Alors qu’un rapport sénatorial réclamait l’année dernière le gel des investissements relatifs à la vidéosurveillance tant qu’aucune étude indépendante n’aurait été menée afin de mesurer l’efficacité de ce type de dispositifs, le ministère de l’Intérieur vient d’annoncer qu’il avait commandé une évaluation en ce sens. Il s’agissait d’ailleurs d’une recommandation assez ancienne de la Cour des comptes.
C’est une véritable salve de questions concernant la vidéosurveillance que le député écologiste Sergio Coronado avait transmis en octobre dernier au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Ce dernier vient d’ailleurs de lui répondre avec plus ou moins de précision... L’occasion de faire un point sur la situation.
L’État a mis près de 150 millions d'euros de subventions sur la table depuis 2007
Combien l’État dépense-t-il chaque année pour les nombreuses caméras de surveillance disséminées sur le territoire, tant au titre de leur installation que pour en assurer le fonctionnement (frais de maintenance, etc.) ? Comme le rappelle le ministre de l’Intérieur, c’est par des subventions accordées au travers du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) que l’État participe en grande partie au développement de la vidéosurveillance en France. C’est donc ce levier que les collectivités territoriales - principalement des communes, les bailleurs sociaux et les établissements scolaires activent afin de prétendre à un coup de pouce financier.
L’on apprend surtout qu’au total, ce sont 144,52 millions d’euros qui ont ainsi été puisés dans le FIPD depuis 2007. Les enveloppes annuelles furent cependant très variables, allant quasiment du simple au triple. De 11,7 millions d’euros en 2008, on est par exemple passé à presque 30 millions d’euros en 2010. L’année 2013 se situe dans la moyenne des sept dernières années, avec 19,69 millions d’euros alloués. À noter que 2 millions d’euros supplémentaires ont été versés en 2010 et en 2011 dans le cadre du plan de relance. Au final, l’on avoisine donc les 150 millions d’euros.
Tout cet argent a servi au financement de « projets vidéo », et ne fut donc pas consacré qu’aux seuls achats de matériel. Néanmoins, l’exécutif précise que 136,23 millions d’euros ont été alloués à l'installation d’au moins 26 614 caméras au bénéfice des collectivités. Ce qui nous donne sur cette base une moyenne de 5 118,73 euros par caméra.
Environ 40 000 caméras sur la voie publique à ce jour
Combien y a-t-il de caméras installées sur la voie publique en France ? Si la seconde question du député Coronado était relativement simple, la réponse du ministère l’est en revanche beaucoup moins... Manuel Valls est en effet incapable de donner un chiffre précis, l’intéressé évaluant à « environ 40 000 » le nombre de caméras installée sur la voie publique.
Et pour cause : le « premier flic de France » explique qu’en se basant sur le nombre d’autorisations par les préfets pour l’installation de caméras, l’on arriverait à 43 230 appareils. Sauf que non seulement ces formalités visent à la fois les caméras « installées sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public », mais il s'avère que de surcroît, toutes les autorisations délivrées ne donnent pas forcément lieu à l’installation d’une caméra.... « Le chiffre obtenu par ce moyen (43 230) est donc sans doute très légèrement supérieur à la réalité » écrit ainsi le ministre de l’Intérieur. La piste des financements sollicités au travers du FIPD se révèle elle aussi peu fructueuse... « Cette information reste une source incomplète dans la mesure où certains élus installent des caméras sans solliciter le FIPD » évacue Manuel Valls, qui préfère donc tabler sur cette évaluation à la louche de 40 000 caméras « environ ».
À titre de comparaison, ce chiffre correspond au double de ce qu’avait indiqué Michèle Alliot-Marie il y a quelques années. « Au 31 décembre 2007, on dénombrait près de 400 000 caméras autorisées en France dont près de 20 000 installées sur la voie publique » affirmait ainsi la ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy en réponse à un parlementaire. Se basant sur un rapport de la Place Beauvau datant de 2011, la CNIL relevait un peu plus tard que l’installation de 897 750 caméras avait été autorisée depuis 1995, « dont 70 003 pour la voie publique et 827 749 pour les lieux ouverts au public (commerces par exemple) ».
Le coût moyen d'une caméra oscille entre 8 650 et 13 800 €
Autre interrogation du député Coronado : quel est le coût moyen d'investissement pour une caméra de surveillance ? Si le ministère de l’Intérieur insiste sur le fait que ce coût moyen « recouvre des réalités très différentes », notamment en fonction du contexte local et du matériel retenu, il est indiqué que celui-ci était en 2013 de « 13 800 € en zone de police » et de « 8 650 € en zone de gendarmerie ».
Concernant les coûts de fonctionnement (maintenance et exploitation), les variations peuvent être une fois encore assez importantes selon la Place Beauvau :
« Le coût en fonctionnement d'un dispositif reste à la charge du propriétaire du système et comprend la maintenance (2 à 8 % des investissements) et l'exploitation qui varie selon l'existence ou non d'un centre de supervision. Si le dispositif se limite à une exploitation à posteriori le cas échéant, ce coût est infime puisque limité au temps passé par un agent désigné à la relecture ou/et à l'extraction des images. Si le dispositif comprend la mise en œuvre d'un centre de supervision, le coût de fonctionnement intègre le salaire des agents affectés à cette veille en direct et leur nombre varie selon le nombre de capteurs à exploiter et selon que le centre de supervision fonctionne en permanence ou seulement à certaines heures. Pour exemple, une centaine de caméras exploitées en direct 7/7 jours et 24 h/24 h implique d'affecter environ une douzaine d'agents à cette fonction. »
La Place Beauvau commande (enfin) une étude sur l'efficacité de la vidéosurveillance
Enfin, Sergio Coronado n’a pas manqué de rappeler au ministère de l’Intérieur l’une des recommandations formulées en 2011 par la Cour des comptes au travers d’un rapport consacré à « L'organisation et la gestion des forces de sécurité publique ». À l’époque, la juridiction regrettait déjà qu’aucune étude d'impact n’ait été réalisée afin de mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance, et ce notamment en raison des montants d’argent public qui y sont consacrés. L’institution plaidait ainsi pour qu’une évaluation soit menée par les pouvoirs publics afin de jauger « de l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique dans la prévention de la délinquance et l’élucidation des délits, selon une méthode rigoureuse [et] avec le concours de chercheurs et d’experts reconnus ».
À ce propos, Manuel Valls annonce au député Coronado que le ministère de l’Intérieur a finalement décidé de suivre l’avis des magistrats du Palais Cambon. Un appel d’offre a effectivement été lancé selon la Place Beauvau, afin qu’un prestataire extérieur soit chargé de mener à bien une « étude indépendante de l'efficacité de la vidéoprotection de la voie publique ». Il est précisé que cette étude « doit se dérouler sur 16 mois » et que « le prestataire retenu sera connu au tout début 2014 ». Autrement dit, rien ne devrait être dévoilé avant l’été 2015 au plus tôt.
Manuel Valls n’a cependant pas attendu les conclusions de cette étude pour se prononcer sur l’efficacité de la vidéosurveillance... Le mois dernier, l'intéressé affirmait ainsi à l’Assemblée nationale qu’il s’agissait d’un outil permettant « de lutter efficacement contre toutes les formes de délinquance ».