L’association gérant l’annuaire en ligne « Actes-Types.com » vient d’être condamnée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à payer une amende de 10 000 euros. Et pour cause : depuis plus de cinq ans, les responsables de cet annuaire refusaient d’effacer des données concernant des personnes y figurant, au motif qu’il s’agissait de professionnels et que ces informations étaient disponibles par ailleurs sur Internet. Explications.
L’annuaire « Actes-Types.com » avait déjà été épinglé en septembre dernier par 60 millions de consommateurs, mais les investigations des services de la répression des fraudes avaient conclu quelques semaines plus tard qu’il n’y avait aucun manquement vis-à-vis du droit de la consommation. Pourtant, le magazine s’inquiétait des pratiques discutables mises en place par les administrateurs de cet annuaire en ligne. Ce dernier propose en effet les coordonnées de professionnels du droit (avocat, huissier, etc.) en renvoyant l’internaute non pas vers le véritable numéro de téléphone du correspondant recherché, mais vers un numéro surtaxé pouvant commencer par exemple par « 08 99 ». Bien souvent, les professionnels n’avaient même pas donné leur accord pour une telle utilisation de leurs coordonnées téléphoniques...
Captures extraites du site annuaire.actes-types.com
Finalement, c’est sur le fondement de la loi « Informatique et Libertés » que l’association gérant cet annuaire en ligne, Juricom, a été condamnée. La CNIL a en effet annoncé hier avoir prononcé une sanction pécuniaire de 10 000 euros à son encontre (voir la délibération de l’autorité administrative, en date du 29 janvier).
Un litige vieux de plus de cinq ans
Mais il était temps ! Les premières plaintes concernant cet annuaire en ligne remontent en effet à 2008, il y a plus de cinq ans. Plusieurs professionnels du droit (des avocats, des experts judiciaires,...) avaient averti la CNIL qu’ils n’arrivaient pas à en sortir puisque malgré leurs demandes, les administrateurs d'Actes-Types refusait systématiquement d’effacer les données les concernant.
En novembre 2010, l’autorité administrative avait effectué un contrôle sur place, à Paris. Le responsable de l’association Juricom expliquait alors à la CNIL qu’il s’opposait au retrait des données d’un professionnel tant que ce dernier restait en activité. Deux mois plus tard, l’institution mettait en demeure l’association de faire le nécessaire pour tenir compte du droit d’opposition auquel peuvent prétendre les individus dès lors qu’il y a traitement de leurs données personnelles. Nous étions alors en janvier 2011. S’en sont suivies deux autres mises en demeure de la CNIL, prises en octobre 2012 et novembre 2013. Entretemps, les plaintes reçues par l’autorité administrative continuaient de s’accumuler...
Le fait que les données soient déjà publiées sur Internet ne change rien
Le 13 décembre dernier, l’institution a finalement décidé d’ouvrir une procédure de sanction à l’encontre de Juricom, la CNIL ayant constaté « que les données relatives à l’ensemble des plaignants figuraient toujours sur le site de l’association, et que l’attitude de celle-ci rendait manifeste sa volonté de faire obstacle au bon déroulement de la procédure ». Et le couperet est finalement tombé en janvier dernier : aux yeux de la CNIL, il y a bel et bien manquement à l’article 38 de la loi « Informatique et Libertés » de 1978. C’est cet article qui prévoit que toute personne physique a le droit de s’opposer, pour « des motifs légitimes », à ce que des données personnelles la concernant fassent l’objet d’un traitement.
Juricom se défendait en affirmant que les données personnelles en question, principalement des coordonnées téléphoniques, concernaient des professionnels et provenaient de registres publics. Mais la CNIL a estimé que ces arguments ne dispensaient en rien l'association de respecter les dispositions de l'article 38 de la loi de 1978. À ses yeux, « il est certain que les noms, qualités et coordonnées de professionnels constituent des données à caractère personnel au sens de la loi, y compris, comme en l’espèce, des professionnels du droit dont les coordonnées sont publiquement disponibles ».
L’institution enfonce le clou : « le fait que les données des plaignants soient librement accessibles sur Internet ne fait pas obstacle à leur droit d’obtenir leur rectification ou leur effacement ». En somme, ce droit d’opposition est bien valable, même si ce sont des professionnels, et même si leurs coordonnées sont déjà disponibles ailleurs (par exemple sur les Pages Jaunes ou sur leur propre site Internet). La CNIL souligne ainsi que « ce droit demeure applicable quelle que soit la nature de[s] sources ».
Faute de suite favorable aux demandes d'opposition, Juricom a violé la loi de 1978
Seule condition toutefois, avoir un « motif légitime » pour demander l’effacement des données. En l’occurrence, les plaignants étaient bien justifiés à effectuer de telles demandes selon la CNIL, qui explique que certains professionnels du droit ont une interdiction de faire de la publicité, sous peine de sanctions disciplinaires ; tandis que d’autres arguaient d'une atteinte à leur réputation « en raison du remplacement de leurs coordonnées téléphoniques réelles par des numéros surtaxés ».
En n’ayant procédé à aucun effacement suite aux multiples demandes des plaignants, dont certaines remontaient à plus de cinq ans, Juricom a donc bien manqué à ses obligations d’après la CNIL. D’où l’amende et la publication de la délibération correspondante.
Notons enfin que c’est sur le même fondement juridique que Google a récemment été condamné par le tribunal de commerce de Paris, l'entreprise américaine ayant ainsi été enjointe à supprimer plusieurs associations suggérées par ses fonctionnalités « Google Suggest » et « Recherches associées » entre le nom d’un plaignant et des termes connotés négativement (voir notre article).