Hier, Jean-Marc Bordes a remis son rapport sur « l’exposition de la musique dans les médias » à Aurélie Filippetti. Selon l’expression de la ministre, le document veut « améliorer l'exposition de la musique francophone et des jeunes talents » face aux mutations technologiques. Le document s’intéresse à la question du téléchargement illicite, mais aussi aux plateformes et aux services de médias audiovisuels à la demande. Petit tour d'horizon.
Sur la question du téléchargement illicite, Bordes indique déjà qu’ « il est fondamental de maintenir la pression pour tarir toutes les sources illicites de contenus, et s’attaquer fortement aux émetteurs pirates plutôt qu’aux utilisateurs, ainsi qu’à tous ceux qui tirent des revenus directs de la piraterie ».
Ainsi pour la réponse graduée, nulle question de baisser cette « pression ». Le document remis à Aurélie Filippetti estime que la riposte graduée doit au contraire « constituer l’architecture centrale de la lutte contre la piraterie ». Et Bordes de soutenir des deux mains les préconisations du rapport Lescure, lequel demande notamment d’ajouter à la riposte graduée, des actions contre les sites de streaming ou de direct download.
Lutter contre les sites qui extraient les MP3 depuis YouTube
Spécifiquement, le même rapport dénonce aussi ces « nombreux sites web de conversion de fichiers qui proposent d’extraire gratuitement la bande audio MP3 des vidéomusiques présentes sur YouTube pour que l’utilisateur la stocke sur ses appareils d’écoute personnels ». L’auteur demande ainsi à la Hadopi et demain au CSA « de pouvoir prendre la mesure des dommages occasionnés par de telles pratiques et de trouver des solutions pour les réduire au maximum. »
Taxe sur la VàD gratuite
Dans le secteur des nouvelles technologies, le rapport préconise également une taxe sur les services gratuits de VAD financés par la publicité. Puisque l’assiette est indéterminée, le rapport estime qu’il faudra « parallèlement expertiser les modalités techniques et/ou juridiques dont dispose l’administration pour mesurer le nombre de clics par oeuvre, et plus particulièrement le nombre de clics sur les oeuvres qui auront été immatriculées au registre. Il pourrait s’agir de demander également à l’éditeur de services de médias audiovisuels à la demande, puisque YouTube est juste un distributeur, le nombre de clics d’origine française et pourquoi pas, s’agissant d’une société établie en France, la part de recettes qui lui aura été versée par YouTube chaque mois. »
Déclaration d’existence des SMàD
Pour les SMAD, on sait que depuis la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel, ceux-ci sont par principe soumis à l’obligation de déclarer leur existence au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Pour mener à bien ce décompte, « il importe de s’assurer que des SMAD qui diffusent des milliers de vidéomusiques soient bien répertoriés, et il faudra, au-delà des règles d’application territoriale, sûrement un mélange de pédagogie bienveillante et de surveillance stricte pour y parvenir. »
Cette déclaration faite, le rapport rappelle que les services en ligne (VaD, etc.) ont des obligations d’exposition au profit des œuvres cinématographiques et de longue durée européennes et françaises. Un tel principe étendu à la musique risque cependant de poser quelques problèmes. « Si un service veut pouvoir proposer l’ensemble du stock mondial existant de vidéomusiques (ou de titres en écoute audio en cas d’extension à d’autres services culturels numériques), il pourrait être amené, pour respecter cette condition, à limiter la part étrangère du catalogue dès que le nombre de titres étrangers dépasse 150% du nombre de titres francophones. On imagine mal pouvoir imposer cette condition à des opérateurs comme VEVO ou YouTube (ou encore Spotify ou Deezer en cas d’extension) qui constituent des références en matière d’exhaustivité de l’offre, en supposant bien sûr qu’ils acceptent de souscrire un conventionnement volontaire sur leurs opérations en France. »
Alors que les plateformes misent sur l’exhaustivité, « si une partie de l’offre est censurée par une telle mesure, il est probable que les utilisateurs se tourneront à nouveau vers des sites pirates, qui eux proposeront l’intégralité des vidéomusiques. C’est pourquoi la mission demeure à tout le moins sceptique sur l’applicabilité d’une telle condition ».
Le rapport voit d’un meilleur œil l’extension d’une autre obligation pesant sur les SMAD à savoir une exposition spéciale sur la page d’accueil. Une idée « paraît plus réaliste et mérite d’être complétée ». Ainsi l’internaute pourrait se voir proposer sur des plateformes musicales l’option : « Vous souhaitez voir uniquement des contenus de [tel pays] dans votre lot résultat). »
Conventionnement des SMàD, must distribute, must register
Le rapport voit d’un bon angle les préconisations du rapport Lescure qui militent pour un conventionnement des SMAD auprès du CSA. Ces services en ligne se verraient consentir plusieurs « avantages » en échange d’une série d’ « obligations volontaires ».
Parmi elles, une obligation de « must distribute ». Pour le rapport Bordes, il serait judicieux de proposer dans ce conventionnement une obligation d’immatriculation des œuvres au sein d’un registre d’immatriculation qui comprendrait les métadonnées descriptives, des règles de gestion et des empreintes audio et/ou vidéo (must register) (voir à ce titre notre actualité). « La responsabilité de l’immatriculation d’une œuvre au registre est d’abord du ressort du producteur de cette œuvre ; néanmoins en cas de carence du producteur, il faut que le SMAD soit en capacité de réaliser cette immatriculation, et notamment de créer les empreintes digitales. C’est déjà ce qui se passe lorsque YouTube, distributeur de contenus officiels, crée pour le compte des producteurs partenaires des empreintes digitales avec sa technologie Content ID ; et s’engage corrélativement à retirer tout contenu illicite similaire sur sa plateforme. Le conventionnement devrait ainsi prévoir une telle obligation d’alimenter le registre en programmes ».
Brodes voit même plus loin : « on peut même imaginer qu’une obligation d’immatriculation puisse être instaurée de manière systématique en dehors du régime de conventionnement volontaire. » Plus loin, le rapport souligne que « la création d’un tel registre d’immatriculation paraît être une des bases pouvant servir à qualifier les contenus et les services qui les distribuent ». La crainte évidemment pour les hébergeurs qui les utilisent serait la requalification de leur statut, statut qui serait alors calqué sur celui de l’audiovisuel. (On relira ainsi les remarques de l’Asic en réaction au rapport Lescure).
Un tel conventionnement débute cependant assez mal : l’idée a été ainsi accueillie avec griffes et armes par l’Asic, l’association du web 2.0 où Google a bonne place. Lors des auditions au ministère de la Culture, « l’ASIC s’est positionnée fortement contre ce mécanisme de conventionnement volontaire ». Selon l'Asic, « le mécanisme de conventionnement opposable est contestable tant au niveau de son opportunité que de sa légalité. »