Hier soir, Vivendi a officialisé la réception de deux offres pour le rachat de SFR de la part d'Altice (l'actionnaire principal de Numericable) et du groupe Bouygues, sans plus de précision. Si Altice de son côté a bien confirmé sa volonté d'acquérir l'opérateur au carré rouge, le groupe Bouygues a fait mieux encore en nous dévoilant certains détails de son offre.
En cas de fusion des deux opérateurs, les parts des actionnaires seront les suivantes
Pas de « départ contraint » mais...
Combien vaut donc SFR aux yeux de Bouygues et quels sont les intérêts d'une éventuelle fusion ? Le groupe de BTP répond à ces questions dans deux documents publiés aujourd'hui. Le duo, s'il était formé, deviendrait un leader en France dans le mobile, le deuxième opérateur dans le fixe et un acteur majeur en Europe en valeur derrière les géants historiques des grands pays et devant Telenor et Telia Sonera. Mais selon Bouygues, quelles seront les conséquences de cette fusion sur l'emploi, l'investissement ou encore les finances ?
L'emploi. Bouygues, s'il ne promet pas d'embauches contrairement au patron d'Altice, indique qu'il n'y aura pas de « départ contraint ». Une jolie formulation qui sous-entend fortement que le nouvel ensemble s'arrangera pour ne pas remplacer les départs à la retraite et qu'un plan de départs volontaires sera mis en place. Il faut dire que le nombre de postes doublons sera important entre les deux sociétés aux activités communes.
Dans ses documents, l'opérateur tente toutefois de positiver les conséquences sur les salariés. Bouygues indique par exemple qu'il s'agit d'un « projet industriel ambitieux, dans un marché recomposé, favorisant les investissements et l’emploi ». Un peu plus loin, il note même que les emplois seront « soutenus par le maintien d’un service client de qualité et une accélération de la dynamique d’investissement dans le secteur ».
Les synergies. Bouygues ne le cache pas et en fait même un argument de poids, les synergies avec SFR sont gigantesques. L'opérateur avance même le nombre de 10 milliards d'euros sur le long terme, dont « 1,4 milliard d'euros sur une année pleine ». 80 % de ces synergies seraient réalisées en à peine trois ans et cela ne coûtera que 800 millions d'euros à mettre en œuvre (sur cinq ans). Sachant qu'en un an, 300 millions d'euros de synergies concerneront l'investissement et le reste (1,1 milliard) seront économisés sur les coûts de fonctionnement.
« La proximité des cultures d’entreprise et la relation de confiance nouée entre les équipes de direction des deux entreprises lors de la mise au point de l’accord de partage de réseaux mobiles sont garantes du succès de l’intégration et de la bonne mise en œuvre des synergies identifiées » explique le groupe Bouygues. Ce dernier précise même que ces synergies permettront de renforcer fortement leurs résultats financiers (EBITDA et flux de trésorerie).
D'ailleurs, Bouygues estime que la valorisation de SFR est d'environ 14,5 milliards d'euros pré-synergies et 19 milliards d'euros post-synergies. Son apport serait donc de 4,5 milliards d'euros de valeur, permettant ainsi d'offrir à Vivendi 10,5 milliards d'euros en cash. La part qui reviendrait à la maison-mère de SFR serait valorisée à 8,5 milliards d'euros selon les calculs de Bouygues.
Les investissements. Sur ce volet, le groupe est bien peu précis. Certes, et c'est logique, le nouveau groupe aura des capacités d'investissement importantes et supérieures à Bouygues seul ou à SFR seul, mais le duo risque toutefois d'être inférieur au cumul des deux sociétés séparées. Après tout, des synergies de 300 000 euros par an dans l'investissement sont vantées par le propriétaire de TF1.
Afin de draguer le gouvernement qui, outre l'emploi, s'intéresse fortement à l'investissement (notamment vis-à-vis de la fibre optique), il est toutefois indiqué dans les documents que cette fusion est « l’opportunité de rétablir la concurrence par les infrastructures garantissant un niveau d’investissement élevé en France ». Une remarque floue confortée par une autre phrase lambda de la part de l'opérateur qui annonce « une capacité d’investissement, d’innovation et d’amélioration de la qualité de service, au bénéfice des consommateurs ».
Seul point réellement positif du côté de l'investissement : l'entrée en bourse. En effet, Bouygues annonce à Vivendi qu'il compte introduire en bourse le nouvel ensemble. Une augmentation de capital qui permettra de renforcer ses capacités d’investissement assure la société. Ce qui nous amène au sujet suivant.
Les actionnaires. Afin de mettre en avant son projet vis-à-vis de celui d'Altice, Bouygues tente de séduire les actionnaires, que ce soient les siens ou ceux de Vivendi. Dans son communiqué, Martin Bouygues, le PDG du groupe, déclare d'ailleurs que « c’est un projet fortement créateur de valeur pour les actionnaires de Vivendi et de Bouygues », ceci grâce aux synergies et aux différentes économies et capacité d'innovation du nouveau groupe.
Il faut surtout noter que si Bouygues détiendra 49 % du fruit de la fusion et qu'il dirigera les opérations, Vivendi en récupérera 46 %. Il profitera donc des bénéfices de l'ensemble sans avoir à gérer l'entreprise, même s'il aura bien évidemment un droit de regard sur toutes les opérations. Vivendi aurait de plus l'occasion de récolter quelques milliards d'euros s'il le souhaitait, puisque Bouygues lui propose de céder 15 % du capital. « Vivendi sera par la suite libre de rendre liquide le solde de sa participation dans le calendrier de son choix » indique-t-on dans le communiqué. Un scénario de départ qui pourrait bien attirer les faveurs de Vivendi, qui souhaite se débarrasser de SFR depuis un moment. Précisons toutefois que Numericable devrait pouvoir proposer une offre plus ou moins équivalente, même si la valeur du duo pourrait être moindre.
Orange, Iliad et Bouygues explosent en bourse, Numericable s'effondre
Si Free n'a pas encore réagi à cette nouvelle, du côté de l'opérateur historique, on se dit attentif à tous les scénarios possibles vis-à-vis de SFR. « Nous serons très vigilants sur l'impact concurrentiel » a ainsi fait remarquer Stéphane Richard, le PDG d'Orange, précisant qu'il n'avait pas de scénario privilégié selon BFM Business. Il sera d'ailleurs interrogé par Hedwige Chevrillon ce soir à 18h30 sur BFM.
Point intéressant, notez qu'en bourse, Orange réalise un bond gigantesque de plus de 9 %, tandis qu'Iliad, la maison-mère de Free, n'est pas en reste avec un bond important de près de 6 % au moment où nous rédigeons ces lignes, s'approchant ainsi de son record historique. L'action de Bouygues affiche aussi une très forte progression (+5 %) tandis que Vivendi croît légèrement (+1,36 %). Et Numericable ? Son action s'est effondrée (-6,47 %). Des chiffres qui indiquent clairement que les actionnaires semblent bien plus optimistes vis-à-vis de l'offre de Bouygues, et que les conséquences sur Free et Orange ne seront en rien négatives.
Quoi qu'il en soit, la décision appartient maintenant à Vivendi, mais pas uniquement. En effet, l'Autorité de concurrence pourrait ne pas voir d'un bon œil la fusion entre Bouygues Telecom et SFR, ce qui ne serait pas forcément le cas de l'offre de Numéricable.