Discuté depuis de longs mois déjà, le « Marco Civil da Internet » a été adopté mardi soir par la Chambre des députés du Brésil. Ce projet de loi, relancé par l’exécutif suite aux révélations d’Edward Snowden, contient des dispositions visant notamment à garantir la neutralité du Net dans ce pays d'Amérique du Sud. Soutenu au niveau international par WikiLeaks, La Quadrature du Net ou Tim Berners-Lee, le texte est l'objet de nombreuses attentions. Désormais, il doit cependant obtenir l’approbation du Sénat.
Crédits : Chambre des députés - Creative Commons
Le « Marco Civil da Internet », voté avant-hier par les députés brésiliens, vise tout d’abord à garantir la neutralité du Net. L’article 9 du projet de loi transmis au Sénat (voir ici) dispose en effet que les opérateurs devront acheminer les données « de manière égale, quel que soit le contenu, leur origine et leur destination, le service, le terminal ou l’application ». Plus concrètement, que les internautes brésiliens regardent une vidéo YouTube, téléchargent un fichier via BitTorrent ou consultent leurs courriels, leurs FAI seront contraints de ne prioriser aucun flux. Tout monnayage d’un éventuel accès privilégié à un site ou service sera par conséquent prohibé.
Des entorses à la règle seront toutefois possibles, en cas où des besoins techniques l’exigeraient, ou pour permettre la priorisation de « services d’urgence ». Un décret présidentiel devra néanmoins venir compléter et organiser ces dispositions. Quoi qu’il en soit, tout internaute estimant que son opérateur a manqué à ses obligations pourra demander réparation de son préjudice devant les tribunaux, sur la base du Code civil.
Le rapatriement des données personnelles des Brésiliens retoquée
Autre volet important de cette proposition de loi : la protection des données et de la vie privée. Alors que la présidente du Brésil, Dilma Roussef, avait tenté de se poser en opposante n°1 aux pratiques de la NSA et à la surveillance généralisée des internautes, le « Marco Civil da Internet » avait initialement pour ambition d’exiger des acteurs étrangers (Google, Facebook,...) le rapatriement des données concernant les internautes Brésiliens sur des serveurs situés au Brésil, afin de limiter l’espionnage de la NSA.
Mais finalement, le législateur a dû faire marche arrière et retirer ces dispositions. L’article 11 du projet de loi prévoit néanmoins que les sociétés étrangères collectant ou hébergeant des données personnelles ou des correspondances d’internautes situés au Brésil doivent se plier à la législation nationale, notamment s’agissant de protection des données personnelles ou de droit au respect de la vie privée.
Un texte observé de près au niveau international
Même si l’adoption de ce texte à la Chambre des députés ne constitue qu’une première étape avant que le Sénat ne se prononce à son tour sur son contenu, la nouvelle a quoi qu’il en soit été applaudie, par exemple par la Web Fondation - laquelle est présidée par Tim Berners-Lee, l’un des pères de l’internet. Aux yeux de l’organisation, le projet de loi voté au Brésil donne en l’état « des garanties solides et effectives » aux Brésiliens en matière de liberté d'expression, de neutralité du Net ou de droit à la vie privée. Tout en reconnaissant que le texte « n’est pas parfait », à l’instar « de tous les compromis politiques », le « courage et la vision » des autorités brésiliennes sont vivement saluées. Tim Berners-Lee avait d’ailleurs affirmé lundi dans un billet que l’adoption du Marco Civil serait « le meilleur cadeau d’anniversaire possible pour les internautes du Brésil et du monde entier », en référence au 25ème anniversaire du web.
Ce projet de loi avait également obtenu l’automne dernier un vif soutien de plusieurs organisations de renom, dont WikiLeaks, Reporters Sans Frontières, La Quadrature du Net, l’April, Bits of Freedom, European Digital Rights, etc. Ces dernières voyaient alors dans l’adoption de ce texte « un modèle que les citoyens et leurs représentants dans tous les pays pourraient reproduire pour permettre le développement d'un Internet libre et ouvert et garantir la protection des libertés sur Internet ».
La neutralité du Net toujours dans les cartons en France
Si le Brésil adoptait définitivement cette loi, il deviendrait l’un des rares pays au monde à intégrer la neutralité du Net dans son édifie normatif. Jusqu’ici, seuls les Pays-Bas, la Slovénie et le Chili sont connus pour s'être engagés sur cette voie. En France, le Conseil national du numérique avait affirmé il y a quasiment un an jour pour jour qu’il conviendrait également de légiférer sur ce point, après que l’exécutif lui a demandé son avis. Mais le dispositif proposé avait eu du mal à convaincre (voir notre article, ainsi que cette interview de la députée Laure de la Raudière).
Depuis, le gouvernement n’a pas indiqué s’il souhaitait reprendre telle quelle la proposition. La ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, a néanmoins laissé entendre que le futur projet de loi sur numérique devrait concerner la neutralité du Net. Initialement promis pour début 2014 « au plus tard », ce texte peine cependant à pointer le bout de son nez. Il ne pourrait être présenté devant le Parlement qu’en septembre.