Fraîchement adopté par le Parlement, mais pas encore promulgué, le projet de loi sur la géolocalisation vient d’être sévèrement critiqué par le barreau de Paris, porte-parole des avocats de la capitale. Les professionnels estiment que ce texte contient des dispositions contraires à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui pourrait provoquer à l’avenir de nouveaux déboires juridiques - tels que ceux ayant conduit le législateur à travailler en urgence sur ce projet de loi.
Après une lecture dans chaque chambre puis un accord trouvé en Commission mixte paritaire, le projet de loi de Christiane Taubira sur la géolocalisation a été définitivement adopté lundi par l’Assemblée nationale et le Sénat. Visant à combler la brèche ouverte en octobre dernier par la Cour de cassation, qui avait estimé que de telles mesures de surveillance en temps réel (via un téléphone portable, une balise posée sur un véhicule,...) constituaient « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge », ce texte devrait apporter une nouvelle base juridique aux opérations de géolocalisation ordonnées par les Parquets.
En l’occurrence, le législateur a souhaité donner au ministère public le pouvoir de décider de recourir « à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur », et ce selon plusieurs conditions. Tout d’abord, la personne visée devra être suspectée d’un crime ou d’un délit pénal ou douanier puni d'une peine d'au moins cinq ans de prison. Ce seuil pourra être abaissé aux délits punis d’au moins de trois ans de prison pour certains cas particuliers tels que les atteintes aux personnes ou l’évasion d’un prisonnier, ainsi que dans les cas de recherche de personne en fuite par exemple. D’autre part, au-delà d’un délai de 15 jours, le Parquet devra obligatoirement obtenir l’autorisation du juge des libertés et de la détention.
Une loi « porteuse d’insécurité juridique » selon le barreau de Paris
Mais dans un communiqué publié hier, le barreau de Paris vient de procéder à une descente en règle du texte adopté par le Parlement. L’analyse des avocats de la capitale est assez cinglante : cette loi est « porteuse d’insécurité juridique », dans la mesure où elle constitue « une atteinte grave à plusieurs principes constitutionnels au premier rang desquels figure la protection de la liberté individuelle ». Les professionnels considèrent même le texte comme « contraire aux droits constitutionnel et européen ».
Le barreau fait ainsi valoir qu’en confiant à un représentant du ministère public, et non à un juge, le soin de décider des opérations de géolocalisation - ne serait-ce que pour quelques jours, le législateur a mis au point un texte susceptible de faire subir de nouveaux déboires juridiques aux procédures qui pourraient bientôt être engagées sur cette base. « Le procureur de la République n’est pas, selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), une autorité judiciaire indépendante. En confiant à un magistrat non indépendant la réalisation d’opérations portant une atteinte grave à la liberté individuelle, à savoir des opérations permettant à tout moment et à leur insu la localisation en temps réel des personnes, l’article 1er de la loi méconnait l’article 66 de la Constitution » font ainsi valoir les avocats.
Un coup de semonce prédisant de potentielles censures à venir
Le seuil à partir duquel des mesures de géolocalisation pourront être décidées est lui aussi taclé, puisque présenté comme trop large, malgré le recadrage effectué en CMP sous l'impulsion du gouvernement. Cette fois, le barreau de Paris explique que « c’est l’exceptionnelle gravité et leur caractère organisé qui justifient que certaines infractions limitativement définies puissent faire l’objet d’une géolocalisation méconnaissant le respect de la vie privée ». Or ce recours doit selon les avocats être « strictement nécessaire, c'est à dire, au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, justifié au regard de la gravité des infractions visées ». D’après eux, le projet de loi sur la géolocalisation va au-delà des limites ainsi fixées. « La localisation en temps réel pour les délits d’atteinte aux personnes punis de plus de 3 ans d'emprisonnement » est d'ailleurs décrite comme « disproportionné[e] au regard de l’atteinte grave portée au respect de la vie privée des individus ».
Mais alors, que faire ? D’après Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de Paris, « il suffirait d’appliquer les textes existants en rétablissant le rôle du juge des libertés et de la détention qui, seul, car parfaitement indépendant, doit pouvoir autoriser en amont et contrôler en aval la procédure de géolocalisation ». L’ASIC, l’association des géants du Net, avait elle aussi plaidé pour une telle mesure avant l’examen du texte au Parlement. Plusieurs parlementaires, notamment écologistes, s’étaient eux aussi positionnés de la sorte durant les débats. En vain.
Le Conseil constitutionnel n'a toujours pas été saisi
Ce coup de semonce de dernière minute fait surtout figure d’avertissement. Sauf surprise, le projet de loi devrait être déféré devant le Conseil constitutionnel avant d’être promulgué par le président de la République. Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, avait ainsi annoncé durant les débats qu’elle souhaitait que le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat saisisse les « Sages » de la Rue Montpensier afin que le juge se prononce sur la conformité du texte à la Constitution. Cela permettrait soit de retoucher le texte avant son entrée en vigueur - s’il était censuré, soit d’éviter à l’avenir tout retoquage résultant d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, ni le président de l’Assemblée nationale, ni celui du Sénat, n’ont pour l’heure fait savoir qu’ils suivraient ce souhait de la ministre de la Justice.