Fin 2012, le forum de l’association Lesarnaques.com avait provoqué la colère de l’entreprise Le Partenaire Européen, une société d’annonces immobilières. Des messages dénonçaient les pratiques supposées de l’entreprise qui avait du coup réclamé vainement la suppression de ces contenus non modérés. Finalement l'association et le directeur de la publication avaient été condamnés sur le fondement d'un article de la loi Hadopi.
« Il faut se rendre à l'évidence : on a payé pour rien », « Comme beaucoup d'internautes, j'ai l'impression de m'être fait arnaquer (...). Le démarcheur m'a fait signer un document de crédit Sofinco avec des mensualités sans intérêt (étrange) et a encaissé la modique somme de 2 650 euros » etc. En tout une vingtaine de messages d'internautes en colère contre Le Partenaire Européen fut considérée comme autant d’abus à la liberté d’expression par la Cour d’appel de Montpellier.
En novembre 2012, celle-ci avait, contrairement au TGI de Montpellier, estimé ces propos diffamatoires et condamné le forum associatif LesArnaques.com et son directeur de publication.
La liberté d'expression restreinte par la loi Hadopi
Pourquoi ? La loi Hadopi du 12 juin 2009 a discrètement, mais profondément réformé le régime de la responsabilité en matière de liberté d’expression et de modération a posteriori : il suffit désormais de démontrer que le directeur de la publication n’a pas supprimé « promptement » un message problématique dont il avait simplement « connaissance », et le voilà responsable pénalement comme l’auteur principal du message.
Certes, le directeur de publication peut échapper à cette condamnation en démontrant sa bonne foi. Classiquement, la Cour d’appel avait rappelé que le directeur de publication peut échapper à sa condamnation s’il démontre avoir fait preuve « de prudence dans l’expression, au respect du devoir d’enquête préalable, à l’absence d’animosité personnelle et à l’intention de poursuivre un but légitime ». Mais la Cour avait dans le même temps considéré que le site n’étant pas modéré a priori, LesArnaques avait mécaniquement fait preuve d’un manque de prudence.
Dans le même sens, les magistrats estimaient que le directeur de publication avait eu connaissance de tous les contenus puisqu’il avait répondu à un (1) message. Bref, le fait de répondre à un message impliquait la connaissance de tous les autres messages. Pire, il n’était pas intervenu pour les supprimer alors que la vingtaine de messages litigieux avait été dénoncée par l’entreprise Le Partenaire Européen.
Le directeur de la publication et LesArnaques furent condamnés à 9 000 euros de dommages et intérêts et 2000 euros pour couvrir les frais. On se souvient que pour protester contre cette décision, le site décidait de fermer pendant 24 heures.
Nécessité de caractériser l'allégation
Finalement, l’affaire est remontée jusqu’à la Cour de cassation qui vient d’invalider l'arrêt de la Cour d’appel. La haute juridiction rappelle en effet que l’imputation, siège de la diffamation, doit se présenter « sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ». À défaut, il s’agit d’une injure ou d’un outrage. Nuance.
Or, pour la Cour de cassation, la Cour d’appel a quelque peu mal ficelé son analyse. Elle a considéré la masse de ces messages comme diffamatoires, mais « sans caractériser pour chacun d'eux l'allégation de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ». De ce fait, elle a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Lyon qui devra rejuger les faits.
Par la même occasion elle a condamné Le Partenaire européen à payer 3000 euros au directeur de la publication et à l’association LesArnaques.com. L’affaire sera à suivre de près puisqu’elle pourrait, selon son sens, mettre un nouveau et sérieux tour de vis sur le régime de responsabilité des forums non modérés a priori.