Comme une lettre à la Poste ! Le Sénat a donc adopté hier à l'unanimité la proposition de loi visant à aligner la TVA de la presse en ligne sur celle applicable à la presse « papier ». Cependant la question des redressements fiscaux en cours reste posée à l’égard de ceux comme Arrêt sur Images ou Mediapart qui ont pris l’initiative d’anticiper cette harmonisation bien avant le vote du texte.
Estimant la situation inique, plusieurs titres de presse comme Mediapart, Arrêt sur Images, Indigo Publications ou encore Terra Eco avaient appliqué une TVA à taux réduit sur leurs abonnements en ligne. Jusqu'à maintenant, faute d’harmonisation, les sites en ligne avaient l’obligation d’infliger le taux dit « normal » de TVA à leurs offres commerciales. Alors que la presse papier profite d’une TVA à 2,1 % ceux-ci devaient donc appliquer un taux de 19,6% (devenu 20 % depuis le 1er janvier 2014). L’inégalité est d’autant plus grande que les journaux papier aspirent la majeure partie des aides à la presse, laissant sur le carreau les éditeurs de presse en ligne (voir notre panorama sur la question).
La réalité de ces questions dépasse le cadre de la calculatrice financière et met en jeu la vie de plusieurs acteurs du secteur. Edwy Plenel, par exemple, avait résumé la situation de Mediapart : « un premier redressement de plus d’un million d’euros nous a déjà été signifié fin décembre 2013, de façon aussi expéditive que déloyale, en nous appliquant des pénalités de mauvaise foi jusqu’en 2010 alors même que notre combat a toujours été public ». Si ces procédures aboutissent pour les années 2011 à 2013, « c’est près de six millions au total que le fisc pourrait nous réclamer, soit plus que ce que nous a coûté le financement de Mediapart jusqu’à ce qu’il commence à devenir bénéficiaire ! » Des arguments similaires ont été maintes fois soulignés par Daniel Schneidermann pour Arrêt sur Images.
Du coup, l’attention était forte à l’occasion des débats autour de la proposition de loi visant à aligner ces taux de TVA au nez et à la barbe de Bruxelles, dont les règles imposent cette discrimination visiblement dépassée. La France rejoint là plusieurs pays européens.
Pas de loi rétroactive
D’après le député Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, si cette loi devait être votée, « cela conduira l'administration fiscale à suspendre les contrôles fiscaux ». C’est ce qu’il assurait en janvier dernier. Hier, lors des débats parlementaires, le sénateur vert André Gattolin, a remis une louche d’huile sur ce sujet brûlant « Si les procédures de recouvrement engagées à l'encontre de Mediapart et d'Arrêt sur images aboutissent, elles se solderont par des redressements de plusieurs millions d'euros, faisant du directeur de l'administration fiscale un directeur de publication de facto, situation ubuesque. Une amnistie fiscale devrait être décidée. »
Toute la question en suspens était de savoir si la proposition de loi, alors dans la forge parlementaire, sera ou non rétroactive. Rétroactive, elle passera un coup d’éponge sur ces redressements. Non rétroactive, elle laissera à l’administration le soin d’appliquer la rugosité du livre des procédures fiscales. Problème, le texte ne dit mot sur ce point, même dans sa dernière ligne droite sénatoriale.
«[À l’Assemblée nationale,] Patrick Bloche a rappelé le principe de non-rétroactivité de la loi fiscale. Modifier le texte allongerait la navette, au détriment des éditeurs » a rétorqué David Assouline, sénateur du PS et membre de la commission de la Culture. En clair : ajouter une ligne sur ces questions aurait, appuie le parlementaire socialiste, conduit à rallonger la procédure du vote. Pour couper court aux débats, la ministre de la Culture a expliqué que les procédures en cours ne feront « l'objet d'aucune instruction de la part du Gouvernement, ni dans un sens ni dans l'autre » avant d’ajouter qu’il s’agit là « d’un principe démocratique ». Du coup, « la proposition de loi que vous votez s'appliquera à partir du 1er février, mais ne sera pas rétroactive. »
Sur ces questions, d’autres pistes de réponses peuvent être dénichées dans les débats à l’Assemblée nationale. Bloche y a expliqué par exemple qu’une telle démarche n’a pas de précédent : « il n’existe pas de précédent où la loi fiscale aurait été modifiée rétroactivement dans le but d’éteindre des contrôles en cours. Tout indique, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel ferait jouer sa jurisprudence traditionnelle sur ce qu’il appelle la recherche d’un intérêt général suffisant pour justifier une telle rétroactivité. En l’espèce, avouons-le, chers collègues, un intérêt général serait difficile à démontrer dès lors que la loi s’appuie jusqu’à présent sur des dispositions communautaires parfaitement explicites, sans aucune ambiguïté. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas déposé d’amendement entre l’examen du texte en commission et sa discussion en séance publique ».
La piste de l'amnistie fiscale
Alors ? Une autre piste est ouverte : « une amnistie fiscale devrait être décidée » a exhorté hier le sénateur André Gattolin, envoyant ainsi un geste au Président de la République sur le cas de ces entreprises qui ont eu le tort d’anticiper, mais également de pousser le vote d’un tel texte.
Tout n’est cependant pas si simple en témoignent les arguments discordant du député Thierry Braillard : « si on légifère pour l’avenir, doit-on pour autant effacer l’ardoise du passé ? Il y a là une vraie question, un vrai dilemme, auquel le Gouvernement devra répondre ». Si une amnistie devait être décidée « sur le fondement de la légitimité des revendications, que faire des sociétés de presse qui ont continué à appliquer les lois de la République ? Doit-on les récompenser ? De plus, à l’heure où le consentement à l’impôt s’effrite et alors que des marginaux appellent à ne plus payer l’impôt, cette amnistie serait-elle un bon signal ? Enfin, peut-on accorder une amnistie à certains médias en ligne et ne pas l’accorder aux faits commis lors de mouvements sociaux et syndicaux ? »