La reconduction d’Aurélie Filippetti devrait huiler quelque peu les prochains rendez-vous attendus Rue de Valois. Mais la locataire du ministère de la Culture devra composer aussi avec un environnement qui n’est pas nécessairement au beau fixe.
L’une des toutes prochaines étapes Rue de Valois sera la remise du rapport de Mireille Imbert Quaretta. Ce rapport censé proposer à la ministre de la Culture les pistes pour lutter contre la contrefaçon en ligne est attendu de pied ferme par les ayants droit. Et pour cause, l’enjeu sera notamment de trouver des solutions rapides, peu onéreuses et si possible plus discrètes qu’un jugement, afin de supprimer des écrans les sites de streaming ou de direct download considérés comme illicites.
L’autre rendez-vous attendu est le projet de loi sur la création. Il doit étendre les pouvoirs du CSA sur Internet en sus de la riposte graduée, comme les fuites le confirment un peu plus chaque jour. Selon les Échos, Aurélie Filippetti devrait présenter son bébé en Conseil des ministres en juin. Cette date sera en réalité presque impossible à tenir en raison d’un calendrier chargé. Il vaudrait mieux du coup compter sur le mois de septembre, au mieux. Et encore, il ne s’agira là que de la première étape avant la fournaise parlementaire. En comptant la publication des décrets d’application, le texte serait plutôt attendu dans son effectivité en 2015.
Les Verts
Que ce soit en juin ou en septembre, Aurélie Filippetti devra composer avec un environnement peu favorable. Les Verts, dont une partie fulmine de ne pas avoir pu entrer dans le gouvernement Valls, pourraient se montrer plus aguerris encore que dans le passé. Isabelle Attard, députée de la cinquième circonscription du Calvados, désormais aux couleurs de Nouvelle Donne mais toujours députée EELV sera elle aussi sur les barricades.
« Les Verts voteront contre le projet » anticipe-t-elle déjà. La députée s’était elle-même montrée très opposée au dispositif lors de débats en Commission des affaires culturelles en juin dernier. Elle dénonçait par exemple des cas d’usurpation d’adresses IP « encore plus simples que l’usurpation de plaque d’immatriculation », une manœuvre qui n'est « ni contrôlée, ni sanctionnée. Dans ces conditions, il nous paraît incroyable d’oser proposer une reconduction des missions de la HADOPI, sous quelque forme que ce soit. »
L’UMP et le Sénat
Autre contrainte, de taille, la claque aux municipales du PS a profité avant tout à l’UMP. Or, le récent épisode malheureux pour la majorité va jouer par ricochet au Sénat puisque les sénateurs sont principalement élus par des conseillers municipaux. « D'après nos calculs, le Sénat devrait repasser à droite en septembre, vu le nombre de villes de plus de 9000 habitants, pourvoyeuses de Grands Électeurs, qui ont basculé dans notre camp » expliquait voilà peu Jérôme Lavrilleux, directeur de cabinet du président de l'UMP Jean-François Copé. Certes l’UMP a assuré la gestation et l’accouchement de la réponse graduée, mais il n’est pas certain que le groupe fasse de généreux cadeaux à l’actuelle locataire de la Rue de Valois. Il suffit de se souvenir des multiples débats qui ont opposé Aurélie Filippetti avec Franck Riester, celui-ci étant plutôt favorable à un maintien de la Hadopi. Dans le passé il se demandait spécialement pourquoi changer un système qui fait ses preuves ?
« C’est l’intérêt de tout le monde de ne pas partir sur des positions trop figées » tempère aujourd’hui Franck Riester, « attendons de voir ce qu’il y a dans le texte ». Cependant le député UMP de Seine-et-Marne nous indique qu’« un passage au Parlement serait en effet à haut risque actuellement compte tenu des forces en présence ». Celui-ci « ne voit toujours pas très bien l’intérêt d’un tel transfert alors qu’on peut toujours améliorer le dispositif en l’état » qui tourne désormais à plein régime rue de Texel.
Riester, qui est encore membre du collège de la Hadopi, en profite d’ailleurs pour saluer « la volonté au sein de la Hadopi et du collège et des services de ne pas rester uniquement sur les postulats de base, mais de vraiment assumer les missions d’observation de l’environnement internet de façon la plus objective qui soit. »
Les divisions internes au PS
Aurélie Filippetti pourra souffler : même si le Sénat tombe dans les mains de l’UMP, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot dans la procédure parlementaire. En outre, les Verts sont minoritaires. Cependant, le PS devra aussi jouer avec ses divisions internes, puisque des députés n’ont pas oublié les combats de 2009.
En tête de cortège, Christian Paul et Patrick Bloche, par ailleurs président de la Commission de la Culture à l’Assemblée. Autrefois alliés à Aurélie Filippetti contre le texte, ceux-ci devraient accueillir avec un jet d’acide le projet de loi. Fin 2013, Christian Paul nous avait fait part de son « immense scepticisme » à l’idée d’un transfert des pouvoirs de la Hadopi au CSA.
Florence Gastaud (L'arp) et Patrick Bloche
Contacté hier, le député Patrick Bloche remarque que certes « Aurélie Filippetti est toujours Rue de Valois, mais je pense qu’un changement n’aurait pas modifié la position du ministère ». Le député scrute désormais les choix politiques de Manuel Valls, lequel avait par le passé marqué son opposition à Hadopi (voir aussi cet appel du PS) « Qui dit nouveau gouvernement peut dire nouvelles orientations. Attendons l’adoption du texte en Conseil des ministres. Nous travaillons sur des avant-projets de loi qui indiquent une direction qu’on connait par cœur avec le transfert de la Commission de protection des droits vers le CSA. À dire vrai, je ne sais quelle est l’opinion de Manuel Valls, s’il aura la même position que Jean-Marc Ayrault ou s’il voudra peser sur ce dossier plus que l’ancien premier ministre. »
Dans le fond, ses positions sont inchangées : « mes positions vous les connaissez : je considère que pour réguler internet, il faut une bonne loi et de bons juges, non une autre autorité indépendante. » Le président de la Commission des affaires culturelles considère que l’attention doit davantage se porter sur les sites de streaming et de direct download, qui puisent des revenus sans distribuer aux créateurs, mais pas davantage. « Laissons les internautes de côté » implore-t-il.