Adoptée par les députés, la loi « Anti-Amazon » encore loin d’être appliquée

Cric couac

Sans grande surprise, la loi « Anti-Amazon » a été adoptée hier par l’Assemblée nationale. Ce texte, qui mettra fin à la gratuité des frais de port des livres achetés sur Internet, est toutefois encore loin d’entrer en vigueur. Le gouvernement a en effet été contraint de le notifier à la Commission européenne, ce qui va paralyser les discussions parlementaires pour au moins deux mois. Explications. 

assemblée nationale

 

La fameuse proposition de loi dite « Anti-Amazon » était de retour hier à l’Assemblée nationale, après avoir été adoptée en première lecture par les députés en octobre dernier. Pour rappel, ce texte vise à modifier la loi sur le prix unique du livre, de telle sorte que les cybermarchands auront interdiction formelle de cumuler deux avantages qu’ils peuvent aujourd’hui proposer à leurs clients : la gratuité des frais de port et une ristourne de 5 %. Pour l’heure, deux sociétés sont connues pour offrir de tels services en France, Amazon et La Fnac. Cette stratégie menée de longue date par le géant américain est cependant perçue par le gouvernement et les parlementaires comme de la concurrence déloyale, l’entreprise perdant manifestement de l’argent (plus de 2 milliards de dollars au niveau mondial pour le dernier trimestre 2013) afin d’étouffer ses concurrents.

 

Au Sénat, le texte a été musclé. Les élus du Palais du Luxembourg ont en effet souhaité que les frais de port ne puissent plus être gratuits, sauf dans l’hypothèse où le livre acheté sur Internet serait retiré dans « un commerce de vente au détail de livres », c’est à dire dans une boutique, certains « Relais Colis », etc. La mesure se veut principalement psychologique, l’idée étant de « supprimer l’argument commercial du "zéro frais de port" affiché par certaines plateformes et d’offrir l’espoir que le consommateur s’oriente vers d’autres sites de vente de livres » selon les mots de l’auteur de l’amendement ayant amené cette modification de la proposition de loi, la socialiste Bariza Khiari. Dans la pratique, les prix ne devraient vraisemblablement bouger qu’à la marge, comme nous l’expliquions dans notre analyse : « Ce que pourrait changer la loi Anti-Amazon ».

 

Alors que le texte aurait pu être voté par l’Assemblée nationale dans les mêmes termes qu’au Sénat (ce qui aurait signifié une adoption définitive de la loi), il n’en fut rien. La Commission des affaires culturelles n’avait pourtant rien trouvé à redire à la version retenue par les sénateurs, ne proposant aucun amendement...

 

Mais c’est en fait du côté du gouvernement qu’est arrivée la « surprise ». Il s’avère que le texte ne pourra finalement pas être adopté avant plusieurs mois. Et pour cause : le ministère de la Culture a notifié le texte à la Commission européenne à la mi-janvier (voir ici), comme lui impose la législation européenne. Cela signifie que s’est ouvert à ce moment-là une période dite de « statu quo » de trois mois, durant laquelle le texte transmis pour avis à Bruxelles ne peut être applicable. Cette période devrait s’achever le 22 avril prochain, à moins que la Commission n’ait besoin d’un délai supplémentaire. L’on passerait alors de trois à six mois de « statu quo ».

Un « couac » de la Rue de Valois ?

Mais alors que certains voient là une belle « boulette » du gouvernement, cette notification tardive empêchant de fait toute entrée en vigueur du texte, la ministre de la Culture a tenté hier de se justifier (voir le compte-rendu des débats). Selon Aurélie Filippetti, la transmission a été faite « tout à fait dans les temps ». L’exécutif est en effet tenu de notifier à la Commission européenne une version « stabilisée » de la mesure envisagée. L’UMP n’a cependant pas manqué d’attaquer le gouvernement sur ce sujet, d’autant que la mesure n’a guère évolué entre l’Assemblée nationale et le Sénat. « Même si on l’avait notifié après son examen à l’Assemblée, on aurait dû recommencer après le passage au Sénat puisque ce n’était pas le même » a néanmoins rétorqué la ministre de la Culture.

 

filippetti

 

Mais la députée Annie Gennevard a insisté : « Je persiste à penser, madame la ministre, que quelque chose ne s’est pas bien passé de votre côté. Le texte a été adopté en première lecture le 3 octobre 2013. Il était quasiment stabilisé. Il aurait pu être notifié à ce moment ». Aux yeux de l’élue, la Rue de Valois a trop traîné, y compris dans l’hypothèse où elle était contrainte d’attendre l’adoption du texte au Sénat avant toute notification. « Admettons que cette stabilisation n’ait pas été suffisante, il fallait alors le présenter au lendemain de l’adoption en première lecture par le Sénat, le 9 janvier au matin. Or vous avez attendu près de trois semaines, puisque vous l’avez notifié à la Commission européenne aux alentours du 20 janvier (...). Ne nous racontons pas d’histoires : il y a eu, reconnaissez-le, un oubli fâcheux » a-t-elle ainsi asséné.

 

« Nous avons tous notre part de responsabilité, a concédé Aurélie Filippetti, mais, de grâce, dédramatisons ». Jouant la temporisation, la ministre de la Culture a fait valoir que « concrètement, la seule chose que cela changera, c’est qu’une lecture sera ajoutée au Sénat ».

 

Pour faire mieux passer la pilule, la locataire de la Rue de Valois a expliqué qu’en raison « du risque que les acteurs économiques concernés attaquent [le] dispositif devant les tribunaux, le gouvernement se [devait] de conférer la plus grande sécurité juridique à l’ensemble du dispositif. C’est pourquoi il a donc été procédé à sa notification, conformément aux dispositions de la directive, ouvrant une période de trois mois qui pourrait être prolongée de trois mois supplémentaires si la Commission européenne émettait un avis circonstancié au terme du premier délai, avant que le texte ne soit définitivement adopté ».

Amendé, le texte repart finalement au Sénat pour une seconde lecture

Pour prolonger les débats parlementaires le temps que Bruxelles rende son avis, l’exécutif avait concocté un amendement. C’était d’ailleurs le seul à avoir été déposé sur cette proposition de loi. L’amendement en question visait à supprimer le délai de trois mois prévu pour permettre aux professionnels de s’adapter aux dispositions « Anti-Amazon ». Sans grande surprise, les députés se sont résolus à l’approuver. « Si nous sommes persuadés de l’urgence qu’il y a à faire appliquer ce texte, il est de notre responsabilité de parlementaires de faire adopter un texte conforme aux procédures communautaires » a ainsi reconnu l’UMP Christian Kert.

 

Finalement, la proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Avec la modification opérée au travers de cet amendement, le texte repart pour une seconde lecture au Sénat. Celle-ci ne devrait pas avoir lieu avant le mois d’avril, voire au mois de septembre - tout dépendra de ce que décidera la Commission européenne.

Pas d'entrée en vigueur avant avril voire septembre

Mais quand bien même ce texte fut voté à l’unanimité, plusieurs élus ont exprimé leur scepticisme à son égard. Ce fut notamment le cas de la députée Isabelle Attard : « Votre proposition de loi ne peut prétendre changer en profondeur l’état du commerce du livre en France. Certes, il est possible que certains acheteurs passent par leur libraire plutôt que par des sites en ligne. Mais pour l’immensité des achats qui ne peuvent pas être réalisés localement (...) par manque de librairies ou à cause de l’épuisement des stocks, votre proposition de loi ne fera qu’augmenter les marges des multinationales de la vente en ligne » a-t-elle ainsi regretté, renvoyant le gouvernement vers son refus d'appliquer un taux de TVA réduit aux livres numériques sans DRM (voir notre article).

 

L’on notera enfin que le gouvernement apparaît d’autant plus perdant dans cette histoire qu’il avait profité de l’unanimité régnant sur ce texte pour y adosser un beau cavalier législatif : l’autorisation de légiférer sur le contrat d'édition numérique par ordonnance. Les dispositions en question sont maintenues, mais l'exécutif a perdu de précieux mois. 

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