Sans cesse reporté, le projet de loi sur la Création d’Aurélie Filippetti prend forme. BFM Business a en effet pu consulter une copie du texte, qui fait toujours l’objet d'arbitrages interministériels selon nos confrères. Un constat s’impose néanmoins : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) devrait bel et bien s’imposer comme le grand gagnant de la réforme à venir. L’institution va en effet devenir le grand régulateur des contenus culturels sur Internet, comme nous l’esquissions il y a plusieurs mois suite aux déclarations de la ministre de la Culture et au regard du rapport Lescure (voir notre analyse).
Le CSA devrait assurer la régulation des contenus culturels sur Internet
Un « gros tiers » de cette ébauche de projet de loi concerne les nouveaux pouvoirs du CSA d’après BFM Business. Mais comment le gouvernement compte-t-il faire rentrer les contenus du Net dans le giron du gendarme de l’audiovisuel ? En modifiant la définition des « services audiovisuels » sur lesquels l’institution peut exercer son pouvoir.
En laissant l’autorité administrative réguler « la mise à disposition d’œuvres audiovisuelles, cinématographiques ou sonores, quelles que soient les modalités techniques de mise à disposition », l’exécutif va offrir au CSA l’opportunité d’avoir un champ d’action infiniment plus vaste : plateformes de vidéos telles que YouTube et Dailymotion, magasins d’applications, services de streaming musical, etc.
Sur ces plateformes, le CSA pourra faire respecter les mêmes règles qu’à la télévision ou la radio, notamment en matière de « protection de l’enfance et de l’adolescence, de la dignité de la personne humaine, et de l’interdiction de l’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons, de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ».
La voie du conventionnement, dans les pas du rapport Lescure
Pour asseoir son autorité, le gendarme de l’audiovisuel devrait être doté de différentes prérogatives. Tout d’abord, celle du conventionnement - largement mise en avant au travers du rapport Lescure. Selon BFM Business, le projet de loi prévoit effectivement que « le CSA peut initier et coordonner l’élaboration de chartes, et veiller à leur respect ». En cas de manquement, il est d’ailleurs expressément prévu que l’autorité administrative pourra taper sur les doigts des sites et distributeurs concernés grâce à des « pénalités ».
Avec ces conventions conclues sur la base du consentement mutuel, l’institution pourra décider de l’attribution d’une série d’avantages en l’échange d’une soumission des acteurs du Web et des distributeurs (et notamment les FAI) à tout un tas de règles. Plus concrètement, le projet de loi fait référence à la mise en avant volontaire des créations audiovisuelles et musicales françaises et/ou européennes par les sites « conventionnés » (YouTube, Dailymotion...), ainsi qu’à la participation au financement de ces créations. Les distributeurs, eux, seraient priés de « garantir l’accès et assurer la mise en avant » des services proposés par ces sites conventionnés.
Alors que le rapport Lescure envisageait de conditionner l’accès aux aides publiques à la signature de ce type de chartes, nos confrères n’en font pas mention. L’avantage resterait toutefois intact pour le CSA : en passant par la voie du volontariat, il soumet à sa régulation les acteurs du Web sans avoir à s’inquiéter de la législation européenne en la matière...
Un pouvoir d'investigation, valable également vis-à-vis des acteurs du Net
Le CSA devrait également se voir doté d’un pouvoir d’investigation, le texte consulté par BFM Business indiquant que l'autorité administrative pourra lancer « des enquêtes pour s’assurer du respect de leurs obligations » par tous les acteurs régulés par le CSA, et donc y compris ceux présents sur le Net.
Autre prérogative du CSA prévue par le projet de loi sur la Création : le pouvoir de s’immiscer dans le paramétrage des filtres de contrôle parental proposés obligatoirement par les fournisseurs d’accès à Internet en vertu de la LCEN. L’institution devrait en effet être en capacité de « définir les conditions d’identification » des sites et services respectant les grands principes moraux. Cette évolution interviendrait alors que le Royaume-Uni vient d’imposer à ses FAI de mettre en place un filtre « anti-porno » par défaut, en dépit des loupés flagrants du dispositif.
La Hadopi vouée à disparaître, mais pas la riposte graduée
Les dispositions concernant Hadopi semblent finalement bien mineures. En effet, BFM Business affirme simplement que le CSA « va hériter de l'envoi des emails aux pirates ». Aurélie Filippetti a pourtant promis que l’ensemble des compétences de l’institution sera confié au gendarme de l’audiovisuel, et non pas la seule riposte graduée : la mission relative à l’offre légale ainsi que celle sur les mesures techniques de protection devraient ainsi être transférées par la même occasion (voir notre article).
Selon les dernières indications du gouvernement, le fameux projet de loi devait être présenté au mois de juin en Conseil des ministres. Il restera maintenant à voir si l’exécutif maintient ce cap, notamment en cas de remaniement ministériel.