Dans le dernier So Film, un entretien intéressant a mélangé Michel Hazanavicius, réalisateur des OSS et de The Artist mais aussi président de la Société des auteurs-réalisateur-producteurs (ARP), à Vincent Maraval, co-fondateur de la société de distribution Wild Bunch et connu pour son coup de gueule sur les salaires des stars du cinéma français. Durant leur entretien, le financement des films est abordé, de même que l'importance de Canal+, ainsi que l'arrivée de Netflix et la chronologie des médias.
Une chronologie qui fait débat
La fameuse chronologie des médias... Aujourd'hui, tout le monde la connait dans les moindres détails. Si dans le monde, elle existe plus ou moins naturellement, avec en premier lieu la sortie des films en salle, puis leur disponibilité à la location et leur vente en DVD, en France, elle est particulièrement encadrée, avec en dernière roue du carrosse la vidéo à la demande illimitée par abonnement (SVOD), qui doit attendre 36 mois (3 ans) pour pouvoir exploiter les films. L'objectif officiel est de protéger l'économie des principaux acteurs de la filière, et notamment des chaînes de télévision, qui peuvent diffuser ces films très rapidement avec une concurrence amoindrie.
Mais depuis plusieurs années, cette chronologie est remise en cause, même si pour le moment, aucune ligne n'a encore bougé du fait de la pression exercée par les chaînes de télévision et certains producteurs de films. Réduire la plupart des fenêtres de diffusion, en particulier celle de la SVOD à 24 voire 18 mois, a ainsi été proposé par plusieurs rapports, dont celui de Pierre Lescure et celui de René Bonnell. Le CSA lui-même est en faveur d'un réaménagement de la chronologie des médias, tout comme la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
La chronologie, c'est « hyper tabou »
Avec l'arrivée probable de Netflix en automne prochain, le gouvernement français et les professionnels du cinéma n'auront plus le choix et devront revoir cette chronologie dès cette année, quitte à faire des concessions aux grandes chaînes, et en particulier Canal+. Lors de leur entretien, Maraval et Hazanavicius abordent ainsi directement ce sujet. Le premier fait ainsi remarquer qu'à l'heure d'internet, la fraîcheur d'un film sur Canal+ n'a guère plus de sens. « Mes gamins regardent plus de films sur iPad qu’en salles, constate le producteur. Le succès de Canal est à reconstruire. Il faut faire la révolution une deuxième fois. On sait tous que la Pay TV est morte, que la salle de cinéma a beaucoup changé, qu’Internet est partout sans la moindre loi. Si on ne crée pas le Netflix de demain chez nous, alors ce que Canal a empêché arrivera. »
Une remarque qui permet à Michel Hazanavicius de rebondir directement sur la chronologie des médias, thème qu'il estime « sacré, de très compliqué à bouger, hyper tabou ». Vincent Maraval est sur la même longueur d'onde, affirmant que « toute discussion sérieuse autour de la chronologie des médias est aujourd’hui impossible, voire interdite, sous peine de voir tes films boycottés ». Une situation complexe, qui commence toutefois à changer selon Hazanavicius, qui estime que le débat est désormais possible, ce qui n'était pas le cas auparavant. « C’est vrai que beaucoup ont peur, ils ont toujours le même argument : « Attention tu vas ouvrir la boîte de Pandore ! Le loup va entrer dans la bergerie, on va perdre notre super système de financement ! » On a l’impression de vendre un scénario de film d’horreur. »
« Pourquoi vous m’interdisez de montrer mon film en VOD au bout d’un mois ? »
Mais au-delà même de la SVOD, il y a le cas de la vidéo à la demande tout court, qui doit attendre plusieurs mois avant de disposer des films sortis en salle. Le fondateur de Wild Bunch rappelle ainsi que certains films disparaissent des salles après à peine quelques semaines, souvent avant même un petit mois. « Pourquoi vous m’interdisez de montrer mon film en VOD au bout d’un mois et de profiter ainsi de ma campagne de promotion qui m’a coûté la peau des fesses, alors que vous, de votre côté, vous n’êtes pas capables de garder le film sur vos écrans et faire fonctionner le bouche à oreille ? » demande ainsi judicieusement Maraval aux professionnels du secteur.
Le cas opposé est d'ailleurs aussi mis sur la table : pourquoi ne pas négocier un report des sorties en DVD et en VOD en cas de succès d'un film en salle sur le très long terme ? « Tout est imaginable. Il faut arrêter d’être dogmatique » déclare ainsi le producteur, qui semble donc souhaiter faire voler en éclat toutes les règles entourant la chronologie, afin d'adapter les sorties sur les différents supports en fonction des négociations et du succès de l'œuvre en salle.
D'autres sujets sont abordés dans cette entrevue, notamment celui du financement ou encore les prises de risque au cinéma. Vous pouvez la retrouver sur le site de So Film ainsi qu'en kiosque dans leur dernier magazine.