Bouygues Telecom : coup de génie ou suicide programmé ?

On sera rapidement fixé
Bouygues Telecom : coup de génie ou suicide programmé ?

Bouygues Telecom a donc lâché cette semaine sa première bombe de l'année avec son offre internet triple-play à 19,99 euros par mois. Une nouvelle majeure d'un point de vue financier. Bouygues vient en effet de jouer cartes sur table. Son objectif non dissimulé est d'affaiblir la concurrence et en particulier Free. Mais la première victime de cette offre ne serait-elle pas Bouygues lui-même ?

Bouygues ADSL Box Offre à 20 euros

Bouygues réplique dans le fixe l'action de Free dans le mobile

En arrivant sur le marché mobile début 2012, Free avait deux objectifs très clairs. Tout d'abord, assurer son futur. En effet, alors que la concurrence était capable d'offrir des forfaits quadriplay très concurrentiels, Free ne pouvait proposer à ses clients que du triple-play. Un problème majeur à long terme. Les années 2009 et 2010 ont d'ailleurs été assez difficiles pour l'opérateur, qui a heureusement pu rebondir en 2011 grâce à la Freebox Revolution, avant d'écraser ensuite la concurrence en 2012 et 2013.

 

L'autre but de l'opérateur était aussi (surtout ?) d'affaiblir la concurrence. Comme nous l'expliquions dans notre édito dédié à ce sujet en décembre 2012, l'arrivée de Free a eu pour principal impact de réduire fortement les marges de ses concurrents. La 4G a d'ailleurs connu le même sort en décembre de l'année dernière. Les chiffres d'affaires de SFR et Bouygues ont d'ailleurs perdu près de 20 % en deux ans. Une chute gigantesque pour un laps de temps si court. Et la nouvelle sortie de la filiale télécom du groupe de BTP ne risque pas d'arranger la situation.

 

Après Free dans le mobile, Bouygues souhaite donc en faire de même pour le secteur fixe, ce qui peut paraître étonnant après avoir crié sur tous les toits que la perte de valeur dans le mobile était problématique à tous les niveaux. Iliad, société la plus dépendante de ce marché, est logiquement visée. Mais intéressons-nous à Bouygues. Si l'opérateur n'a pas lancé son forfait à 19,99 euros plus tôt, c'est pour la simple et bonne raison qu'il ne pouvait se le permettre financièrement. Son chiffre d'affaires mobile a en effet chuté et réduire ses marges dans le fixe en 2012 ou même en 2013 aurait été une folie. Alors pourquoi maintenant ?

Une marge financière suffisante ?

Ces deux dernières années, trois évènements majeurs ont été remarqués : des licenciements, des discussions avec SFR et le lancement de la 4G couvrant une large partie de la population. Le premier a permis de réduire ses frais et de retrouver le chemin des bénéfices. Le second a un objectif similaire, tout en permettant pourquoi pas de disposer d'une qualité supérieure. Quant au troisième, il est censé tirer les prix vers le haut, ou tout du moins il donne une valeur ajoutée à ses forfaits.

 

Bouygues Telecom 2013


Avec une santé financière en partie retrouvée et un futur partenariat avec SFR qui devrait petit à petit porter ses fruits lors des années à venir, Bouygues Telecom a donc estimé qu'il était temps de passer à l'offensive. Il sera bien entendu très intéressant de suivre les niveaux de recrutement d'abonnés de tous les opérateurs lors des prochains mois, sachant que Bouygues a réalisé une piètre année 2013, hormis lors du dernier trimestre. Mais la question fondamentale est surtout de savoir si son offre est un coup de génie ou un suicide programmé.

Son forfait à 19,99 euros débutera en effet le 3 mars pour tous les nouveaux abonnés (éligibles) et surtout, dès le 14 avril pour les anciens clients, tout du moins pour ceux qui en feront la demande. Dans le cas où la plupart de ses actuels clients éligibles en feraient la demande, les conséquences pour les finances de Bouygues seront cataclysmiques. « Cette offre va surtout faire mal à Bouygues, » analyse un consultant. Sachant qu'entre un quart et un tiers de son chiffre d'affaires est en jeu. « Free parvient à vendre plus cher son “triple play” parce que ses clients veulent de la vidéo à la demande. Bouygues ne réussira pas à attirer ces clients à valeur ajoutée qui rapportent des revenus incrémentaux » a continué ce même consultant. Un point de vue partagé par des analystes d'Exane : « une baisse aussi radicale cannibaliserait significativement le chiffre d'affaires dans le fixe, et donc la rentabilité déjà basse » indiquaient-ils avant même l'annonce de l'opérateur.

 

L'offre de Bouygues n'est accessible à ce prix qu'aux lignes dégroupées par ses soins, lignes qui coûtent à l'opérateur 8,80 euros par mois (hors taxe). Rajoutez divers autres frais, et l'on sait par avance qu'un tel forfait offre des marges réduites. Si Martin Bouygues a assuré que son forfait est profitable, il semble bien que cela ne sera le cas que si l'opérateur recrute plusieurs millions de clients rapidement, l'objectif de 5 millions d'abonnés ayant été officiellement fixé. Aujourd'hui, Bouygues n'en compte que 2 millions, et avec son rythme de l'an passé (167 000 de plus), il lui faudrait... 18 ans pour atteindre son but. Cela signifie donc que l'opérateur compte désormais attirer massivement des clients. Il pourrait par exemple atteindre son objectif en trois ans avec 250 000 nouveaux clients par trimestre. Sur cinq ans, cela ramènerait le nombre de clients supplémentaires à attirer à 150 000 par trimestre.

 

À moins d'un coup de bluff de la part de Bouygues, qui n'aurait pas pour but de recruter massivement, mais uniquement de forcer la concurrence à réduire ses marges (quitte à être lui-même perdant), l'objectif de l'opérateur paraît bien présomptueux. Quand bien même l'annonce a certainement eu un impact auprès de certains clients et les prochains mois seront, sauf surprise, très positifs. Et quand bien même la concurrence n'a guère réagi pour le moment, à l'exception de Free qui a remis au goût du jour son offre à bas prix d'Alice.

 

De quoi nous rappeler qu'il existe en fait depuis longtemps des forfaits vers 20 euros ou moins. Certes moins évolués que le tout dernier de Bouygues, mais présents malgré tout. SFR propose ainsi un forfait à 15,90 euros avec uniquement internet, B&You offre du double-play pour 15,99 euros, Numericable propose un forfait assez complet (sauf pour la TV) pour 19,90 euros la première année (27,90 euros ensuite), et même Orange dispose d'une offre d'entrée de gamme (internet uniquement) pour 21 euros. Dans le passé, des forfaits à moins de 10 euros ont même existé, et grâce aux sites de ventes privées, il n'est pas rare que des offres à prix cassé (9,99 voire 1,99 euro) soient proposées. Mais hormis ces dernières qui sont de toute façon exceptionnelles, les autres ne déplacent guère les foules. Le fait que Free ait sciemment « caché » l'offre à bas prix d'Alice est toutefois un signe que les opérateurs n'ont aucun intérêt à ce qu'un tel prix se généralise.

 

Bouygues ADSL Box Offre à 20 euros


Outre la viabilité financière, l'autre question fondamentale reste donc de savoir si tout le monde compte se ruer vers le forfait triple-play de Bouygues ou non. Au regard des réactions sur les divers sites internet ayant propagé la nouvelle, nombreux sont ceux qui sont prêts à faire le pas. Et il est certain que TF1, qui appartient au groupe Bouygues, fera tout son possible pour que l'annonce ne passe pas inaperçue. Reste que les Français non dégroupés ne pourront pas y accéder à ce tarif et que ceux dégroupés par un FAI autre que Bouygues devront payer huit euros de plus, ce qui réduit déjà grandement l'avantage tarifaire de l'opérateur. De quoi frustrer bien du monde.

Après la guerre tarifaire, la guerre technologique et des "box"

Mais en cas de désertion massive, les opérateurs concurrents auront trois réactions possibles : ne rien faire et risquer de voir partir de nombreux clients, réduire les prix et donc les marges, ce qui pourrait déstabiliser bien des FAI, et enfin, innover. Ce dernier point est fondamental. Comme précisé plus haut, face aux offres quadriplay de la concurrence, Free a malgré tout signé une excellente année 2011 grâce à sa Freebox Révolution. Or il se murmure de plus en plus qu'une nouvelle box devrait voir le jour d'ici la fin de l'année ou en 2015, ce qui avait déjà été annoncé par Xavier Niel lors du lancement de la dernière Freebox, du moins si le calendrier est tenu. Au lieu de réduire à néant ses marges, le groupe télécom pourrait plutôt serrer les dents quelques mois pour ensuite frapper sur le plan technologique. Une logique qui pourrait d'ailleurs très bien fonctionner pour les autres opérateurs, en particulier SFR et Orange.

 

On se rappellera que la Freebox V6 (la Révolution), outre sauver Free d'une rude concurrence, avait aussi totalement éclipsé la Neufbox Evolution, dévoilée un mois plus tôt. Or l'an passé, Xavier Niel n'a pas caché que la Freebox V7 devrait faire tout aussi mal aux autres opérateurs : « Notre Freebox est sortie avec deux ans d'avance et, aussitôt, on s'est mis à travailler sur la nouvelle génération. Croyez-moi, ce qui se prépare est aussi révolutionnaire que ce qu'on a fait avec la Freebox Révolution ! » a-t-il ainsi déclaré l'an passé lors d'une entrevue accordée au magazine 01Net.

 

La Freebox Révolution avait marqué ses concurrents, en particulier SFR. En sera-t-il de même avec la Freebox v7 ?

Assurément, les choix stratégiques des opérateurs dessineront le futur du marché des télécoms. On peut néanmoins affirmer qu'un alignement de tous les FAI sur l'offre de Bouygues est peu crédible tant l'impact économique serait gigantesque, notamment pour Free mais aussi Orange, SFR et Numericable. Qui plus est, Bouygues n'a pas caché que d'autres offres seront proposées cette année. Une arrivera en mai ou juin prochain, « elle cassera les codes » et visera la fibre optique. Il pourrait alors être question d'utiliser la technologie G.Fast qui permet d'atteindre les 1 Gb/s en combinant fibre et ligne de cuivre sur les derniers mètres qui mènent chez le client. Sur la même période, la 4G LTE Advanced fera également son apparition, le printemps sera donc très chargé pour l'opérateur.

 

Une autre verra aussi le jour vers le mois de septembre, une offre réalisée « sur la base d’une innovation technologique qui permettra un avantage tarifaire ». Il s'agira d'une nouvelle box selon les propres mots d'Olivier Roussat, le patron de la branche télécom de Bouygues, lors d'un entretien accordé à BFM TV. Il lui faudra en tout cas être bien supérieure aux futurs boîtiers des autres opérateurs, dans le cas contraire, les conséquences pourraient être dramatiques.

 

Il faut quoi qu'il en soit s'attendre à des mouvements importants lors des mois à venir, que ce soit d'un point de vue technologique avec une nouvelle guerre des « box » et sur le plan tarifaire. Une très bonne nouvelle pour le consommateur, tout du moins si la qualité du réseau n'en pâtit pas.

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