Liens hypertexte : la presse ne peut pas réclamer d’indemnités selon la CJUE

Liens chez moi, j'habite chez une copine

Il est tout à fait légal de publier un lien hypertexte vers un article de presse sans avoir à demander d’autorisation à l’auteur de cet article. Et donc sans avoir à compenser financièrement celle-ci. Tel vient d’en décider la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a cependant posé quelques limites à cette interprétation de la législation européenne. Explications.

La Cour de justice de l’Union européenne a répondu hier à une question préjudicielle qui lui avait été transmise par une juridiction suédoise à la fin de l’année 2012. Les juges avaient en effet un doute sur l’interprétation du premier paragraphe de l’article 3 de la directive européenne 2001/29/CE (PDF), laquelle traite du droit d’auteur et de ses droits voisins. Ils avaient ainsi préféré saisir la CJUE.

directive droit auteur

Le litige en question était plutôt simple, puisque des journalistes du « Göteborgs-Posten » attaquaient une entreprise - Retriever Sverige - spécialisée dans le suivi et l’archivage des médias pour avoir publié sur son site Internet des liens hypertextes renvoyant vers leurs articles. Même si ces derniers étaient librement accessibles sur le site Internet de leur journal, les auteurs de ces papiers estimaient que la société devait les indemniser. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de ces journalistes, Retriever Sverige ne leur avait pas demandé leur autorisation avant de procéder à ce qu’ils considéraient comme une mise à disposition de leurs oeuvres. De son côté, l’entreprise se défendait en expliquant n’avoir transmis aucune œuvre protégée, son action se limitant à indiquer à ses clients les sites Internet sur lesquels se trouvaient les articles qui pourraient les intéresser.

La question posée à la CJUE était donc la suivante : le fait de publier un lien hypertexte constitue-t-il une communication de l’œuvre au public au titre de la directive 2001/29/CE ? Une réponse affirmative aurait eu tout simplement pour conséquence de signifier qu’un auteur est libre d'autoriser ou, au contraire, d'interdire toute publication d’un lien hypertexte - et donc de réclamer une compensation le cas échéant. Sur cette base, la demande des journalistes aurait ainsi été fondée.

Sauf que la cour a répondu de manière négative ! Selon la CJUE (voir l'arrêt), la directive européenne visée doit en effet se comprendre de telle sorte que « la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site Internet » « ne constitue pas un acte de communication au public ».

Sans « public nouveau », pas besoin de nouvelle autorisation

Pourquoi ? Parce que les articles en question étaient déjà accessibles pour le public sur le site Internet du Göteborgs-Posten. Ainsi, aux yeux des magistrats, cette mise à disposition des œuvres concernées au moyen d'un lien hypertexte, et sans « aucune mesure restrictive », ne conduisait pas à effectuer une communication des œuvres en question vis-à-vis d’un « public nouveau ». De ce fait, explique la CJUE, « lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale ».

Pour résumer, et c’est là le plus important, la CJUE a estimé que « faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal ». En clair, renvoyer vers un article déjà en ligne au moyen d’un lien hypertexte est tout à fait légal. Il n’y a donc pas besoin d’avoir l’autorisation de son auteur.

Mais ce principe édicté par les juges de Luxembourg vaut cependant pour certaines circonstances bien spécifiques à cette affaire. La juridiction a en ce sens posé des barrières qui pourraient viser d’autres litiges. Tout d’abord, concernant les sites qui feraient croire à leurs lecteurs que l’article auxquels ils accèdent après avoir cliqué sur un lien hypertexte est hébergé sur leurs serveurs. En effet, pour ces situations où « l’œuvre apparaît en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site où se trouve ce lien », la CJUE considère qu’il faut apporter une réponse identique tant qu’il n’y a pas de « public nouveau ». La juridiction explique en ce sens que « cette circonstance supplémentaire ne modifie en rien la conclusion selon laquelle la fourniture sur un site d’un lien cliquable vers une œuvre protégée publiée et librement accessible sur un autre site a pour effet de mettre à la disposition des utilisateurs du premier site ladite œuvre et constitue donc une communication au public ».

Les choses sont différentes dans le cas d'un article protégé

La situation est toutefois complètement différente dès lors qu’il y a contournement de mesures de restriction (mot de passe, etc.) mises en place par un site où se trouvent des oeuvres protégées, comme le font par exemple certains sites de presse n’offrant la lecture complète de leurs articles qu’à leurs seuls abonnés. À partir du moment où il y a une « intervention sans laquelle lesdits utilisateurs ne pourraient pas bénéficier des œuvres diffusées », la CJUE considère qu’il y a « lieu de considérer l’ensemble de ces utilisateurs comme un public nouveau, qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale ». Conséquence : il faut dans ce cas de figure obtenir l’autorisation des titulaires de droits.

La cour précise au passage que cette interprétation vaut également « lorsque l’œuvre n’est plus à disposition du public sur le site sur lequel elle a été communiquée initialement ou qu’elle l’est désormais sur ce site uniquement pour un public restreint, alors qu’elle est accessible sur un autre site Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ».

La cour rejette toute surprotection du droit exclusif par un État membre de l'UE

Enfin, une autre question était posée à la CJUE dans le cadre de cette affaire : un État membre de l’Union européenne peut-il protéger plus amplement le droit exclusif d’un auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles qui découlent du paragraphe 1 de l’article 3 de la directive 2001/29/CE ? En d’autres termes, serait-il licite de surprotéger le droit exclusif afin d’interdire tous les montages possibles de liens vers des œuvres ? Non, vient de répondre la cour de justice. « Admettre qu’un État membre puisse protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend également des opérations autres que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 aurait pour effet de créer des disparités législatives et donc, pour les tiers, de l’insécurité juridique » justifient à cet égard les juges.

Google doit se frotter les mains

L’affaire est finalement repartie devant les tribunaux suédois, qui devront s’appuyer sur l’interprétation de la CJUE avant de trancher définitivement. Cet arrêt fait néanmoins figure de référence. Il devrait surtout plaire aux moteurs de recherche, et notamment à Google, dans la mesure où les professionnels européens de la presse réclament parfois des indemnités au titre du référencement de leurs articles au sein des moteurs de recherche.

L’on se souvient d’ailleurs que la France avait menacé il y a peu le géant de l’internet d’en passer par la voie législative si jamais l’entreprise américaine ne parvenait pas à un accord avec les syndicats de presse. Dans la proposition de loi qu’elle avait transmis à l’exécutif en septembre 2012, l'association de la presse d'information politique et générale (IPG) demandait ainsi la création d'un nouveau droit voisin permettant de « faire payer par les moteurs de recherche une juste rémunération », et ce, à chaque fois qu'un article serait indexé. Aussi, l’organisation réclamait que « l'utilisation de liens hypertextes ou de toute technique équivalente permettant d'accéder à des contenus de presse » soit explicitement reconnue comme étant un acte de contrefaçon, avec à la clé une peine maximale de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Finalement, Google avait accepté de mettre 60 millions d’euros sur la table.

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