Très attendue même si encore non officielle, l'arrivée de Netflix en France soulève de nombreuses questions. Parmi elles, on retrouve notamment l'apport du service américain à la production locale. Afin d'envoyer un message fort au gouvernement ainsi qu'à l'industrie, Netflix compterait produire sa propre série selon BFM Business. Il s'agirait tout simplement d'une première en dehors des États-Unis.
Au Canada, certains contenus français sont accessibles, dont la série Engrenages / Spiral
La question centrale du catalogue
Si Netflix remporte un franc succès à travers le monde, les raisons en sont multiples. Un tarif faible, une interface désormais bien rodée, une disponibilité sur plusieurs supports et un catalogue fourni. Ce dernier point est d'ailleurs primordial. De l'autre côté de l'Atlantique, on retrouve des films plus ou moins récents, même si ceux de moins de trois ans sont rares (mais ils existent), et surtout, de très nombreuses séries sont accessibles et les dernières saisons ne prennent guère de temps à arriver sur le service.
Pour contourner les diverses négociations indispensables pour combler son catalogue, Netflix a cependant décidé il y a deux ans de développer ses propres séries. C'est ainsi qu'est née début 2013 la saison 1 de House of Cards, suivie par la saison 2 cette année, le tout avec des acteurs et réalisateurs reconnus. Bien d'autres séries ont entre-temps vu le jour, dont la suite d'Arrested Development, Orange is the New Black, Lilyhammer, Bad Samaritans, Hemlock Grove, Turbo: F.A.S.T, etc. Et d'autres séries « originales » doivent voir le jour dans les mois à venir, dont des œuvres animées basées sur les univers de Shrek ou encore des Croods. Une série Daredevil doit aussi être diffusée, certainement l'an prochain.
Pour attirer massivement des abonnés, Netflix gonfle donc chaque jour un peu plus son catalogue de ses propres séries. Sauf que ces dernières sont 100 % américaines. À l'étranger, que ce soit au Canada, en Amérique Latine ou dans les pays européens où il est disponible, le catalogue est non seulement moins fourni que la version disponible aux États-Unis, et même si l'on retrouve parfois des séries locales, l'offre est essentiellement « made in USA ». Et pour cause, les chaînes locales ont déjà des exclusivités sur certains films et plus encore sur les séries.
Si Netflix venait à être disponible en France à l'automne prochain comme toutes les rumeurs l'indiquent, la situation sera similaire. TF1, France Télévisions, M6, Canal+ et d'autres chaînes thématiques disposent déjà de nombreuses exclusivités. Certes, elles pourraient être de courte durée si Netflix venait à ouvrir son chéquier pour obtenir lui-même des exclusivités, mais pour cela pourrait prendre malgré tout quelques années. En attendant, si le service souhaite proposer du contenu récent, il n'aura donc pas d'autres choix que de le produire lui-même ou de sceller des accords avec des maisons de production non rattachées avec des chaînes.
« Il n'est pas question de leur fermer la porte mais de les sensibiliser »
Pour l'Américain, produire des séries françaises, une première hors des États-Unis, serait avantageux sur plusieurs points. Outre améliorer son catalogue, l'objectif est clairement de rassurer le gouvernement et les producteurs français sur ses intentions. La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, n'a d'ailleurs pas caché qu'il fallait que Netflix y mette du sien :
« Je ne m'oppose pas à l'arrivée de Netflix chez nous. Il n'est pas question de leur fermer la porte mais de les sensibiliser à l'intérêt pour eux de participer à notre écosystème. Il faut avoir une vision globale, industrielle de l'ensemble de la filière. (...) Il faut que ce système vertueux (de l'exception culturelle, ndlr) puisse aujourd'hui intégrer de nouveaux acteurs de la diffusion et de la production, notamment sur les supports numériques. »
Les exigences de la SACD
Cette semaine, la Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD) a publié un communiqué s'appuyant sur le cas Netflix. La société a ainsi indiqué que « face à l’annonce de l’arrivée de Netflix en France et aux réactions qu’elle a suscitéee, la SACD tient à rappeler plusieurs exigences qui doivent être au cœur de la politique audiovisuelle ». Parmi ces exigences, on retrouve une « large modernisation de la réglementation audiovisuelle », ceci dans le but de mieux s'adapter aux besoins du public.
Si la SACD ne souhaite pas non plus changer l'intégralité des règles et surtout pas le système de financement du cinéma, elle tient tout de même à ce que des ajustements importants soient réalisés, avec en toile de fond la chronologie des médias. « Aujourd’hui, les règles de diffusion des films, inadaptées et archaïques, ne tiennent compte ni de l’évolution des usages du public, ni de la nécessité de développer l’offre légale des films. Elle attend donc beaucoup des discussions professionnelles engagées par le CNC pour rénover la chronologie des médias afin de permettre une diffusion des films plus rapide sur les nouveaux supports. » Il n'est ici pas question de détruire totalement la chronologie des médias, qui aujourd'hui empêche tous services équivalents à Netflix et Canalplay de proposer des films récents de moins de 36 mois. Réduire cette limite, comme le préconisent les rapports Lescure, Bonnell et du CSA, est donc appuyée par la société.
La crainte de voir Netflix opérer de l'étranger
Mais le véritable cheval de bataille de la SACD et qui concerne directement Netflix, est la réglementation vis-à-vis de toutes les sociétés qui proposent leurs services en France. « Rien ne justifie en effet que les médias traditionnels soient soumis à la concurrence d’entreprises installées hors de France pour mieux échapper à l’exigence des règles fiscales et des obligations à l’égard de la création » argumentent ainsi les représentants des auteurs. Ils demandant d'ailleurs « une réforme de la réglementation européenne afin de soumettre les nouveaux opérateurs du Net à des obligations de financement et d’exposition des œuvres françaises et européennes en France, dès lors qu’ils proposent une offre de programmes au public français ».
En attendant que ces nouvelles réglementations soient mises en place, ce qui pourrait prendre un certain temps, la SACD fait deux propositions. La première est de faire conventionner par le CSA les services numériques culturels afin qu’ils s’engagent en faveur de la création locale. La seconde est que « les professionnels, notamment ceux qui détiennent des droits sur les catalogues et les films, fassent preuve d’un grand sens des responsabilités dans leurs discussions avec les opérateurs VàD établis hors de France ». Un message a priori guère positif pour Netflix.