La décision a été rendue il y a maintenant plus d’un an, mais PC INpact vient tout juste d’en avoir connaissance. En janvier 2013, l’administrateur du site « Tracker-Surfer », retraité, a été condamné par le tribunal correctionnel d’Agen à cinq mois de prison avec sursis et à 4 000 euros d’amende. Plus de 70 000 euros d’indemnités ont également été alloués aux ayants droits du cinéma qui s’étaient portés parties civiles.
C’est en tant qu’administrateur des sites « Tracker-Surfer » et « TrackerSurfer » que Marcel, chaudronnier à la retraite, a comparu en décembre 2012 devant le tribunal correctionnel d’Agen. L’homme, alors âgé de 60 ans, devait répondre d’actes de contrefaçon. Entre septembre 2007 et avril 2010 c’est en effet lui qui a géré ces deux sites de liens torrents, l'un ayant pris la relève de l'autre suite à un piratage informatique. Au total, plus de 3 000 fichiers furent ainsi proposés aux 110 000 membres inscrits ayant profité de ces sites. Le tout était comme souvent classé par catégorie (films, musique, etc.).
Durant leur enquête, les gendarmes ont constaté que 1 035 629 téléchargements avaient été effectués grâce à ces sites au 27 janvier 2010. Ils ont également remarqué que le site offrait différents avantages à ceux qui effectuaient des dons. Si Marcel a reconnu avoir perçu entre 20 000 et 30 000 euros de dons en 2009, puis 10 000 euros en 2010, il s’est avéré au fil des investigations que le compte PayPal de l’administrateur avait été crédité de près de 80 000 euros entre décembre 2007 et octobre 2010.
Le prévenu ayant expliqué durant l’audience que ses frais d’hébergement s’élevaient à 428 euros par mois, les juges ont sans grande surprise considéré que le « caractère lucratif » de son site était établi. Le 18 janvier 2013, Marcel a ainsi été reconnu coupable d’actes de contrefaçon par diffusion non autorisée d’œuvres protégées. Alors que l’accusé se défendait en affirmant qu’il ne stockait aucune œuvre protégée sur ses serveurs, les juges ont retenu qu’il était « de jurisprudence désormais bien établie (...) que le seul fait de favoriser l’accès et l’usage de sites de téléchargement permettant de visualiser et éventuellement de reproduire des œuvres de l’esprit au mépris des droits des auteurs et de leurs ayants droit [constituait un] délit de contrefaçon par diffusion ou mise à disposition ».
Cinq mois de prison avec sursis et une ardoise avoisinant les 80 000 euros
Résultat : Marcel a écopé d’une peine de cinq mois de prison avec sursis (étant donné qu’il n’avait jamais été condamné dans le passé), ainsi que d’une amende de 4 000 euros. L’addition se révèle cependant bien plus lourde sur le volet civil de cette procédure. Les ayants droit du cinéma et de l’audiovisuel qui s’étaient portés parties civiles dans cette affaire ont en effet obtenu plus de 70 000 euros de dommages et intérêts. Voici le détail :
- 15 000 euros pour la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF),
- 15 000 euros pour le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN),
- 12 050 euros pour Twentieth Century Fox,
- 8 744,40 euros pour Disney Enterprises,
- 7 726,40 euros pour Columbia Pictures,
- 6 545,40 euros pour Warner Bros,
- 3 282,40 euros pour Paramount Pictures,
- 1 492,80 euros pour Tristar Pictures,
- 857,60 euros pour Universal.
Le coupable a également été condamné à verser 300 euros de frais de justice à chacune de ces parties, ce qui nous donne un total de 2 700 euros.
Des dommages et intérêts calculés en trois étapes
Mais comment les juges ont-ils calculé ce préjudice ? Les deux syndicats, SEVN et FNDF, ont tout d'abord reçu chacun 15 000 euros au titre du tort porté « à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».
Ensuite, pour chacun des studios représentés, le tribunal correctionnel a procédé en trois étapes afin de fixer leur indemnisation. Il a en effet retenu qu’il convenait « de tenir compte du nombre de connexions pour chaque type d’activité, du pourcentage minimum des visiteurs du site qui auraient de manière certaine téléchargé un dossier ou payé une place de cinéma (perte de chance) et du manque à gagner de chaque partie civile dû à la contrefaçon ». Car aux yeux des juges, « Marcel X. a créé une perte de chance de voir les personnes visitant son site de fréquenter les salles de cinéma ou d’acheter des DVD ou Blu-ray (sic) », et ce notamment en raison « des facilités que procurait l’existence du site et de la qualité des œuvres proposées au regard des fastidieuses recherches et déceptions dues parfois à la médiocrité des contrefaçons ».
Premièrement, les magistrats ont validé le nombre de téléchargements retenus, et ce d’après les demandes des parties civiles et les constatations des gendarmes (voir ci-dessous).
Deuxièmement, les magistrats ont décidé du manque à gagner par œuvre téléchargée. Alors que les parties civiles réclamaient 10 euros par film « inédit » (c’est-à-dire par screener) et 5 euros par film « en catalogue », les juges ont préféré des montants légèrement inférieurs : 8 et 4 euros.
Troisièmement, le manque à gagner par œuvre a été multiplié par le nombre de téléchargements retenus. L’on est ainsi arrivé à un « préjudice global certain » de 406 080 euros. Pour obtenir la somme finale, la fameuse « perte de chance », le tribunal a conservé 10 % de ce total, soit 40 608 euros. Ce montant a ensuite été réparti entre les différents plaignants.
Les indemnités allouées dans les affaires de contrefaçon bientôt plus lourdes
C’est d’ailleurs selon une méthode de calcul extrêmement semblable que l’administrateur de Forum-DDL a été condamné en novembre dernier par le tribunal correctionnel de Thionville à verser 1,17 million d’euros de dommages et intérêts aux ayants droit. En mars 2013, l’administrateur du site de liens LeDivx.com avait quant à lui été condamné à indemniser les différentes parties civiles à hauteur de 11 800 euros. En 2012, le responsable de Mamie Tracker avait pour sa part dû payer 300 000 euros de dommages et intérêts. Comme nous l’expliquait l’avocat de l’administrateur de Forum-DDL, la différence se fait principalement lors du calcul du nombre de visiteurs du site litigieux, qui prête d’ailleurs souvent à débat (voir notre article).
Rappelons enfin que depuis la loi sur la lutte contre la contrefaçon de 2007, la justice peut prendre en compte plusieurs critères pour l’évaluation du préjudice : « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ». Mais les choses devraient changer très prochainement. L’Assemblée nationale a en effet adopté cette semaine la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. Comme nous l'expliquions, plusieurs dispositions de ce texte sont censées alourdir le montant des dommages et intérêts alloués aux parties civiles dans le cadre d'affaires de contrefaçon, à l'image de celle-ci. Avant d'être définitivement adopté, le texte doit cependant être voté dans les mêmes termes par le Sénat.