Hier soir, à Strasbourg, la Commission industrie, transports, énergie (ITRE) du Parlement européen votait les dispositions du Paquet Télécom de Neelie Kroes portant sur l'itinérance et la neutralité du net. Un vote très attendu, mais qui a finalement accouché d'une souris, puisque repoussé, probablement de deux semaines.
LIBE vs ITRE
Que ce soit des deux côtés de l'Atlantique, la question de la neutralité du net est sur toutes les lèvres ces dernières semaines. En Europe, le Paquet Télécom de Neelie Kroes, qui traite de nombreux sujets et qui a pour ambition principale de créer un marché unique des télécoms, est étudié par les différentes commissions afin que chacune propose ses amendements. Il faut dire que le texte de base va officiellement dans le sens de la neutralité du net, tout en laissant la porte ouverte à des exceptions que certains estiment dangereuses. Le texte pourrait ainsi autoriser les opérateurs à gérer leur trafic selon certains cas (en savoir plus).
Le 12 février dernier, la Commission des libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) avait proposé de très nombreux amendements au texte initial, allant dans le sens d'une véritable neutralité. La Commission a ainsi explicitement rappelé que l'innovation et l'activité économique avaient pour facteur clé le « traitement égal du réseau, sans discrimination, restriction ou ingérence, indépendant de son expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l'appareil, du service ou de l'application, conformément au principe de neutralité du net ».
Un autre amendement de LIBE précise parfaitement que dans un internet ouvert, les opérateurs ne doivent pas bloquer, ralentir, dégrader les contenus, « sauf pour un nombre limité de contenus techniquement raisonnable, clairement défini et non motivé commercialement par des mesures de gestion de trafic ». Ce dernier point est primordial quand on sait que le texte de base indique que les opérateurs peuvent limiter les vitesses et les volumes de données à transférer contractuellement, et qu'il leur est possible de gérer le trafic de manière « raisonnable, » un concept relativement flou.
La problématique des services spécialisés
Hier, c'était au tour de la Commission industrie, transports, énergie (ITRE) d'entrer en scène. Selon la Quadrature du Net, le risque était grand de voir des amendements franchement différents de la Commission LIBE être votés, créant ainsi un internet à deux vitesses. Il faut dire que cette dernière Commission a défendu ardemment la liberté du net, alors que l'ITRE est plutôt concernée par l'industrie. Les intérêts des opérateurs sont ainsi bien plus écoutés et suivis. Selon LQDN, les amendements de compromis de l'ITRE (entre le texte initial et les amendements de LIBE) auraient notamment pu permettre aux opérateurs de :
- dégrader certains types de flux (par exemple le P2P), tout en permettant à d'autres types de flux de bénéficier d'une distribution normale ;
- conclure des accords avec des fournisseurs de services Internet (par exemple YouTube ou Netflix), pour leur assurer un traitement privilégié en tant que soi-disant services spécialisés.
Nous pourrions toutefois noter que le compromis de l'ITRE est en quelque sorte un pas en avant par rapport à la situation actuelle, alors que les opérateurs signent tous des accords avec des sites internet bafouant déjà la neutralité. Néanmoins, la notion de « services spécialisés », telle que citée par l'ITRE, et qui pourraient être avantagés par les opérateurs, est suffisamment floue pour que la Commission laisse craindre le pire.
D'autant plus que Luigi Gambardella, président de l'ETNO (association regroupant plusieurs grands opérateurs européens) et vice-président de Telecom Italia, n'a pas hésité à déclarer que « le principe voulant que tous les types de trafic Internet soient traités de la même façon n'est plus adéquat avec la façon dont Internet fonctionne aujourd'hui, à l'heure où les différents types de trafic ont des besoins différents et ont besoin d'être gérés efficacement ».
Le calendrier chamboulé, le Paquet Télécom en danger ?
Le fameux vote de l'ITRE a toutefois été reporté, que ce soit sur l'abolition des frais d'itinérance pour le mobile en Europe, ou encore la neutralité du net. Le vote pourrait avoir finalement lieu début mars. Notez que les députés européens s'appuieront sur la décision de l'ITRE pour débattre et voter. Ce report pourrait donc avoir de lourdes conséquences sur le calendrier.
Ce nouveau délai fait en tout cas les affaires de la Quadrature du Net ou encore de SaveTheInternet.eu, qui militent pour que les citoyens fassent pression sur leurs députés européens, ceci à l'aube de nouvelles élections. Des élections qui risquent d'ailleurs de retarder le Paquet Telecom, voire de l'annuler, certaines personnalités majeures du dossier (dont Neelie Kroes) risquant de manquer à l'appel.
Retrouvez notre édition de 14h42 sur la neutralité du net ci-dessous :