Hier, l'intersyndicale SFR a tenu une conférence de presse devant quelques journalistes. Son objectif était simple : mettre en avant les risques importants sur l'emploi suite à la vente de leur société. Les syndicats proposent ainsi aux potentiels repreneurs « un accord de maintien de l’emploi ». Il faut dire qu'une étude commandée par le comité d'entreprise de l'opérateur annonce que les suppressions d'emplois risquent d'être très élevées.
« C'est entre 10 % et 20 % des effectifs qui pourraient être menacés »
Qui d'Altice (Numericable) ou du groupe Bouygues mettra-t-il la main sur la filiale télécom de Vivendi ? Difficile à dire pour le moment, même si la balance penche plutôt du côté du premier nommé pour le moment. En attendant, les salariés de SFR ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés. Certes, les PDG d'Altice et de Bouygues, Patrick Drahi et Martin Bouygues, ont promis au gouvernement qu'il n'y aura pas de casse sociale. Drahi a même indiqué que des recrutements seront réalisés. Mais cela ne rassure pas pour autant les syndicats. Ces derniers souhaitent ainsi que le futur acheteur garantisse l'emploi sur 48 mois, soit quatre ans, ceci à compter de la cession.
Une étude réalisée par le cabinet Sextant et relayée par nos confrères de La Tribune rappelle en effet que la fusion entre SFR et Bouygues est particulièrement dangereuse pour l'emploi, du fait des nombreux postes doublons et d'une structure similaire. Les deux sociétés cumulent ainsi près de 17 000 salariés (quasi à parts égales) et ont à peu près le même taux de cadres. « C'est entre 10 % et 20 % des effectifs qui pourraient être menacés, soit 1 600 à 3 000 postes » indique ainsi l'étude. « Cette première approche n'intègre pas les effectifs des boutiques de Bouygues, où les risques sont également très importants » précise-t-on, ce qui pourrait impliquer des centaines de postes supplémentaires.
Le cabinet Sextant ajoute que « les équipes marketing mobile, réseau et supports seront certainement les plus touchées dans les deux structures, ainsi que les réseaux de distribution physiques ». Il faut de plus rajouter les fournisseurs, les distributeurs, les prestataires de services, les équipementiers, etc. Des accords et des contrats en moins, soit des emplois en moins, mais des économies et des synergies en plus pour le nouvel ensemble. Bouygues n'a d'ailleurs jamais caché qu'il comptait sur les fortes synergies entre sa société et SFR afin de réaliser de solides économies et augmenter ses marges.
Une dette trop lourde pour NC/SFR ?
Du côté du rapprochement avec Numericable, les conséquences sont plus complexes à calculer. Néanmoins, Altice a aussi avancé de fortes synergies possibles, ce qui « interroge déjà sur les conséquences sociales du projet ». La question de la dette et surtout de son remboursement est ainsi sur toutes les lèvres. Le cabinet s'interroge ainsi sur les capacités du nouvel ensemble sur ce point : aura-t-il « les moyens de supporter un tel niveau de dette, sans avoir à recourir à de nouveaux plans de restructuration pour pouvoir faire face à ses échéances de remboursement » ? se demandent ainsi les analystes de Sextant. « Rien n'est moins sûr compte tenu de l'incertitude qui pèse sur l'avenir du marché des télécoms. »
Altice et Bouygues ont déjà assuré il y a quelques semaines qu'ils ne comptaient pas licencier, et le premier nommé a même indiqué qu'il comptait recruter des commerciaux. Concernant Bouygues, on a précisé qu'il n'y aura pas de « départ contraint ». Une formulation qui laisse tout de même la porte ouverte à un plan de départs dits volontaires (poussés par des primes aléchantes), même si plus tard, un tel scénario a été écarté d'une façon plus explicite.
Numericable promet sur 3 ans...
Suite à l'appel des syndicats de SFR cette semaine, Patrick Drahi, le patron d'Altice, a indiqué qu'il s'engageait à n'appliquer « aucun licenciement collectif économique. (...) Il y aura maintien de l'emploi. » Qui plus est, il n'y aura « aucune remise en cause du statut collectif SFR ». Des engagements pris « pour une durée de 36 mois à compter de la fin de la période d'exclusivité » des négociations avec Vivendi, soit à partir du 4 avril prochain. Des promesses qui ne correspondent pas précisément aux demandes des syndicats.
L'intersyndicale, qui représente l'Unsa, la CFE-CGC, la CFDT et CGT, a en effet expliqué en début de semaine qu'elle proposait « aux potentiels repreneurs qui se sont manifestés pour le rachat de SFR auprès de Vivendi, Numéricâble et Bouygues Télécom, un projet d’accord formalisant les engagements pris dans la presse et auprès du gouvernement. (...) Pour l’intersyndicale SFR, le meilleur projet est celui qui saura garantir le maintien de l’emploi dans la durée. » Une durée fixée à quatre ans donc.
...mais s'offre des portes de sorties
Les 36 mois promis par Altice sont certes une période très longue, mais inférieure à celle demandée par l'intersyndicale de l'opérateur donc. Et surtout, le fonds d'investissement a rajouté une précision de taille dans son engagement, qui ne pourra « s'appliquer si au cours de la période, un revirement économique imprévisible, c'est-à-dire extérieur au projet industriel annoncé par les dirigeants de Numericable Group, venait à affecter la situation économique du nouveau groupe ». Une indication qui laisse à l'opérateur une marge de manœuvre évidente pour licencier, comme il l'a fait dans le passé lors de la fusion avec Noos. De quoi faire trembler les employés de SFR.
Les syndicats de l'opérateur ont d'ailleurs réagi il y a quelques heures aux promesses d'Altice. Et leur avis n'est guère positif. Se disant « sceptique sur l'engagement unilatéral de Numericable », l'intersyndicale explique ainsi qu'elle n'apprécie pas les portes de sorties que s'offre l'opérateur, notamment vis-à-vis du « "revirement économique imprévisible" dont l’appréciation resterait subjective, mais aussi "la gestion des conséquences sociales par la mobilité interne et la GPEC" qui permettrait des suppressions d’emplois ».
La Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est en effet une forme de gestion des employés permettant à l'entreprise d'anticiper les futurs troubles économiques. Prévu pour éviter les restructurations, c'est-à-dire les licenciements massifs, il s'agit surtout d'un moyen de se séparer de certains salariés. Malgré ceci, les syndicats de SFR sont tout de même optimistes et prennent « acte de la capacité de Numéricable à s’engager formellement sur le volet social de son projet et s’en félicite ». Les syndicats espèrent obtenir un accord multilatéral avant la prise de décision de Vivendi le 4 avril.
Bouygues rassure SFR... mais quid de ses propres employés ?
Du côté de Bouygues, son porte-parole s'est contenté de rappeler que « Martin Bouygues a pris publiquement et par écrit des engagements auprès du ministre du Redressement productif sur le maintien de l'emploi (pas de licenciement collectif ni de plan de départs volontaires) dans le cadre de cette fusion ». Sauf que si la fusion avec Numericable implique des questions sur l'emploi, une autre problématique touche l'opérateur : la vente de certaines de ses antennes et fréquences à Free Mobile. Certes, ce dernier recrute massivement depuis quelques années et il devrait continuer de gonfler son effectif dans le futur. Mais cela ne suffit pas à rassurer les actuels employés de Bouygues.
« Que vont devenir les 1 300 salariés qui s'occupent du réseau et les 700 personnes de l'informatique ? » s'est ainsi demandé Azzam Ahdab, délégué central CFDT chez Bouygues Telecom. L'accord avec Free, « un grand choc » pour bien des salariés du groupe, a ainsi créé un véritable trouble auprès des employés. Free, cet ennemi à abattre, « infréquentable, devenait d'un coup un partenaire ? ». Résultat, si les syndicats de SFR demandent des garanties, certains chez Bouygues réclament aussi des engagements auprès de leur direction.