Si la France fut placée « sous surveillance » par Reporters sans frontières en 2011 et 2012, l’Hexagone bénéficie d’un certain répit depuis que le rapport annuel de l’association concernant la cyber-censure ne s’intéresse plus qu’aux « Ennemis d’Internet ». Cette année, notre pays est néanmoins mentionné dans ce volumineux rapport, notamment en raison de l’adoption de la loi de programmation militaire.
Depuis quelques années déjà, le 12 mars est synonyme de « journée mondiale contre la cyber-censure ». Pour l’occasion, l’association Reporters sans frontières (RSF) publie un rapport annuel afin de distribuer les mauvais points. Si ce document épinglait auparavant les pays « Ennemis d’Internet » et ceux placés « Sous surveillance », l’organisation a dorénavant élargi son champ de vision, en mettant également à l’index les entreprises accusées de vendre du matériel de surveillance à des pays peu recommandables. L’année dernière, cinq pays et cinq sociétés étaient ainsi mis à l’index : la Syrie, la Chine, l’Iran, le Bahreïn et le Vietnam du côté des États, puis Amesys, Gamma, Trovicor, Blue Coat et Hacking Team pour les sociétés.
Le Royaume-Uni, « champion du monde de la surveillance » grâce au GHCQ
Pour l’édition 2014 de son rapport, RSF a encore innové en pointant cette fois du doigt 32 « institutions » considérées comme des Ennemies d’Internet. Plutôt que de viser d’une manière large un pays dans son ensemble, l’association a préféré épingler des structures bien précises telles que la NSA, la désormais célèbre agence de renseignement américaine. Car si les États jugés démocratiques étaient jusqu’ici plutôt épargnés, RSF inscrit cette année sur sa liste noire différentes agences, à l’instar du Government Communications Headquarters (GCHQ), l’homologue britannique de la NSA - dont certaines pratiques ont également été dévoilées grâce à Edward Snowden. L’Angleterre est par ailleurs présentée comme une « championne du monde de la surveillance ».
« Les pratiques de la NSA aux États-Unis, du GCHQ au Royaume-Uni et du Centre de développement des télématiques en Inde n’ont rien à envier à leurs homologues chinois, russes, iraniens ou bahreïnis », relève ensuite le rapport de RSF. Sans grande surprise, les cinq pays « Ennemis d’Internet » en 2013 sont à nouveau mis à l’index. En Chine, c’est le Bureau d’État de l’information sur Internet (SIIO) qui est dénoncé, en Syrie, c’est le FAI gouvernemental « Syrian Telecommunications Establishment » ainsi que la « Syrian Computer Society », etc. Aux yeux de l’association, toutes les institutions épinglées ont « largement outrepassé leur mission originelle pour se livrer à une censure et une surveillance sans bornes des acteurs de l’information ». En plus des agences ou entreprises déjà citées, l’on retrouve par exemple le FSB russe ou bien le Conseil suprême du cyberespace iranien.
La France mise à l'index pour avoir accueilli des « dealers de la surveillance »
Cette année, plus question non plus de mettre les lumières sur des sociétés en particulier, les « mercenaires numériques ». En effet, Reporters sans frontières a préféré dénoncer les salons d’armement, ces lieux privilégiés de rencontre pour les « dealers de la surveillance » selon les termes employés par RSF. Et c’est là que la France commence à être citée...
En juillet dernier, Lyon a en effet accueilli le forum TAC (Technology Against Crime), où était d’ailleurs intervenu le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. PC INpact était également présent. Comme le relève aujourd’hui RSF dans son rapport, deux sociétés qualifiées d’ennemies d’Internet en 2013 avaient alors un stand afin de présenter leurs solutions et services : Hacking Team et Gamma. Ces dernières avaient d’ailleurs refusé de nous parler (voir notre article : « Dans les couloirs du TAC, des sociétés de cybersurveillance bien discrètes »). À quelques pas de là, se trouvaient des représentants d’États tels que l’Iran, la Chine ou le Zimbabwe.
Un second événement ayant eu lieu en France est épinglé : du 19 au 22 novembre 2013, s’est tenu à Paris la 18e édition du salon Milipol, « où l’armement conventionnel côtoyait les technologies numériques » explique RSF.
RSF tance le double langage du gouvernement sur les armes de surveillance
« La censure et la surveillance par les institutions ennemies d’Internet ne seraient pas possibles sans les outils développés par les sociétés privées fréquentant les allées et les stands de ces salons » note l’organisation. RSF voit d’ailleurs là un double discours de la part des pouvoirs publics : « Il convient de pointer le comportement ambivalent des démocraties occidentales : en 2013, TAC et Milipol étaient tous deux accueillis par la France. En décembre de la même année, cette dernière publiait pourtant un avis contraignant les sociétés françaises exportatrices de matériel de surveillance hors Union européenne à demander une autorisation auprès de la DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services) ».
Stands du forum TAC de Lyon - Juillet 2013.
Si RSF s’était vivement félicitée de ce premier pas que constituait la publication de cet avis contraignant (voir notre article), l’association continue de militer dans son rapport pour une transposition de ces dispositions au niveau des Vingt-Huit. Le gouvernement travaille d’ailleurs pour qu’un tel contrôle des exportations du matériel de surveillance soit traduit dans un règlement européen, comme il l’avait annoncé au travers de sa feuille de route dédiée au numérique. De source diplomatique, une telle traduction devrait cependant prendre encore « un ou deux ans ».
La LPM et le projet de loi sur l’égalité femme-homme épinglés
Nombreuses sont les agences de renseignement épinglées cette année par RSF : la NSA, le GCHQ, le FSB, l’Unité des services d’Internet en Arabie Saoudite, le Centre analytique des opérations du Belarus, etc. Mais pour l’association, « cette tendance à instrumentaliser la sécurité nationale pour justifier des atteintes aux libertés fondamentales se retrouve dans d’autres institutions que celles épinglées dans ce rapport ». En l’occurrence, la France est à nouveau citée en raison de sa contestée loi de programmation militaire, qui fut promulguée à la mi-décembre.
Reporters sans frontière note au passage que le Parlement a adopté ce texte « à la hussarde, malgré les protestations de nombreuses organisations de défense de droits de l’Homme ». Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, l’article 20 de cette loi permet la mise en place d’un véritable « Patriot Act à la française » d’ici au 1er janvier 2015. Mais les reproches demeurent. L'association continue ainsi de dénoncer dans son rapport les termes « larges et évasifs » employés par cet article.
Autre point d’inquiétude de RSF : le fait que les pouvoirs publics « demandent de plus en plus souvent aux intermédiaires techniques, fournisseurs d’accès et hébergeurs, de jouer les gendarmes du Net ». Ici non plus, la France n’est pas épargnée. Plusieurs textes récents viennent en effet appuyer cette tendance. L’association fait ainsi référence au projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui - même s’il n’est pas encore définitivement adopté - a attiré son attention. Et pour cause, son article 17 va accentuer la responsabilité des intermédiaires, FAI et hébergeurs, dans la lutte contre les contenus sexistes, homophobes et handiphobes (voir notre article).
L'association lance un appel à la mobilisation en cette journée anti-censure
« Au-delà de la dénonciation, c’est l’action qui permettra de mettre fin à ces pratiques indignes » conclut Reporters sans frontières. Si l’organisation a déjà mis en place des outils et proposé des instructions permettant de contourner certains dispositifs de censure (au travers notamment de la plateforme We Fight Censorship), elle en appelle aujourd’hui à la mobilisation des internautes. Une campagne de sensibilisation en ligne est ainsi lancée, afin d’inciter les gens à interpeller les responsables politiques sur les réseaux sociaux et/ou en adossant à leurs photos de profil le logo « contre la censure en ligne » de RSF.