En février 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’il est légal de pointer un lien hypertexte vers un article de presse sans autorisation de son auteur. Cependant, en réponse à une consultation européenne sur le droit d’auteur, la SACD relativise lourdement ces conclusions.
Le litige tranché en février 2014 était né en Suède. Il opposait des journalistes à un site qui avait publié des liens vers leurs articles. Selon ces auteurs, le site devait les indemniser pour ces liens. Pourquoi ? Car l’article 3 de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001 donne aux ayants droit le pouvoir exclusif d’interdire ou d’autoriser « toute communication au public de leurs œuvres ».
La CJUE a cependant répondu négativement à leurs vœux : fournir un lien vers des œuvres librement disponibles sur un autre site n’est « pas un acte de communication au public » et ce « faute de public nouveau » (voir nos explications plus en détail). Puisque le lien n’est pas une « communication au public », les conditions de l’article 3 ne sont pas réunies et le lien est en principe libre. En principe, car lorsqu’un site contourne par exemple des mots de passe protégeant l’accès à ces écrits, alors il y a bien « communication au public ». En effet, selon la CJUE, le public drainé par ce lien est « nouveau ». D’où l’exigence d’une autorisation et un monnayage possible.
Des réactions contrastées
Cet arrêt « Nil Svensson » du 13 février 2014 a suscité des réactions contrastées. Le juriste Calimaq, membre de la Quadrature du net, considère ainsi que si avec cette décision « la liberté de faire des liens hypertextes sort renforcée (…), il n’est pas certain qu’à plus long terme, le fait d’avoir soumis les hyperliens aux principes du droit d’auteur soit une bonne chose (…) Ce qui est le plus inquiétant dans cette décision Svensson, c’est de voir l’un des dispositifs les plus essentiels au fonctionnement du Web basculer sous l’emprise du droit d’auteur, alors que jusqu’à présent il était resté dans une "zone grise" de non-régulation relative. »
Françoise Castex, eurodéputée, jugera quant à elle que cet arrêt a « une portée en fait limitée. Il n’est toujours pas légal de faire un lien vers une œuvre qu’un auteur n’a pas voulu diffuser librement sur Internet ou ne veut plus rendre accessible librement ». Et l’eurodéputée de se demander : « comment la Cour peut-elle avancer, sans le justifier et sans conclusions d’un avocat général pour le dire, que le public auquel le lien était destiné était le même que celui de la publication initiale ? ».
Droit d'auteur et lien sont parfois liés
Du côté de la SACD, l’analyse se recoupe quelque peu avec celle de la parlementaire. Dans une consultation sur le droit d’auteur menée par la Commission européenne, elle rappelle que celui qui diffuse un lien doit toujours réclamer l’autorisation de l’ayant droit lorsque les œuvres protégées sont accessibles à un public nouveau, « c’est-à-dire qui n’était pas pris en compte par les auteurs des œuvres ». Par ailleurs, « à diverses reprises les juridictions françaises ont retenu que l’établissement de liens vers des œuvres dont la communication au public n’avait pas été autorisée constituait une contrefaçon. »
Ainsi, « l’activité d’établissement de liens ne peut donc a priori échapper à l’application du droit d’auteur dès lors au moins que certaines conditions seraient réunies » résume la SACD. Le rapport Lescure sur les genoux, elle souligne aussi que les liens profonds vers une œuvre « peuvent relever d’une autorisation préalable des ayants droit. »
La SACD dubitative sur la décision de la Cour de justice
Pour revenir à l’arrêt de la CJUE, la SACD reste « dubitative » sur les solutions qui y ont été apportées. Selon elle, le lien n’est pas si décorrélé du critère du «public nouveau ». Avec un lien, l’œuvre « touchera davantage le public qu’une œuvre qui n’est disponible qu’à l’adresse où elle initialement mise en ligne. D’ailleurs si les liens sont neutres à quoi servent-ils et pourquoi les établit-on ? ».
Même idée : lorsqu’un site agrège une série de liens à partir de plusieurs sources, cet ensemble de liens « s’adresse à un public spécifique et distinct, qui ne pouvait pas être prévu lors de la mise à disposition initiale de chacune des œuvres de façon séparée ; ce public spécifique n’aurait pas eu accès aux oeuvres sans l’existence d’une sélection de liens ». Bref, pour la SACD, considérer que l’autorisation soit toujours exigible n’est pas si exotique.
Ce n’est pas tout. Pour la SACD, le critère du but « lucratif » devrait également être pris en compte pour déterminer une éventuelle application du droit d’auteur et donc exiger la fameuse autorisation et la rémunération subséquente. « Le moyen le plus efficace pour assurer la rémunération effective des titulaires de droits est de leur reconnaître le droit d’autoriser ou d’interdire l’établissement de liens, au moins lorsque certains critères sont réunis ». Seulement, le doigt sur la décision, elle ne parvient pas à affirmer si « l’existence de recettes [suffirait] à caractériser à elle seule un acte de communication au public ». Face à ses doutes, la société de gestion collective considère que cet arrêt a une portée limitée, bref, que le statut du lien internet reste posé.
Fait épineux pour les SPRD, dans son arrêt, la Cour de Luxembourg a encore jugé qu’un État membre n’a pas le droit de surprotéger le droit exclusif de l’auteur. Une telle ouverture aurait « pour effet de créer des disparités législatives (entre les États membres, NDLR) et donc, pour les tiers, de l’insécurité juridique »…