Sitôt la victoire d'Altice/Numericable sur SFR aux dépens du groupe Bouygues, les rumeurs de vente de sa filiale télécom n'ont pas tardé à ressurgir. Il faut dire qu'elles ne datent pas d'hier et qu'être l'éternel troisième opérateur du pays (voire le quatrième) n'enchanterait guère le groupe de BTP. D'après Le Parisien, des négociations avec Free seraient en cours. Les sommes en jeu pourraient toutefois être trop élevées pour ce dernier.
Racheter Bouygues, c'est croquer ses réseaux 2G, 3G mais aussi 4G
Huit milliards d'euros dans la balance
Depuis au moins huit ans, les rumeurs de vente de la filiale télécom du groupe Bouygues font le tour de la presse. Toujours en décalage et en retard avec Orange et SFR, l'opérateur n'a jamais réussi à rattraper ces derniers. Éternel troisième dans le mobile et même désormais quatrième si l'on rajoute les clients fixes, Bouygues n'avait d'intérêt jusque-là dans sa branche que du fait des marges très importantes qui y étaient réalisées. La situation a cependant changé et une vente semble aujourd'hui plus crédible qu'hier.
D'après Le Parisien, Olivier Roussat et Maxime Lombardini, les patrons respectifs de Bouygues Telecom et Free, seraient déjà en discussion, avec la banque Rothschild en arbitre. Mais si le premier aurait volontiers cédé une grande partie de ses antennes et de ses fréquences au second pour la somme de 1,8 milliard d'euros, la totalité de ses actifs et ses nombreux abonnés (11,143 millions de clients mobiles et 2,013 millions dans le fixe) valent bien entendu bien plus.
Aujourd'hui, la société, dans sa globalité, vaut un peu plus de 9,4 milliards d'euros en bourse. Cela comprend Bouygues Telecom, mais aussi et surtout ses activités de BTP (TF1 est coté en bourse à part). Au regard de la valeur de vente de SFR, le groupe ne peut évidemment pas revendiquer une somme équivalente, dès lors qu'il compte bien moins de clients fixes et mobiles, pour des infrastructures moins développées qui plus est. Quelle est donc la valeur réelle de l'opérateur dans les conditions actuelles ? Le créateur de la Bbox l'estimerait à 8 milliards d'euros selon nos confrères. Free, lui, serait prêt à aller jusqu'à 5 milliards d'euros, mais pas au-delà.
Il s'agit bien évidemment de simples rumeurs qui n'ont en aucun cas été confirmées. Bouygues n'a d'ailleurs pas souhaité commenter cette information, et Free la dément même en indiquant qu'il préfère poursuivre sa route en solo. Mais lorsque de telles négociations ont lieu, les jeux de poker menteur sont monnaie courante et un démenti ne signifie pas grand-chose.
Pour Iliad, racheter Bouygues Telecom à un bon prix sans arriver à l'endettement d'Altice ou d'Orange serait bien entendu une affaire en or. Cela lui permettrait de retrouver sa deuxième place dans le fixe tout en rattrapant Orange. Et surtout, dans le mobile, celui lui permettrait d'obtenir des réseaux 2G et 3G couvrant près de 100 % de la population mettant ainsi fin à son accord d'itinérance avec Orange, avec, cerise sur le gâteau, un réseau 4G déjà très étendu. Et qui plus est, le gouvernement n'a jamais caché qu'il n'était pas opposé à un retour à trois opérateurs.
Telefonica et Orange dans la danse
Mais si Free venait à manquer de liquidité ou à ne pas vouloir s'endetter plus qu'il n'en faut, cela ne signifie pas pour autant que le groupe Bouygues ne disposera pas d'autres options. Il pourrait aussi tenter de séduire de grands opérateurs télécoms étrangers. Le Parisien explique notamment que Telefonica a été contacté en ce sens, même si le but serait tout simplement de faire monter les enchères. Bien d'autres grands noms pourraient toutefois être cités, qu'ils soient européens, asiatiques, américains, etc.
Mais outre un rachat, Bouygues pourrait aussi se rapprocher d'Orange via un accord de mutualisation des réseaux comme l'expliquent nos confrères des Échos. Ce qui signifierait alors la fin de son accord similaire signé avec SFR. Néanmoins, une telle démarche risquerait de sérieusement fragiliser et esseuler Free.
Une rumeur loin d'être nouvelle
Toutes ces informations pourraient cependant être de simples rumeurs qui s'accumuleraient à bien d'autres dans le passé. En effet, depuis au moins 2006, certains prêtent au groupe Bouygues l'intention de céder sa branche télécom. Il y a près de huit ans, dans une note adressée à ses clients, la société Exane BNP Paribas indiquait par exemple que « la perception de Bouygues Telecom par la direction a changé. (...) L'entreprise a dit qu'elle envisagerait de vendre Bouygues Telecom pour financer l'acquisition (d'Areva). (...) La direction sur Bouygues Telecom (...) considérait jusque-là son activité mobile comme un actif stratégique. Cela a changé, selon nous. » Des propos qui semblent non pas sortir de 2006, mais de 2014, tant la logique semble d'actualité.
En 2007, bis repetita. Toujours en rapport avec une possible acquisition d'Areva, une vente de Bouygues Telecom a de nouveau ressurgi, forçant le groupe à démentir l'information encore et toujours. On notera tout de même qu'à cette époque, Vincent Griffon, analyste du CM CIC, indiquait déjà que « l'intérêt exprimé par KPN peut laisser penser que l'actif (Bouygues Telecom) pourrait susciter un intérêt sérieux de davantage d'acteurs qu'anticipé. Nous pensons toujours que Vodafone, Telefonica et Deutsche Telekom devraient faire partie des autres acteurs intéressés par Bouygues Telecom, que nous valorisons à 8 milliards d'euros. » Soit précisément la même somme avancée par les sources du Parisien aujourd'hui.
Martin Bouygues n'a jamais caché son « amour » pour Free
Bien entendu, lors des années suivantes, les rumeurs ne se sont pas éteintes, même si l'idée d'un rachat d'Areva ne semble plus d'actualité. L'an passé, nos confrères chez Marianne indiquaient que Xavier Niel (Free) avait déjà approché Martin Bouygues en vue d'une acquisition, ceci dès l'année 2012. Ce à quoi le patron de l'entreprise de BTP aurait répondu qu'il préfèrerait crever plutôt que de céder sa branche à Free. Une remarque qui n'a rien d'officielle, mais qui prouve qu'un mariage entre Iliad et Bouygues Telecom n'est pas une folie.
En février dernier, BFM Business relançait d'ailleurs l'idée d'une vente de la filiale, pourquoi pas à Free. Deux principaux arguments étaient mis en avant : Bouygues a abattu toutes ses cartes (4G, etc.) et les finances de la branche télécom sont loin d'être fabuleuses aujourd'hui. Les analystes d'Exane BNP Paribas estiment ainsi que « le futur de Bouygues Telecom au sein du groupe Bouygues dépend de sa capacité à retrouver un bon niveau de génération de cash. En 2012, Martin Bouygues avait dit que Bouygues Telecom devait revenir à son niveau historique de plus de 300 millions d'euros de cash-flow par an. Or le cash généré demeure minime: il devrait être légèrement négatif en 2013, et encore nul en 2014. »
Une logique partagée par le cabinet Oddo : « Martin Bouygues fait le constat que Bouygues Télécom pourrait avoir bien du mal à redresser sa rentabilité, et donc que le cash-flow normatif de Bouygues Télécom pourrait avoir du mal à retrouver un niveau décent, à même de convaincre Martin Bouygues de conserver cet actif. Martin Bouygues devrait donc clairement se poser la question de la pérennité de la présence des télécoms dans le giron du groupe. »
Dans de telles conditions, une cession serait donc logique. Après tout, si Vivendi a souhaité vendre SFR, c'était une question stratégique, mais aussi financière, le but étant de dépenser les milliards gagnés en dividendes, en remboursement de dettes et en acquisitions dans d'autres secteurs. Bouygues pourrait en faire de même de son côté en offrant sa branche. Mais cela ne sera pas forcément à Free. Même si ce dernier est encore peu endetté, il n'est pas certain qu'une dépense de 8 milliards d'euros soit dans ses plans.