Selon Mediapart, le choix de la direction de Vivendi de négocier exclusivement avec Altice (Numericable) n'est pas anodin. Si cela devrait rapporter gros à Vivendi lui-même, les dirigeants et membres du conseil de surveillance auraient aussi des avantages non négligeables dans cette opération d'après notre confrère.
Un vote pas si unanime
Avec 11,75 milliards d'euros en cash et 32 % des parts du nouvel ensemble laissées à Vivendi, l'offre d'Altice, le principal actionnaire de Numericable, a donc été préférée à celle du groupe Bouygues. Ce dernier, s'il proposait légèrement moins de cash (11,3 milliards), laissait tout de même 43 % du nouvel ensemble à Vivendi. L'appât du gain rapide a donc avantagé la proposition d'Altice. Mais est-ce la seule raison ? Si l'on en croit la journaliste de Mediapart Martine Orange, grande connaisseuse du groupe Vivendi, « l'arrangement entre amis » est de mise.
Ici, point question de liens avec le gouvernement, mais tout simplement entre les dirigeants de Vivendi et d'Altice. Jean-René Fourtou, le président du Conseil de Surveillance de Vivendi, est particulièrement visé par notre consœur, tant il aurait tout fait contre vents et marées pour faire passer le dossier d'Altice. Pour mieux comprendre, revenons en arrière. Vendredi dernier, le Conseil de Surveillance a donc confirmé l'avis du comité exécutif de Vivendi (réuni la veille) de choisir Numericable. À l'époque, une source proche du dossier avait indiqué à l'AFP que ce vote avait été unanime parmi les membres du conseil. Une information démentie par Mediapart, qui précise que certains membres étaient en réalité plutôt favorables à Bouygues, même si tous n'ont pas voté en ce sens.
Afin de mieux cerner le sujet, regardons qui sont les membres importants du Conseil de Surveillance de Vivendi :
- Jean-René Fourtou : président de ce conseil depuis 2005, ex-PDG de Vivendi (entre 2002 et 2005), administrateur chez Sanofi Aventis. Âgé de 75 ans, l'homme n'est pas encore à la retraite, même si la prise de pouvoir de Bolloré est censé l'y pousser.
- Vincent Bolloré : président du groupe du même nom, il est entré au capital de Vivendi suite aux rachats des chaînes D8 et D17. Il a ensuite augmenté ses parts en rachetant de sa poche des actions de Vivendi. Résultat, il doit officiellement devenir président du groupe sitôt la scission avec SFR opérée.
- Pascal Cagni : ancien Vice-Président et Directeur général d’Apple Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique. Cagni est actuellement administrateur indépendant de plusieurs sociétés, dont Vivendi donc.
- Daniel Camus : administrateur chez Valeo et diverses sociétés étrangères.
- Alexandre de Juniac : PDG d'Air France KLM.
- Claude Bébéar : président d'honneur du groupe AXA, administrateur chez BNP Paribas et censeur chez Schneider Electric.
Si ces six personnalités ont été citées parmi les quatorze membres que compte le Conseil de Surveillance de Vivendi, c'est parce qu'elles sont toutes citées par Mediapart. D'un côté, nous avons donc Jean-René Fourtou, qui n'a jamais caché son souhait de voir SFR et Numericable se marier, et qui a même discuté personnellement avec Patrick Drahi (PDG d'Altice). « Jean-René Fourtou a bâti un conseil à sa main. Il l’a amené là où il voulait, en organisant un passage en force » a de plus expliqué un proche du dossier à notre confrère. L'homme a pour alliés de nombreux membres du Conseil, dont Daniel Camus et Alexandre de Juniac.
Les intérêts financiers personnels de Fourtou
De l'autre côté, nous avons Pascal Cagni, qui serait d'ailleurs le seul à avoir voté contre le projet de rachat par Altice lors du vote de vendredi dernier. Bolloré, pour sa part, s'est contenté de faire profil bas selon Mediapart. « Vincent Bolloré était aussi favorable à la candidature de Bouygues. Mais il n’a pas voulu s’opposer à Jean-René Fourtou. Il aurait été marginalisé » au sein de Vivendi explique un proche du dossier. Quant à Claude Bébéar, lui aussi plutôt pro-Bouygues, il n'était pas présent la semaine passée, la faute à une hospitalisation. Il aurait malgré tout participé au Conseil de Surveillance par téléphone, mais sans avoir pu s'imposer. « On le dit furieux » précise même le site d'information.
Ce dernier nous explique surtout que Jean-René Fourtou et certains de ses proches ont des intérêts financiers personnels importants dans cette histoire. Tout d'abord, l'homme détient personnellement près de 800 000 actions précise Mediapart (il en avait précisément 786 599 en 2011), soit un pactole d'environ 15,5 millions d'euros au cours actuel de l'action de Vivendi. Fin 2012, notre confrère BFM Business révélait de plus que Fourtou détenait 1,165 million de stock options, dont l'échéance de certaines arrive en... mai 2014, le reste étant en mai 2015. Qui plus est, sa famille et sa fondation disposent de 2,8 millions d'actions, soit bien plus que Fourtou lui-même.
Des postes d'administrateurs promis par Altice ?
À tout ceci, Mediapart rajoute que selon ses informations, afin de convaincre Vivendi, Altice aurait promis des postes d'administrateurs dans le nouvel ensemble Numericable/SFR à trois personnalités clés de Vivendi, à savoir Jean-René Fourtou, Jean-François Dubos (le président du directoire) et Alexandre de Juniac. Patrick Drahi et Vivendi ont démenti cette information. Le service presse d'Alexandre de Juniac, directement cité, s'est pour sa part expliqué : « Nous ne pouvons que vous inviter à prêter foi aux démentis très clairs exprimés tant par Vivendi que par Patrick Drahi sur les supputations autour de la composition hypothétique des futurs organes de gouvernance. Alexandre de Juniac dément fermement être au courant de tels sujets. »
Cette information sera de toute façon confirmée ou infirmée dans les mois à venir, dès lors que Vivendi aura validé ce rachat et que les différentes autorités auront donné leur avis. Néanmoins, et afin d'en rajouter une couche, Mediapart indique que Jean-René Fourtou ne se contentera pas d'un rôle d'administrateur dans le nouvel ensemble. Il pourrait aussi occuper un poste de présidence. Si celui du futur groupe est peu probable, Patrick Drahi en reprenant les rênes, un autre poste pourrait lui être réservé. « En attendant, M. Fourtou pourrait récupérer la présidence d’un quelconque comité stratégique ou autre. La perte de sa présidence chez Vivendi serait ainsi en partie compensée, d’autant que dans le même temps, selon nos informations, Vincent Bolloré a accepté de lui céder sa place au conseil de l’assureur italien Generali » indique notre confrère.
Les intérêts personnels de plusieurs membres de la direction de Vivendi pourraient être un argument de poids pour Bouygues ou encore le gouvernement. D'autant plus que contrairement à Bouygues, Altice n'a jamais publié publiquement ses offres. Une opacité gênante pour le groupe de BTP, qui pourrait estimer que Vivendi a dès le départ avantagé Altice dans ses négociations. On rajoutera enfin qu'Arnaud Montebourg a déclaré vendredi dernier lors du journal de 20h sur France 2 que les concurrents de SFR pourraient déposer des recours afin de contrecarrer cette acquisition. Mais dès lors que Montebourg n'est guère inspiré sur ce sujet depuis le début, il est bien difficile de cerner le vrai du faux.
MàJ : La réaction de Vivendi au papier de Médiapart.
« Vivendi dément avec la plus grande fermeté les allégations calomnieuses de Mediapart sur la conduite du processus collégial concernant le devenir de SFR et les raisons de sa décision d’octroyer une période d’exclusivité de négociation au groupe Altice.
L’étude des projets en concurrence, de même que la négociation des offres proposées par les deux candidats déclarés, Altice et Bouygues, ont été menées par Vivendi, à l’évidence, de manière parfaitement loyale.
Cette exigence de loyauté garantissait que le Conseil de surveillance se verrait présenter par le Directoire la meilleure réponse possible aux seuls objectifs stratégiques du groupe Vivendi.
Vivendi mettra en œuvre la décision collégiale prise et annoncée vendredi 14 mars. »