Attendue pour cet automne, l'arrivée de Netflix n'est déjà pas sans conséquence. Selon BFM Business, le ministère de la Culture a multiplié les réunions ces derniers jours. Des opérateurs ainsi que sociétés de la filière audiovisuelle ont ainsi été conviés afin d'aborder le sujet. Il faut dire que de nombreuses questions sans réponse demeurent.
Quand, et surtout comment et dans quelles conditions ?
Officiellement, Netflix n'est pas encore arrivé en France. Tout au plus l'Américain a-t-il annoncé fin janvier dernier qu'il comptait se développer en Europe, sans préciser dans quels pays. La France, ainsi que la Belgique et l'Allemagne, ont toutefois de grandes chances de rejoindre le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les pays scandinaves où le service a déjà posé ses valises. Selon Les Échos, lundi 24 mars prochain, des dirigeants de Netflix devraient d'ailleurs rencontrer Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, afin d'aborder le sujet. Toujours d'après nos confrères, la société californienne cherche en ce moment un directeur général ainsi qu'une agence de communication pour la France. Un signe fort d'une arrivée imminente.
Mais deux questions majeures demeurent. La première est de savoir comment Netflix sera disponible : soit comme dans les autres pays, c'est-à-dire tout simplement par internet et via divers appareils (Smart TV, consoles de jeux, Apple TV, etc.) soit aussi via les offres des opérateurs français. La France est en effet un marché très différent des autres territoires du globe, où les « box » des FAI ont un immense succès et sont devenues incontournables. Des rumeurs d'une exclusivité box pour Orange ont même éclaté le mois dernier.
L'autre grande question est le lieu d'établissement de l'entreprise, c'est-à-dire soit en France, soit au Luxembourg. Selon la réponse, les contenus du service américain pourraient être différents, dès lors que les législations sont différentes. Aujourd'hui, tout porte à croire que Netflix France sera piloté à partir du Luxembourg. L'entreprise y a autant des intérêts financiers (impôts, taxes, etc.) que pratiques (chronologie des médias, etc.). En allant de l'autre côté de la frontière, le service de vidéo à la demande illimitée se simplifierait la vie.
Sauf que si le Luxembourg est plus simple à bien des niveaux, la France pourrait mettre des bâtons dans les roues de Netflix, d'où les négociations en cours et à venir. Par exemple, les producteurs de films français pourraient refuser de vendre leurs œuvres de moins de trois ans, comme l'impose la chronologie des médias pour les services de SVOD. Le gouvernement pourrait même interdire aux producteurs locaux de négocier avec Netflix. Qui plus est, même en se basant au Luxembourg, certaines taxes françaises pourraient être appliquées malgré tout, ceci grâce à de futurs accords européens.
« Qui a peur de Netflix...?! »
Reste que l'incertitude actuelle vis-à-vis de Netflix fait trembler bien des sociétés. Le cas de Canal+ est d'ailleurs symptomatique. L'entreprise a pour caractéristique d'être le leader de la SVOD en France avec son offre Canalplay. La chaîne diffuse les séries de l'Américain mais ce dernier propose aussi dans certains pays les séries de Canal+ (Engrenages/Spiral, Braquo, etc.). Et en s'alliant avec Dailymotion, Canal+ a déjà commencé à marcher sur les platebandes de Netflix au Canada.
En posant ses pieds en France, certains partenariats pourraient voler en éclat, notamment la diffusion de House of Cards sur Canal+. Mais à en croire le syndicat CFE CGC des salariés de la chaîne cryptée, l'Américain fait trembler tout le monde. Le 9 février dernier, le syndicat publiait ainsi un billet au titre explicite : « Qui a peur de Netflix...?! » Le blog pose ainsi la question : « Les couloirs, les conférences, les séminaires... à chaque réunion le nom de Netflix est cité, CANAL+ devrait donc redouter l’arrivée de cet opérateur Américain ? »
Canalplay saura-t-il surfer sur la vague Netflix ou au contraire va-t-il couler, emportant Canal+ avec ?
Le syndicat note avec justesse que l'arrivée du Californien « questionne, dérange, inquiète », ceci alors qu'elle est « orchestrée au plus haut niveau de l’État français ». Nous avons ainsi vu fin 2013 et début 2014 la ministre Fleur Pellerin et même des proches du président de la République François Hollande rencontrer les dirigeants de Netflix afin de les séduire. Aurélie Filippetti, en janvier dernier, a même déclaré lors d'une entrevue au Journal du Dimanche qu'elle n'est « pas fermée aux nouveaux acteurs du numérique, surtout lorsqu'ils proposent une offre légale de films et de séries, une de mes priorités pour lutter contre le piratage ».
Si elle a aussi énuméré de nombreuses conditions pour que le service puisse déployer ses ailes dans l'Hexagone, elle l'accueille donc à bras ouverts, et il est censé dynamiser l'offre légale à ses yeux. Mais la concurrence, et en particulier Canal+, pourrait en souffrir. Le syndicat de la chaîne note toutefois qu'il ne doit « pas avoir peur de ce débarquement mais bien plutôt de nous-mêmes ».
En effet, si la filiale du groupe Vivendi a tout de même des atouts face à Netflix (ses abonnés, ses propres séries, ses accords avec le secteur, etc.), elle a aussi des épines dans le pied relativement grosses. Le syndicat prend comme exemple sa gestion des salariés. « Malheureusement, de ce point de vue le constat est amère, nous nous enfonçons année après année dans un abîme qui semble sans fond, des équipes bousculées, un management sous pression, une désorganisation rampante... » Avec le manque d’investissement, la politique sociale sont ainsi « les deux talons d’Achille du CANAL+ trentenaire » note amèrement le syndicat. L'Américain aurait tort de ne pas profiter d'une telle situation.