Le CSA, future autorité morale des logiciels de contrôle parental

Vois-ci, ne vois pas ça

Comment la régulation du CSA va-t-elle tout doucement s’immiscer dans notre quotidien connecté ? Le mécanisme en gestation Rue de Valois révélé par BFM voilà quelques jours est sournois. Le CSA va se voir en effet confier les clefs des logiciels de contrôle parental. C’est ce qui ressort d’une esquisse de projet de loi que nous avons pu consulter à notre tour. Retour sur ce thème épineux.

aurélie filippetti

 

Dans un extrait du texte que nous avons pu lire, Aurélie Filippetti compte ajouter un nouvel article à la loi de 1986 sur la liberté de communication, juste après l’article 15. À ce jour, cet article prévoit que « le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à la protection de l'enfance et de l'adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle. »

 

Cet article est important puisqu’avec lui, le Conseil doit aussi veiller à ce que « les programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient pas mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle », sauf à des heures appropriées (de nuit) ou via un accès verrouillé (contrôle d’accès), histoire d’éviter que les mineurs ne tombent dessus. Ces programmes doivent en outre être précédés d’un avertissement au public, avec un symbole bien visible sur leur dangerosité supposée. Outre cela, le CSA vérifie ce que les programmes « ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ». Bref, cette loi fondatrice de 86 fait du CSA le gendarme des contenus audiovisuels.

Des listes blanches, des FAI aux ordres 

Dans l'ébauche de la future loi Filippetti, qui doit consacrer le basculement de la riposte graduée de la Hadopi au CSA, cet article 15-1 devrait être ajouté au texte de 86  « le CSA peut définir les conditions d’identification des services respectant les dispositions du premier alinéa  [la protection de l’enfance, etc.], qui doit être prise en compte par les moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner, prévus à l’article 6 de la LCEN ».

 

Les premières lignes (condition d’identification des services) ne sont pas d’une limpidité biblique. Mais en clair, on comprend que le CSA va pouvoir dresser la liste blanche des sites respectant les contraintes liées la protection de l'enfance, la non violence, etc.

 

À quoi servira cette liste ? Pour le comprendre, soulignons que l’article 15-1 se connecte directement à l’article 6 I 1 de la loi sur la Confiance dans l’économie numérique. Cet autre article dispose que les intermédiaires «informent leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens ». C’est suite à cette disposition que les FAI sont tenus de proposer un système de contrôle parental.

 

C’est en d’autres termes, un système de listes blanches (sites labellisés, conventionnés) qui se dessine et que les FAI devront docilement respecter.

L'argument de la protection de l'enfance

Ce contrôle parental n’est pas aujourd’hui activé par défaut et l’ébauche de projet de loi n’impose pas une telle activation, du moins sur l’extrait que nous avons pu lire. Dans un tel contexte, la mesure pourra facilement être affichée comme indolore par la ministre de la Culture. Plutôt qu’un gendarme du net, le CSA sera présenté sous les habits d’une autorité indépendante qui vient offrir son aide gracieusement aux parents désœuvrés.

 

« Nous n’avons pas de commentaire à faire car il n’y a pas de projet de loi encore sur la table » nous glisse le CSA, appelé afin de commenter ce mécanisme. En attendant, cette consécration tentaculaire répond aux vœux qu’il a exprimés de longue date.

 

Son ancien président, Michel Boyon, expliquait ainsi en avril 2012 qu’« on ne pourra pas indéfiniment faire coexister un secteur régulé, celui de l’audiovisuel, et un secteur non régulé, celui d’Internet. Le téléviseur connecté à Internet (…) est surtout une menace pour l’équilibre économique des chaînes. Si de grandes sociétés américaines se mettent à diffuser directement leurs films ou leurs fictions sans passer par les chaînes françaises, cela signifiera moins de ressources publicitaires pour celles-ci et donc moins de financement pour la production des œuvres. Comment s’assurer, par ailleurs, du respect de la protection de l’enfance ou des consommateurs ? »

 

En janvier 2013, soit avant la publication du rapport Lescure qui prône plutôt l’instauration de charte et de conventionnement qu’on retrouve aussi dans le projet Filippetti, le CSA enfonçait davantage le clou avec une série de propositions, chiffres à l’appui.

 

Il secouait un baromètre réalisé par BVA qui « montre que 74 % des personnes interrogées jugent important ou très important de veiller à la protection de l’enfance pour les contenus vidéo disponibles sur internet. Afin de répondre à cette préoccupation, les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel pourraient être étendues selon des modalités adaptées aux spécificités d’internet, à l’ensemble des contenus audiovisuels mis en ligne sur les sites internet, dans le cadre d’une corégulation. Celle-ci serait fondée sur l’autorégulation des éditeurs de sites, en partenariat avec les autres acteurs concernés, notamment les associations familiales ».

 

Sur la question de la protection des mineurs, le même CSA reconnaît sur son site ne pas être « compétent sur l’ensemble des contenus diffusés sur internet » mais il avoue prêter « une grande attention à la protection des enfants et des adolescents sur ce média ». Et l’autorité indépendante de lister « la possibilité de rencontre avec des inconnus sur des forums ou des chats, confrontation du mineur internaute à des contenus illégaux (pédophiles, racistes, etc.) ou à des contenus réservés aux adultes (pornographiques ou violents) et susceptibles de le choquer, dévoilement des données personnelles (nom, adresse, téléphone) par des mineurs à l’insu de leurs parents sur des forums ou sur des sites, non-respect du droit de la presse (diffamation, injure, incitation à la haine, etc.) ou du droit à l’image (utilisation d’images de mineurs sans l’autorisation des parents) dans les blogs tenus par des mineurs engageant leur responsabilité et celle de ses parents, téléchargement illégal de fichiers, harcèlement en ligne etc. »

 

Avec la remise des clefs des logiciels de contrôles parentaux dans les mains du CSA, Aurélie Filippetti tente ainsi de répondre à ces vœux de manière très généreuse. Et l’analyse confirme quelque peu les craintes de Philippe Aigrain.

Télévisionniser Internet

Le cofondateur de la Quadrature du net soutenait voilà quelques mois que « la transformation d’une autorité de l’audiovisuel (entendre la télévision et la radio) en « autorité de l’internet et de l’audiovisuel » constituerait un véritable saccage d’un bien commun précieux. C’est bien pour cela qu’elle est désirée conjointement par des groupes d’intérêts des industries de la rareté et par les politiques qui ont besoin de contrôler l’espace public au moins avant quelques élections clés. »

 

Or, pour l’intéressé, Internet est tout sauf la télévision : « l’informatique, internet et les pratiques numériques des individus permettent à tout un chacun de produire et traiter de l’information, de l’échanger, de la diffuser, de communiquer entre eux à travers elle, de coordonner leurs actions à des échelles qui étaient autrefois réservées aux grandes organisations de l’État et des entreprises ». Et l’auteur de Sharing de considérer que « télévisionniser l’internet, espace de l’abondance (des sources, des contenus, des interactions) en le plaçant sous la tutelle d’une autorité administrative dont la nature est précisément de gérer l’allocation de la rareté (le spectre des fréquences, NDLR), constitue une violence symbolique majeure. »

Au-delà du spectre traditionnel du CSA

Violence majeure ? Dans les couloirs de la Rue de Valois et du CSA, on répondra que cette une mainmise de cette autorité va en réalité s’abattre en douceur sur les réseaux. Cependant, « la question philosophique est aussi de savoir si c’est au CSA de contrôler ces outils » nous commente un juriste. Et pour cause : « les outils de contrôle parental dépassent allègrement son spectre traditionnel ! Ces logiciels s’appliquent en effet aux vidéos mais aussi aux textes ». Autre chose, la compétence de ces systèmes de contrôle parentaux n’est pas seulement française, mais mondiale. Le filtrage s’attaque en effet aux contenus qu’ils soient distillés depuis la banlieue de Melun ou des contrées très lointaines.

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