La Fédération internationale de l'Industrie phonographique (IFPI) vient de publier son bilan annuel 2013 du marché de la musique et plus précisément de son secteur numérique. Et ce dernier continue de progresser malgré le recul du téléchargement. Sans surprise, du fait de la chute du CD, le numérique gagne des points. Cela ne suffit toutefois pas à redresser le marché global de la musique.
Le CD représentera bientôt moins de 50 % des revenus
Avec l'équivalent de 15,029 milliards de dollars, le marché de la musique a reculé de 3,9 % par rapport à 2012. Un total bien fait quand on sait qu'il y a une dizaine d'années, ce secteur générait plus de 25 milliards de dollars. Par marché de la musique, cela comprend les ventes de CD, de MP3 (ou autres) et de divers droits (radios, etc.), et non pas les ventes d'appareils audio tels les baladeurs, les enceintes, etc., il est important de le préciser. Dans les détails, le secteur physique reste toujours majoritaire avec 51,4 % du marché en valeur (contre 56,1 % en 2012), soit 7,73 milliards de dollars. Ce secteur affiche toutefois une lourde baisse de 11,7 %, la France faisant figure d'exception.
Le marché numérique, pour sa part, n'a crû que de 4,3 %, pour tout de même atteindre 5,872 milliards de dollars, soit 39 % des revenus musicaux. Ce taux est toutefois majoritaire dans trois pays, dont la Suède, qui a vu le numérique passer de 8 % du chiffre d'affaires total en 2008 à 70 % en 2013. Les abonnements (streaming principalement) représentant 94 % des revenus numériques, portés par le succès de Spotify dans ce pays qui l'a vu naitre. Le reste des revenus musicaux dans le monde est principalement généré par les droits d'exploitation (radios).
L'Europe rit, le Japon pleure
Géographiquement, l'Europe et l'Amérique sont au coude à coude avec 5,389 milliards de dollars pour le premier continent (+0,6 %) et 5,418 milliards de dollars pour le second, dont 4,897 milliards pour le Nord (+0,5 %). De nombreux territoires majeurs ont affiché des hausses, dont le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et la France (notre analyse). D'autres pays, moins importants financièrement, ont connu une croissance gigantesque en 2013, dont le Pérou (+149 %), l'Indonésie (+112 %), l'Afrique du Sud (+107 %), la Colombie et le Venezuela (+85 %) et l'Argentine (+69 %).
A contrario, le Japon a affiché une chute importante de 16,7 % de son marché. Il représente néanmoins toujours le deuxième pays le plus important du globe, avec 3,012 milliards de dollars à lui seul. Notez que si l'on exclut le Japon, le marché musical n'aurait régressé que de 0,1 % et non de 3,9 % dans le monde.
Le téléchargement domine toujours largement le streaming en valeur
Concernant le numérique, qui a donc cumulé près de 5,9 milliards de dollars en 2013 (+4,3 %), les revenus se divisent comme suit (nombres arrondis) :
- Téléchargement légal : 3,90 milliards de dollars (-2,1 %)
- Streaming par abonnement : 1,11 milliard de dollars (+51 %)
- Streaming gratuit avec publicité : 470 millions de dollars (+17,6 %)
- Mobile (sonneries, etc.) : 290 millions de dollars
- Autres : 60 millions de dollars
On le remarque donc immédiatement, les téléchargements restent toujours majoritaires dans le monde, avec 67 % du chiffre d'affaires global du secteur. S'il connait une baisse dans les pays occidentaux du fait de la forte progression du streaming, le téléchargement participe aussi grandement à l'essor de la musique numérique dans d'autres territoires, dont l'Afrique du Sud ou encore les Philippines. Globalement, les téléchargements ont régressé de 2,1 % en valeur, malgré une augmentation des ventes d'albums. Le streaming gratuit et payant a toutefois plus que compensé cette légère baisse.
Justement, concernant le streaming, ses taux de croissance sont assez incroyables. Les abonnements payants ont ainsi crû de 51,3 % en valeur, atteignant donc plus de 1,1 milliard de dollars, somme dont une partie non négligeable est captée par le duo Deezer et Spotify. Au total, ce marche représente déjà 28 millions d'abonnés en 2013, contre 20 millions en 2012 et seulement 8 millions en 2010. Ce marché représente désormais 19 % des revenus musicaux numériques, contre 6 % en 2008, preuve de sa montée en puissance.
Streaming : Spotify et Deezer mènent la danse, mais la concurrence s'active
L'IFPI note que Spotify compte plus de 6 millions d'abonnés et est désormais accessible dans 55 pays, dont 38 nouveaux territoires l'an passé. Deezer, pour sa part, est disponible dans plus de 180 pays dans le monde et cumule plus de 5 millions d'abonnés. Le service français compte même des partenariats avec des opérateurs dans plus d'une trentaine de marchés.
Du côté de la concurrence, le cas de Google Play Music est cité. Avare en informations à son sujet, le service de Google aurait selon l'IFPI enregistré la plus belle croissance en 2013, ce qui n'est guère étonnant dès lors que son offre de streaming illimité (All Access) a été lancé l'an dernier. Elle est d'ailleurs disponible dans 21 territoires aujourd'hui. Autre société plus méconnue en Occident présente dans le streaming, KKBOX. Accessible en Asie (Japon, Taiwan, Malaisie, Singapour, etc.), ce service créé par une start-up fondée il y a tout de même déjà dix ans compte 10 millions d'utilisateurs gratuits et 1,5 million d'abonnés payants. Un véritable concurrent aux offres occidentales donc, parfois absentes de ces marchés par ailleurs.
Sans surprise, la Suède et la France, pays fondateurs des offres Spotify et Deezer respectivement, sont les plus gros consommateurs de streaming audio (gratuit ou payant), avec 47 % pour les premiers et 36 % pour les seconds parmi les internautes de ces pays. Ces deux territoires sont logiquement en retrait du côté des téléchargements, avec seulement 7 et 9 % des internautes qui ont annoncé s'y adonner. Le Royaume-Uni (33 % des internautes) et les États-Unis (27 %) dominent les débats côté téléchargement, même si le streaming n'est pas en reste avec respectivement 22 et 23 % des internautes qui ont testé au moins une fois ces offres lors des six derniers mois.
Le poids grandissant de YouTube
Concernant l'autre marché du streaming, à savoir celui gratuit mais financé par la publicité, ce sont les sites de vidéos qui dominent les débats, et en particulier YouTube et Vevo. En croissance de 17,6 %, ce secteur s'approche déjà des 500 millions de dollars générés, ce qui commence à peser. La fédération précise que 5,5 milliards de vues en décembre ont été enregistrées pour Vevo (+46 %) pour un total de 243 millions d'internautes uniques dans le monde. Ce marché représente désormais 8 % des revenus musicaux numériques, contre 3 % en 2008. Vevo, la chaîne musicale qui appartient aux majors et qui diffuse ses vidéos sur YouTube, est officiellement disponible dans 13 pays, ce qui signifie que ces vidéos sont monétisées dans ces marchés.
Quant aux revenus tirés des téléphones mobiles (sonneries, etc.), ils continuent de s'effondrer, passant de 26 % du marché numérique en 2008 à seulement 5 % en 2013. Une chute logique, qui dure depuis de longues années. Ce marché devrait logiquement disparaitre d'ici peu tant son intérêt décroit avec le temps.
Le potentiel des pays émergents
Notez qu'en Chine et en Russie, deux pays très peuplés mais au piratage ultra massif, la musique génère encore assez peu d'argents. La Chine n'est ainsi que le 21e marché au monde (derrière l'Inde), avec l'équivalent de 82,6 millions de dollars en 2013. Le fait que ce pays compte de plus en plus d'internautes et de détenteurs de smartphones donne toutefois des espoirs immenses pour l'industrie.
La logique est d'ailleurs similaire du côté de la Russie. Avec seulement l'équivalent de 69 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2013, le pays est encore un nain face aux plus grands pays (Europe de l'Ouest, Japon et États-Unis). Mais il a tout de même affiché une croissance de 12 %, en grande partie grâce à l'arrivée d'iTunes Store fin 2012. La progression en Afrique du Sud est d'ailleurs certainement liée à la disponibilité de l'iTunes Store en même temps que la Russie.
Du côté de la lutte contre le téléchargement illégal, l'IFPI fait remarquer que l'industrie musicale a par exemple envoyé plus de 100 millions de demandes de retraits de liens vers des contenus illicites à Google depuis le début de l'année. Un nombre qui aurait pu être encore plus élevé selon la fédération sans les limites de requêtes imposées par le moteur de recherche.
Le top singles à la fête, le top albums à la peine
Enfin, tous supports confondus, voici le top des ventes de musiques (de haute qualité) dans le monde en 2013 :
Singles :
- Blurred Lines (Robin Thicke / Pharrell Williams): 14,8 millions d'unités
- Thrift Shop (Macklemore / Ryan Lewis) : 13,4 millions
- Wake Me Up (AVICII) : 11,1 millions
- Just Five Me A Readon (Pink) : 9,9 millions
- Roar (Katy Perry) : 9,9 millions
- Get Lucky (Daft Punk / Pharrell Williams) : 9,3 millions
- Radioactive (Imagine Dragons) : 8,6 millions
- When I Wan Your Man (Bruno Mars) : 8,3 millions
- Screem & Shout (Will.I.Am / Britney Spears) : 8,1 millions
- Stay (Rihanna) : 7,9 millions
Albums :
- Midnight Memorie (One Direction) : 4 millions
- The Marshall Mathers LP2 (Eminem) : 3,8 millions
- The 20/20 Experience (Justin Timberlake) : 3,6 millions
- Unorthodox Jukebox (Bruno Mars) : 3,2 millions
- Random Access Memories (Daft Punk) : 3,2 millions
- Prism (Katy Perry) : 2,8 millions
- To Be Loved (Michael Bublé) : 2,4 millions
- Night Visions (Imagine Dragons) : 2,4 millions
- Artpop (Lady Gaga) : 2,3 millions
- Beyoncé (Beyoncé) : 2,3 millions
Ce top des ventes montre ici que les albums restent bien secondaires en quantité, le numérique aidant à accélérer les ventes de singles, tuant ainsi le format CD. En 2012, même la sixième meilleure vente de singles n'avait atteint que 7,2 millions d'unités, soit moins que la 10e meilleure vente de 2013, ce qui indique une montée en puissance importante du single. A contrario, quatre artistes avaient dépassé la barre des 4 millions de ventes d'albums en 2012, dont 8,3 millions pour Adele. Pour les albums, 2013 ne sera donc pas une grande année, tout du moins pour son top 10.
L'IFPI ne précise malheureusement pas combien de singles et d'albums ont été écoulés en tout l'an passé, que ce soit sous format numérique ou CD. La fédération note par contre que de nombreux pays ont un top 10 (albums) ultra dominé par les artistes locaux. Le Japon et la Corée du Sud affichent même un taux d'occupation locale de 100 % parmi les meilleures ventes, contre 90 % au Brésil, en Italie, en Suède et 80 % en France, au Danemark et aux Pays-Bas. Le cas de la France est symptomatique avec 17 des 20 meilleures ventes qui sont locales, contre 10 des 20 meilleures ventes en 2011.