Fin 2013, la Commission européenne a lancé une consultation portant sur une éventuelle réforme du droit d’auteur. La France, via le ministère de la Culture, a fait connaître ses positions. Des positions en pleine phase avec celles des ayants droit.
Faut-il réformer le droit d’auteur en Europe ? Faut-il pousser en avant l’harmonisation pour éviter les disparités liées aux pratiques, notamment, de chaque société de gestion collective ? C’est en quelques mots, résumé les questionnements soulevés par la Commission européenne.
Dans la réponse du ministère de la Culture (PDF), la France donne dès les premières lignes sa prise de température. Le pied sur la pédale de frein.
Paris regrette ainsi que le droit d’auteur n’est présenté dans ce questionnaire que « sous l’angle des contraintes qu’il induirait pour les utilisateurs voire, de manière générale, pour l’innovation » alors que « son importance essentielle pour la pérennité et le financement de la création ainsi que pour la diversité culturelle » est placée au second plan. Des critiques en tout point similaire à celles adressées par la SACD, chère à Pascal Rogard.
Selon la France, « les activités culturelles ne sauraient (…) être réduites à de simples activités de consommation, dans la mesure où les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres ». De même, définir une politique européenne du droit d’auteur risquerait « de n’aller que vers une restriction des protections offertes à la création. Que ce soit par la recherche du plus petit dénominateur commun entre les régimes nationaux ou par souci de meilleur fonctionnement d’un marché intérieur parfaitement fluide, les choix retenus risquent d’aller toujours dans le même sens d’une protection a minima ». Une horreur.
Une harmonisation non souhaitable
La Rue de Valois ne veut pas entendre d’un tel gros mot à l’échelle de l’Europe. « Une harmonisation complète du droit d’auteur en Europe n’est un objectif ni réaliste ni souhaitable. D’autre part, le besoin d’une harmonisation accrue n’est en aucune façon établie ». La ministre socialiste veut surtout privilégier le cadre contractuel qui « n’a pas épuisé, et de loin, toutes ses potentialités ». À titre d’exemple, elle rejette l’idée de légiférer en Europe pour « une exception pour le prêt de livres numériques en bibliothèques, alors que les modèles économiques sont en train de se mettre en place et qu’une exception en la matière pourrait exercer un évident effet d’éviction sur la commercialisation des livres numériques ».
Bref, plutôt qu’une harmonisation, Aurélie Filippetti préfère donc mettre en avant « les acquis enregistrés par chacun des États membres ». Et l’ex-opposante à Hadopi d’applaudir chaleureusement « la mise en place d’un dispositif dit de réponse graduée par l’envoi massif de messages d’avertissement pour sensibiliser les internautes qui téléchargent illégalement ».
Pas de revente des fichiers numériques d’occasion
Au fil des 27 pages du PDF, la ministre considère aussi que le marché de l’occasion des œuvres numériques n’est pas envisageable.
Selon la France, « les textes de l’Union européenne et internationaux ne prévoient le principe de l'épuisement du droit de distribution que pour les copies matérielles des œuvres protégées par un droit de propriété intellectuelle, c'est-à-dire des supports physiques d’une œuvre ». Cette règle de l’épuisement interdit à l’ayant droit de contrôler les reventes des copies légalement achetées. Pour Paris, ce principe serait inapplicable pour les copies numériques, mais ne vaudrait que pour les supports physiques (CD, vinyle…)
Mais quand bien même le droit le permettrait-il, il est hors de question de voir poindre un LeBonCoin.fr du MP3 en France : « un marché de l'occasion d’œuvres numériques viendrait directement concurrencer le marché des œuvres numériques, tant il est difficile d'imaginer une différenciation ou une altération des œuvres numériques neuves par rapport à celles qui seraient commercialisées sur un marché de l'occasion ». Autre crainte : « l’existence d'un tel second marché aurait également des incidences sur le principe même de la copie privée. En effet, il paraît difficilement envisageable de s'assurer que les copies privées réalisées par l’acquéreur initial ne soient plus conservées en cas de revente d'une œuvre numérique ».
En somme, les consommateurs sont donc priés d’acheter leurs œuvres à prix fort et de ne pas les revendre d’occasion sans autorisation.
Protection du droit d’auteur : 70 ans, c’est très bien
Mais faut-il toucher à la durée de protection du droit d’auteur, les fameux 70 ans après la mort du créateur ? Loin du monde, tout est parfait ! « La durée de 70 ans est fondée sur un modèle d'affaire concret et réel puisqu’elle constitue la durée retenue pour assurer la rémunération des auteurs et de leurs héritiers qui ont pour charge la diffusion de l’œuvre de l'auteur défunt ».
Mais est-ce qu’Internet n’a-t-il pas rendu plus nécessaire cette remise en cause ? « Cette réalité économique n'a pas été modifiée par l'Internet » tambourine Aurélie Filippetti. « Par ailleurs, la durée de protection des droits d'auteur et des droits voisins n'est pas la plus longue qui existe au regard de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle ».
Pas touche à la copie privée !
Comme les ayants droit réunis au sein de la Commission Copie privée, Aurélie Filippetti ne veut toujours pas entendre parler d’une harmonisation de ce prélèvement sur les supports d’enregistrement. « Les autorités françaises plaident en priorité et de préférence à tout exercice d’harmonisation accrue, pour une application pleine et entière du cadre communautaire de cette exception et en particulier pour que les États membres qui mettent en œuvre l'exception de copie privée, observent l'obligation de résultat, posée dans la directive et rappelée par la jurisprudence « Opus », de l'assortir d'une rémunération ». En clair, plutôt qu’harmoniser, appliquons ce prélèvement dans toute sa puissance, par exemple en « taxant » tout et n’importe quoi.
Pour la Rue de Valois, en effet, « la circonstance que certains appareils ne soient utilisés que de manière résiduelle à des fins de copie privée n’empêche pas l’application de la redevance pour copie privée sur ces équipements, dès lors que ces derniers permettent la réalisation de copies à usage privé. » Cela permettra par exemple de justifier de la copie privée sur les GPS ayant le malheur de posséder un peu de mémoire ou sur les DVD utilisés par les laboratoires d’analyse médicale pour y stocker des IRM. D’ailleurs, la ministre prône « une appréciation globale du préjudice et non pas individualisée en fonction de chaque utilisateur ». Le maximum de support doit être soumis à redevance même si ce support sert « résiduellement » à de la copie privée.
Et pour les professionnels qui achètent ces supports alors qu’ils n’ont pas à payer ? Pas de problème ! « Le mécanisme de remboursement permet de tenir compte, de façon individuelle, des utilisations non privées » rétorque Aurélie Filippetti qui oublie de préciser que le remboursement est quasiment impossible en France depuis la transposition de la directive de 2001 sur le droit d’auteur et même depuis la loi du 20 décembre 2011 qui devait enfin le permettre. Une loi très inspirée par les ayants droit.
La ministre soutient aux oreilles de Bruxelles que « depuis le 1er janvier 2012, date d’entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 2011, un dispositif de remboursement a en outre été mis en place ». Mais elle ne décrit pas la sèche réalité qu’elle a elle-même organisée en obligeant le professionnel à fournir à Copie France une facture mentionnant le montant de la copie privée (voir notre petit test).
De fait, suite à un texte administratif tardif, il faudra attendre le 1er avril 2014 pour que ce remboursement soit théoriquement possible. Mais tout ne sera pas encore rose puisque le coût administratif des demandes de remboursement sera parfois supérieur au montant prélevé au titre de la copie privée ! (voir cette interview). Résultat : de nombreux pros seront « désincités », et les ayants droit pourront continuer à butiner sans danger.
Celle qui ne veut pas entendre parler d’harmonisation de la copie privée et qui milite pour une « taxation » large, a surtout la tête dans les nuages. La ministre défend ainsi que l’idée selon laquelle « devrait pouvoir être reconnu le caractère substituable de certaines technologies utilisées par les services d'« infonuagique » aux méthodes classiques de réalisation de copies privées ». En clair, il faudrait peut-être tenir compte des copies réalisées dans les services de « cloud » pour sacraliser ou même gonfler encore ces prélèvements si parfaits.
La responsabilité des intermédiaires techniques
Aurélie Filippetti ne va pas jusqu’à exiger une réforme du droit de la responsabilité des intermédiaires techniques, comme le voudrait pourtant la SACD. Elle se contente d’une forme interrogative : « il faut se poser la question de l’impact qu’exerce sur l’économie de la création et de la distribution légale de contenus le régime allégé de responsabilité prévu par la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique ».
Plus précisément, la ministre sort cette fois le critère de l’harmonisation de sa poche. Si on ne doit pas unifier le droit d’auteur, il serait judicieux de trouver des solutions européennes contre ceux qui sont accusés de tous les maux. C’est en substance ce qui est dit ici :
« Les autorités françaises estiment que la priorité doit être donnée à la recherche des solutions appropriées pour le droit d’auteur à l’ère numérique et notamment à la lutte contre la contrefaçon des contenus sur internet, à la rémunération de la création et à la facilitation des usages légaux. Dans ce cadre, un renforcement de l'harmonisation des procédures et moyens d'actions est nécessaire afin de conduire une lutte efficace contre les sites illégaux.
En revanche, l’établissement d’un cadre unitaire pour le droit d’auteur à l’échelon européen ne saurait constituer une priorité pertinente. En effet, les traditions juridiques différentes au sein des États membres ne permettent pas d'envisager aujourd’hui une démarche en ce sens. »
Qu’a la ministre en tête ? Il serait par exemple utile d’obtenir dans tous les États membres « des injonctions à l’encontre des intermédiaires si leur responsabilité n’est pas établie ». En effet, « il apparaît donc nécessaire aux autorités françaises de préciser que des injonctions peuvent être prises à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par le contrefacteur dans le cadre de son activité contrefaisante et ce, indépendamment du fait que la responsabilité de l'intermédiaire ait été ou soit mise en cause ».
Cette mise en cause des intermédiaires est justement la pierre angulaire du système défendu par Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits à la Hadopi, ou encore Pierre Lescure. Tous les deux recherchent des solutions permettant d’impliquer au plus tôt les intermédiaires afin de les inciter à nettoyer, bloquer ou filtrer les contenus jugés nauséabonds par les ayants droit. En cas de résistance, ces acteurs du numérique pourraient in fine voir leur responsabilité engagée sur la base notamment de l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Gageons que les ayants droit et la ministre de la Culture sauront sensibiliser la Commission européenne, puisque Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, a été élu à la tête du European Regulators Group for Audiovisual Media Services (ERGA). Soit l’ensemble des CSA qui aura pour rôle de souffler la bonne parole aux oreilles de Bruxelles.