Hier, la Commission industrie, transports, énergie (ITRE) du Parlement européen a finalement repoussé de deux semaines le vote des dispositions du Paquet télécom. Dans une note adressée aux autorités européennes, la France a fait connaitre ses positions et émis des réserves sur une trop rapide libération du roaming.
Le « Paquet Télécom » porté par Neelie Kroes veut instaurer un marché unique des télécoms, avec une possible suppression des frais d'itinérance (roaming) pour le mobile en Europe. Justement, dans une note (PDF) que nous avons pu consulter, la France a fait connaître ses positions, appelant « la mise en place d’un cadre stable et équilibré entre les intérêts des consommateurs et la promotion d’une politique industrielle en faveur des investissements dans les nouveaux réseaux ».
Formellement, Paris aurait préféré traiter ces questions dans une proposition de règlement plutôt qu’une révision du cadre règlementaire européen des communications électroniques ( « Paquet télécom »).
Surtout, la France a souligné à ses partenaires « l’importance de garantir des règles du jeu équitables entre les opérateurs de communications électroniques et les acteurs «Over the top » (OTT). Tous les acteurs du numérique doivent en effet être soumis à des régulations et des environnements fiscaux cohérents ». Les autorités françaises du coup « déplorent que les propositions de la Commission européenne éludent complètement cette question et imposent des obligations toujours plus lourdes aux opérateurs de communications électroniques, au risque de les affaiblir davantage alors même qu’ils doivent consentir des investissements importants pour le déploiement des réseaux de nouvelle génération. »
Attention au roaming
Sur la question de l’itinérance européenne ainsi, « les autorités françaises regrettent la révision anticipée du règlement « Roaming III » qui introduit de fortes incertitudes économiques et juridiques, notamment en remettant en cause la mise en œuvre de certaines de ses dispositions (ex : découplage) ».
Si Paris ne se dit pas opposé à la fin des tarifs du roaming et à l’introduction du « Roam like at home » (RLAH), les autorités nationales « considèrent que le RLAH ne doit pas intervenir prématurément ». Prématurément ? La France estime que ces mesures vont se traduire « par une augmentation des prix de vente des offres nationales ». Spécialement, en France « où les prix sont particulièrement bas, ceci risque d’impacter tout particulièrement les offres à bas prix au détriment des consommateurs qui ne voyagent jamais en Europe hors de leur État membre ». Autre chose, la France considère que le calendrier est trop serré pour la mise en œuvre du RLAH. Cela « laisse trop peu de temps aux opérateurs pour s’y préparer et aux instances européennes pour conduire le travail technique complexe nécessaire concernant l’évolution des tarifs de gros ».
Fait notable, Neelie Kroes avait justement estimé que « les consommateurs se restreignent de manière draconienne dans l'utilisation de leur téléphone et finalement, cela ne fait pas non plus l'affaire des entreprises ». Pour elle, « l'itinérance entraîne des coûts supplémentaires pour des millions d'entreprises et une perte de revenus pour le secteur des développeurs d'applications mobiles. L'itinérance n'a aucun sens à l'intérieur d'un marché unique, c'est de la folie sur le plan économique ». Et la vice-présidente de la Commission européenne de citer la France comme le bon élève européen.
Neutralité du net, la France se range du côté de la Commission européenne
Sur le thème épineux de la neutralité du net, la France soutient les propositions de la Commission européenne « dans la mesure où elles garantissent un service d’accès à l’internet de qualité tout en permettant le développement d’offres commerciales innovantes (« services spécialisés ») ». Dès lors, « des obligations de résultat doivent être imposées à l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur sous le contrôle de l’autorité de régulation nationale (ex : fixation d’une qualité de service minimum, pouvoir de règlement des différends, etc.). En outre, les autorités françaises émettent de fortes réserves concernant certains amendements parlementaires apportées à la définition des services spécialisés qui semble restreindre la liberté de commerce ».
La version de la Commission européenne avait cependant été condamnée par la Quadrature du net. « Ce texte biaisé prétend protéger la neutralité du Net en interdisant le blocage et le ralentissement des communications en ligne mais vide ce principe de son sens en autorisant explicitement la discrimination commerciale par le biais de priorisation » (voir notre actualité).
La fiscalité des over the top (OTT)
Sur la révision du Paquet télécom en elle-même, Paris met au chaud la question de la concurrence entre les opérateurs de communications électroniques face à la concurrence des acteurs « over the top » (OTT) établis hors UE. « Les autorités françaises appellent de leurs vœux la mise en place d’un cadre réglementaire européen permettant une régulation ex ante des plateformes de services ou d’applications et imposant notamment la portabilité des contenus, applications et services acquis par les utilisateurs. Elles considèrent que ces mesures combinées à une réforme de la fiscalité européenne sont seules à même de garantir le « level playing field » nécessaire à l’émergence d’un véritable marché unique des communications électroniques ». Seul détail, comme nous l’a rappelé Fleur Pellerin dans une récente interview, la révision des règles fiscales pour mieux appréhender les revenus des acteurs non européens exige une unanimité, loin d’être aisée.