Le projet de loi sur la géolocalisation définitivement adopté par le Parlement

Et bientôt géolocalisé Rue Montpensier ?

Comme on pouvait s’y attendre, l’Assemblée nationale et le Sénat ont définitivement adopté hier le projet de loi sur la géolocalisation, presque deux mois jour pour jour après sa présentation devant le Parlement. Mais avant d’être promulgué, le texte pourrait être déféré au Conseil constitutionnel. C'est en tout cas ce que souhaite la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui a invité les présidents des deux assemblées à agir en ce sens. 

 

La semaine dernière, le projet de loi sur la géolocalisation de Christiane Taubira arrivait en fin de course au Parlement, suite à deux mois de discussions au pas de charge, l'exécutif ayant engagé une procédure d'urgence. Après une adoption par chacune des deux chambres, mais dans des termes relativement différents, la Commission mixte paritaire en charge d’arriver à un accord entre députés et sénateurs avait finalement réussi à trouver un compromis.

 

La version retenue par les sept députés et sept sénateurs siégeant au sein de cette « CMP » faisait la part belle aux desideratas de l’exécutif, prévoyant que le Parquet aurait le pouvoir d’ordonner des opérations de géolocalisation à l’encontre « d’une personne », « d’un véhicule ou de tout autre objet » pendant une durée maximale de « quinze jours consécutifs ». Passé ce délai, tout procureur devra obtenir l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention, qui décidera du renouvellement des mesures en question. Rappelons que le Sénat, tout comme la CNIL, plaidait pour une période de huit jours maximum.

 

De plus, en cas « d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens », tout officier de police judiciaire pourra décider sans attendre de mettre en place des mesures de géolocalisation (via un téléphone portable, une balise posée sur un objet ou un véhicule,...). Cet agent sera néanmoins tenu d’en informer « immédiatement » et « par tout moyen » le procureur de la République, ce dernier ayant alors la possibilité de mettre éventuellement un terme aux opérations.

Le texte retenu en CMP validé par le Parlement (délai de 15 jours, double seuil)

Un des principaux points de friction entre députés et sénateurs concernait la liste des infractions justifiant la mise en place de mesures de géolocalisation sur ordre du Parquet. Finalement, c’est un compromis entre deux seuils qui a été trouvé, puisque le procureur pourra lancer de telles opérations :

  • Lors d’une enquête ou d'une instruction relative à tout crime ou délit puni d'une peine d'au moins cinq ans de prison.
  • Lors d’une enquête ou d'une instruction relative à un délit puni d'une peine d’au moins trois ans de prison et prévu au livre II du Code pénal (relatif aux atteintes contre les personnes) ou aux articles 434-6 (aide à l’auteur d’actes de terrorisme) et 434-27 (évasion d’un prisonnier) du Code pénal.

En somme, le législateur a mis la barre à cinq ans de prison, prévoyant néanmoins des exceptions assez nombreuses pour certaines infractions étant moins sévèrement punies. Deux cas de figure s’ajoutent en outre à cette liste : en cas d'enquête ou d'instruction « de recherche des causes de la mort ou de la disparition », ainsi que pour les procédures de recherche d'une personne en fuite.

 

sénat

Seuls les députés écologistes se sont abstenus

Examiné tout d’abord devant l’Assemblée nationale, le projet de loi adopté en CMP a été voté hier vers 17 heures par les députés, sous l’œil de Christiane Taubira, qui n'a pas manqué de saluer les « beaux compromis » trouvés la semaine dernière par les quatorze parlementaires. La ministre de la Justice avait toutefois soumis un amendement, qui concernait les douaniers. Au travers de ce texte, il est en effet permis aux agents habilités des douanes de décider de mettre en place des mesures de géolocalisation dans le cadre de certaines enquêtes, sur autorisation du Parquet. L’exécutif a cependant préféré à la dernière minute que des cas de figure correspondant à une « enquête douanière relative à la recherche et à la constatation d’un délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans », l’on passe à des délits douaniers passibles de cinq ans de prison. Sans grande surprise, cet amendement de coordination a été adopté.

 

Les députés du groupe écologiste se sont abstenus sur ce texte, puisqu’ils jugeaient que certains points n’étaient pas suffisamment respectueux des libertés individuelles (délai de quinze jours, liste des objets « géolocalisables » non précisée,...). « Nous partons d’une position qui était beaucoup plus dure, je le rappelle, puisqu’au Sénat nous avions voté contre le texte » a souligné le député Sergio Coronado dans l’hémicycle. Les élus du groupe UDI, Front de gauche, UMP et bien entendu socialiste, ont apporté leur soutien au projet de loi.

Les présidents des assemblées invités à saisir le Conseil constitutionnel

Deux heures plus tard, le même texte se retrouvait devant le Sénat. La Garde des Sceaux a une seconde fois plaidée en faveur de l’amendement du gouvernement, qui a été sans grande surprise adopté par les élus du Palais du Luxembourg - de même que l’ensemble du projet de loi.

 

Fait important : Christiane Taubira a renouvelé son souhait de voir le Conseil constitutionnel saisi de ce projet de loi avant que ce dernier ne soit promulgué. « Au nom du principe du procès équitable et du respect des droits de la défense, je maintiens la suggestion que le président de l'Assemblée nationale ou celui du Sénat saisisse le Conseil constitutionnel » a ainsi soutenu la locataire de la Place Vendôme devant les sénateurs. Avec deux hypothèses à la clé : soit le juge « considère que la sécurité juridique est totale, [soit] il suggère une réécriture et nous aurons évité une éventuelle censure a posteriori via une question prioritaire de constitutionnalité ». L’objectif est en effet que le texte soit jugé dès le départ conforme aux dispositions de la Constitution, ce qui écarterait à l’avenir toute censure par les « Sages » de la Rue Montpensier.

 

En vertu de l’article 61 de la Constitution, plusieurs personnes sont autorisées à saisir le Conseil constitutionnel : le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs. Pourquoi le gouvernement ne saisit-il donc pas directement le juge ? « À ce stade et compte tenu du fait que la rédaction définitive du texte provient du Parlement, j’ai le sentiment que si le gouvernement en prenait l’initiative ce serait, d’une certaine façon, une mauvaise manière. Il me semble donc souhaitable que les présidents des chambres du Parlement défèrent le texte » a fait valoir hier Christiane Taubira devant l’Assemblée nationale.

 

taubira

Délai resserré de huit jours pour les cas d'urgence

Sauf surprise, Claude Bartolone ou Jean-Pierre Bel devraient donc saisir le Conseil constitutionnel. Tandis que ce dernier dispose habituellement d’un délai d’un mois pour se prononcer, le gouvernement pourrait lui demander de statuer d’urgence, c’est-à-dire sous huit jours. Ce n’est qu’une fois que le projet de loi sera sorti de la Rue Montpensier que le président de la République pourra le promulguer. La « rustine » visant à colmater la brèche ouverte en octobre dernier par la Cour de cassation sera dès lors en mesure d'être appliquée à notre édifice normatif.

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