Numérisation : le CSPLA lance une mission sur les œuvres orphelines

Sans père, sans perte

Fin 2014, les États européens auront l’obligation de transférer dans leur législation une directive portant sur les œuvres orphelines. Derrière ce curieux nom se cachent des créations dont les auteurs n’ont pu être retrouvés. Des œuvres sans paternité, mais pas forcément sans intérêts quand se pose la question de leur numérisation. Le CSPLA lance justement une mission sur ce sujet dont PC INpact dévoile la lettre.

 

Alors que le droit d’auteur est un droit insaisissable, perpétuel, imprescriptible et inaliénable, comment gérer la question des œuvres dont on ne connaît plus l’auteur ? La Commission européenne présente justement cette problématique sous l'angle des bibliothèques : « Les œuvres orphelines contenues dans les collections des bibliothèques européennes pourraient rester inexploitées si aucun cadre juridique n’est créé pour rendre leur numérisation et leur affichage en ligne possible légalement ». Et si la bibliothèque, l’archive ou tel service public mettent malgré tout en ligne ces contenus, ils « risquent de se trouver en infraction avec le droit d'auteur ». En clair, quand une bibliothèque veut numériser et diffuser ces œuvres sans famille, à qui demander l’autorisation ?

Un obstacle considéré comme majeur à la numérisation

Une directive de 2012 tente ainsi de remédier à ces difficultés vues comme « un obstacle majeur à la création de bibliothèques numériques ». Le texte voit large, visant les livres, revues, journaux, magazines et autres écrits qu’on trouve dans les bibliothèques, les établissements d'enseignement, les musées et les collections d'archives ou encore les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore. Et cette directive de considérer comme « orpheline » l’œuvre dont le titulaire n’a pas été localisé malgré « une recherche diligente des titulaires de droits », c’est-à-dire de bonne foi, avant utilisation et auprès des « sources appropriées ». La définition de celles-ci relevant de chaque Etat membre.

Les résultats de ces recherches sont ensuite enregistrés dans une base de données européenne auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur, histoire d’éviter ces mêmes quêtes de paternité dans les autres États membres : une œuvre considérée comme orpheline en France, le sera ainsi dans tous les autres pays de l’Union.

 

Évidemment, si le titulaire des droits venait à réapparaître, il serait mis fin à ce statut, avec un bonus : le versement d’une « compensation équitable ». En attendant, les États membres ont l’obligation de créer une nouvelle exception au monopole du droit d’auteur pour la numérisation et la mise à disposition de ces créations.

 

Pour encourager la numérisation, justement, la directive prévoit que ceux qui profiteront des œuvres orphelines « devraient être autorisés à percevoir des recettes de l'utilisation qu'ils en font » et diriger ces fonds vers ces actions, histoire de lancer un processus vertueux (voir notre actualité).

Les inquiétudes de l'univers du libre

Tout n’est cependant pas si rose dans ce monde-là. L’univers du libre avait rapidement dénoncé cet encadrement lorsqu’une proposition de loi similaire fut déposée au Sénat en 2010. Cette proposition « viole sans vergogne le droit d'auteur pour éliminer la concurrence au nom de la défense d'intérêts corporatistes » estiment l'ADULLACT, AFUL et FFII France (lire le communiqué)

 

Le texte ne se préoccuperait ainsi pas « de savoir si cela est conforme au souhait des auteurs dont le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire serait allègrement violé avec la bénédiction parlementaire ». Selon eux, « l'objectif est surtout de se débarrasser de divers concurrents qui sont apparus avec l'économie numérique » car « les promoteurs [du texte] prétendent défendre des auteurs absents, mais [ils] veulent surtout neutraliser les oeuvres orphelines pour promouvoir les leurs. Ce que l'on appelle habituellement un conflit d'intérêts. »

 

Raison de ce courroux, notamment ? Un groupe de travail au sein du Centre Français d'exploitation du droit de Copie (CFC) avait estimé en 2007 que l’encadrement de ce secteur « devrait avoir pour objectifs de réduire strictement le nombre des œuvres orphelines et de prévenir leur apparition » mais également « d’adopter un mécanisme de régulation de la diffusion des oeuvres opposable au modèle économique de la gratuité » (PDF). Pour les partisans du libre, c’en était trop : « On ne peut, pour l'heure, empêcher les auteurs de donner leurs oeuvres gratuitement. Mais comme ils ont alors tendance à ne plus s'en occuper, elles deviennent orphelines et il faut en profiter pour les contrôler et casser le cancer de la gratuité. Au 20e siècle le paiement était la source incontournable du financement de la diffusion. Au 21e siècle, la diffusion gratuite est naturelle, au choix de l'auteur. »

 

livres indisponibles CSPLA

 

Ces questions vont faire l’objet d’une attention particulière au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Dans une toute récente lettre de mission du 14 février 2014 que nous dévoilons ci-dessus, l’enjeu est de « préparer la transposition de la directive » en France. Ce nouveau rapport, confié à Olivier Japiot, membre du Conseil d’État qui a notamment fait un passage au CSA, doit être rendu en juin 2014. Il s’agira d’étudier « les options de transposition en droit français » tout en mesurant « l’impact » de ces dispositions notamment au regard du régime des livres indisponibles. Le CSPLA a déjà mené dans le passé des recherches sur ces questions comme on peut le voir sur cette page relatant les commissions spéciales.

Œuvres orphelines, œuvres indisponibles

L’encadrement des livres indisponibles est en effet voisin à celui des œuvres orphelines, même s’il ne se confond pas. Soulignons à ce titre que le Conseil constitutionnel vient justement de juger conforme des dispositions de la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle.

 

Cette loi institue une base de données publique confiée à la Bibliothèque nationale de France. Le ReLIRE (Registre des Livres Indisponibles en Réédition Électronique) happe alors tous les ouvrages encore sous droit d’auteur, publié en France entre le 1er janvier 1901 et le 31 décembre 2000, mais qui « ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale ou d’une publication sous une forme imprimée ou numérique » (voir la présentation sur le site de la BnF). La SOFIA (société française des intérêts des auteurs de l’écrit), une société de gestion collective, est alors chargée d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de tous les livres inscrits dans cette base de données depuis plus de six mois. Les sommes sont ensuite réparties entre les ayants droit.

 

Comme le résume le rapport Lescure, avec cette loi de 2012, lorsque 10 ans se sont écoulés après la première autorisation d’exploitation pour une oeuvre dont aucun ayant droit n’a pu être trouvé, la société de perception et de répartition des droits « autorise gratuitement toute bibliothèque à reproduire et à diffuser l’oeuvre sous format numérique à ses abonnés. Si un ayant droit réapparaît, il peut exiger le retrait de l’autorisation. »

 

Dans ce régime, l'auteur d'un livre indisponible ou l'éditeur disposant du droit de reproduction sous une forme imprimée de ce livre peut en effet toujours s'opposer à ces opérations. Mais ils doivent le faire par écrit et au plus tard six mois après l'inscription du livre dans le ReLIRE. Au-delà, l’opposition de l’auteur reste possible, mais seulement lorsque ces opérations sont susceptibles « de nuire à son honneur ou à sa réputation. »

 

Le 28 février dernier, le Conseil constitutionnel a estimé ce régime parfaitement conforme à la Constitution puisqu’il a pour « objet de permettre la conservation et la mise à disposition du public, sous forme numérique, des ouvrages indisponibles publiés en France avant le 1er janvier 2001 qui ne sont pas encore entrés dans le domaine public, au moyen d'une offre légale qui assure la rémunération des ayants droit. »

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !