé soient également réalisées à partir d’une source illicite, il en résulterait, de toute évidence, une atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur ».Ce qui est très sale.

 

Les ayants droit faisaient valoir qu’il n’existe aucune mesure technique applicable pour combattre la réalisation de copies privées illicites. Mais l’argument ne pèse rien pour la CJUE : il « n’est pas de nature à remettre en cause cette constatation ». Bref, si les ayants droit veulent agir contre les copies illicites, ils n’ont qu’à le faire devant les juges, avec leurs deniers, mais sûrement pas en maximisant les entrées d’argent au titre de la copie privée, les mains dans les poches.

Des consommateurs qui payent trop

Mais que se passe-t-il si on mélange copie privée et source illicite ? La réponse de la CJUE est éclairante : tous ceux qui achètent des équipements, appareils ou supports sont « indirectement pénalisés » puisqu’ils contribueraient « nécessairement à la compensation pour le préjudice causé par des reproductions pour un usage privé à partir d’une source illicite qui ne sont pas autorisées par la directive 2001/29 et sont ainsi conduits à assumer un coût supplémentaire non négligeable pour pouvoir réaliser les copies privées couvertes par l’exception prévue par son article 5, paragraphe 2, sous b). »

 

Décodons : quand les ayants droit compensent par la copie privée les copies de sources illicites, cela augmente mécaniquement les prix des supports et équipements à mémoires vierges. C’est donc finalement la communauté des consommateurs qui est appelée à dédommager les ayants droit pour des copies interdites effectuées par quelques-uns.

 

Au passage, la CJUE pose aussi que « les États membres qui décident d’instaurer l’exception de copie privée dans leur droit interne sont tenus de prévoir le versement d’une «compensation équitable» au bénéfice des titulaires des droits ». En résumé, pas de copie privée licite, si pas de redevance. Pas de redevance, si pas de copie privée licite.

Quels effets en France ?

La loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée a expressément indiqué que seules les copies privées de sources licites devaient être compensées par cette redevance. En pratique cela signifie que dans les études d’usages que payent les ayants droit, ceux-ci ne peuvent sonder que les pratiques des bons consommateurs, non celles des vils pirates. La décision de la CJUE ne change donc rien au cas français.

 

Avec un bémol cependant.

 

Depuis la nuit des temps et jusqu’à décembre 2008, les ayants droit français tenaient effectivement comptes des sources illicites pour faire grimper les perceptions de la copie privée. Leurs études d’usage ne faisaient ainsi pas de discriminations entre copies illicites et copies licites. À titre d’aveu, il faut relire les comptes rendus du 16 janvier 2007 de la Commission copie privée, et spécialement les propos de la SACEM qui évoquait cette confortable situation.

 

Commission copie privée compte rendu 2007

 

 

Alors que seuls 3% des capacités de l’iPod étaient utilisées pour des copies licites, c’est finalement la majorité du disque dur de ce lecteur qui était frappé. La faute à ces satanées copies illicites : « pour les iPod (…)on sait très bien que moins de 3 % des contenus qui y sont copiés provient d’une source licite. Nous n’aurions évidemment pas fixé les rémunérations telles que celles que nous avons fixées si on avait exclu ce qui est copié sur les iPod en provenance du Peer to Peer ».

 

Et citons encore cet extrait, du même jour :

 

Commission copie privée compte rendu 2007

 

Ce n’est qu’après un grondement du Conseil d’État du 11 juillet 2008 que les pendules commencèrent à être remises à l’heure (voir à ce titre la note de l’avocat Cyril Chabert).

 

Cependant, l’opération consacrée par la loi de 2011 s’est faite sur un coin de table : les ayants droit ont certes gommé les sources illicites des études d’usage, mais ils tiennent désormais compte du critère de la compression (plus on compresse, plus on « copieprive » des données). Et comme par magie, ce remplacement des deux variables a généré des taux de perception… inchangés (les explications de la SACEM). Une mesure qui traduit à elle seule du sérieux de ces travaux.

Les regrets de la Quadrature du net

On indiquera au passage que la Quadrature du net avait regretté le découplage entre copie privée et source illicite imposé finalement par la loi de 2011.

 

Et pour cause, le critère de la licéité de la source va imposer en pratique à ce que « chacun, pour faire une copie en vue d'un usage privé, se livre à une analyse juridique basée sur des éléments la plupart du temps impossibles à déterminer. La source utilisée pour réaliser l'acte de copie privée était-elle licite ? S'il s'agit d'une diffusion sur Internet, qui l'a mise en ligne ? Cette personne avait-elle une autorisation de l'auteur ? etc. Autant de questions qui n'auront jamais de réponse en pratique, et qui rendront par défaut la copie illicite ».

 

Et Jérémie Zimmermann de dénoncer qu’« au nom de la rémunération pour copie privée, on veut nous priver de copie ! Une telle négation des droits du public est cohérente avec la politique menée au cours de ces dernières années pour transformer le droit d'auteur en un droit de répression des pratiques culturelles, à la solde des lobbies industriels. »

Quid des prélèvements effectués en trop ?

Qu'on partage ou non l'analyse de la Quadrature, plusieurs questions restent en souffrance dans les pays qui ont mélangé ainsi copie privée et sources illicites : est-ce que les ayants droit rembourseront les sommes prélevées en trop, car appuyées pendant des années sur des sources illicites ? À qui rembourseront-ils ?

 

Plus grave : est-ce que le fait de prélever des sommes à partir d’une source que l'on sait illicite est ou non un recel, pénalement sanctionné ? Dans le passé un avocat nous citait cet exemple imagé : « imaginons un salon de massage qui fait des prestations annexes de prostitution et qui voit sa rue barrée et sa clientèle désaffectée. Il fait un recours administratif et demande l’indemnisation d’un revenu licite – les massages – et celui consécutif à la perte de clientèle pour les activités de prostitution organisée. Seul le préjudice licite est indemnisable ! »

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