Payer plusieurs centaines d’euros ou être traîné devant la justice pour piratage. Voilà le choix qui est imposé chaque année par des cabinets d'avocats allemands à plusieurs dizaines de milliers d’abonnés à Internet. En 2013, ils furent ainsi (au minimum) plus de 108 000 a avoir ainsi été « avertis ». Un véritable business pour les ayants droit.
En Allemagne, il n’y a pas d'Hadopi ou de quelconque dispositif de réponse graduée. Mais plutôt que de traîner tous les « pirates » devant les tribunaux, les ayants droit optent pour une solution qui s’avère très répandue outre-Rhin : demander directement aux abonnés dont la ligne a servi au partage illicite d’œuvres protégées sur les réseaux peer-to-peer de sortir rapidement leur chéquier s’ils ne veulent pas que des poursuites soient engagées à leur encontre.
En septembre dernier, des Allemands accusés d’avoir téléchargé illégalement un épisode de la série Homeland ont ainsi reçu d’un cabinet d’avocat un courrier les « invitant » à régler la modique somme de 726 euros, et ce afin d’éviter définitivement tout procès de la part de la 20th Century Fox (pour en savoir plus, voir notre article).
Règlement à l'amiable ou poursuites devant les tribunaux
Mais l’ampleur exacte de ce type de procédé, également très répandu aux États-Unis ou en Angleterre, est aujourd’hui délicate à cerner. Le tout se déroulant bien souvent de manière privée et confidentielle, il est en effet bien difficile de savoir combien de ces lettres sont ainsi envoyées chaque année. Sauf que les chiffres dévoilés régulièrement par IGGDAW, un groupe d’intérêts s’intéressant à ce genre de dispositif, permettent d’avoir un élément de réponse (voir ce PDF, sous licence Creative Commons). Un élément de réponse toutefois relatif, puisqu’il n’est constitué que de chiffres fournis sur la base du volontariat par 72 cabinets d’avocats allemands, lesquels représentent pas moins de 446 ayants droit différents.
Ainsi, l’on apprend qu’au cours de l’année 2013, ce sont 108 975 « avertissements » qui ont été adressés par 15 cabinets d’avocats (les autres n’en ayant pas envoyé ou n’ayant pas souhaité donner de chiffres à ce sujet). Près d’un tiers de ces courriers fut d’ailleurs expédié par une seule et même société : la Waldorf Frommer. Ce qui choque surtout, c’est que ce chiffre est quasiment stable par rapport à 2012 (-1,3 %), mais se révèle bien moins important qu’en 2010, où cinq fois plus de lettres avaient été déclarées.
Nombre d'avertissements par cabinet en 2013.
Les sommes exigées étaient assez variables, allant de 250 euros environ à plus de 1 200 euros. Au final, l’IGGDAW arrive à une moyenne de 829,11 euros, tous avertissements confondus. Ramené au plus de 108 000 courriers, on dépasse ainsi les 90 millions d’euros réclamés.
Mais combien de personnes ont effectivement préféré céder suite aux menaces des cabinets d’avocats ? Ils sont au moins 15,4 % selon les chiffres fournis. Il est toutefois impossible de savoir quelles sommes ont été versées par ces individus. Mais en tablant sur la moyenne de 829 euros réclamés, l’on peut supposer que ce total avoisine les 14 millions d’euros pour l’année 2013.
Des Allemands avertis dans près d’un cas sur quatre pour du porno
Pour le téléchargement de quels types de fichiers les abonnés Allemands ont-ils reçu ces avertissements ? Principalement pour des films et des séries (43,9 %), des contenus à caractère pornographique (24,2 %) et des musiques (22,8 %). Les jeux vidéos arrivent en fin de classement (7,1 %), loin devant les logiciels (1,3 %) ou les ebooks (0,7 %).
Ce n’est d’ailleurs absolument pas une surprise de retrouver les films pour adultes en si bonne position. La consommation de ce type d’oeuvre est moins bien vu socialement que celle d'épisodes de séries « grand public » (de surcroît lorsqu’il s’agit de porno gay par exemple), ce qui pousse davantage les abonnés accusés à passer à la caisse, et ce quand bien même ils n’auraient pas téléchargé illégalement les fichiers en question. Car ce business ne joue pas uniquement sur les aspects financiers ou juridiques d'éventuelles procédures, mais aussi sur son volet social. Enclencher un procès, c'est en effet porter les soupçons à l'encontre d'une personne au sein de l'espace public - quelle que soit l'issue finale des poursuites.
Pour mémoire, des Français avaient reçu en 2009 des courriers de l’éditeur allemand de film X Magmafilm, ce dernier réclamant à l’époque une somme de 316 euros, dans un délai de 8 jours, afin d’abandonner toute poursuite à leur égard (voir notre article).