Alors que le projet de loi sur la création d’Aurélie Filippetti continue d'être travaillé Rue de Valois, la SPEDIDAM vient de présenter un « livre blanc » contenant plusieurs propositions législatives destinées à améliorer la situation des artistes-interprètes. La société de perception espère notamment pouvoir mettre un terme aux problèmes de redistribution des revenus issus du streaming. Explications.
Comme chaque année, le Midem de Cannes est le grand rendez-vous de la filière musicale française. Comme chaque année également, cette rencontre est l’occasion de faire remonter les différentes revendications de chacun. Jean-Michel Jarre, le président de la CISAC, a ainsi plaidé lundi pour un « vrai partenariat » avec les géants du Net et les fabricants de matériel, afin d’obtenir un meilleur partage de la valeur. Autre exemple : l’année dernière, à quelques mois de la remise du rapport Lescure, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) était montée au créneau pour défendre le principe d’amendes automatiques d’un montant de 140 euros dans le cadre de la riposte graduée.
2014 n’a donc pas échappé à la tradition. La SPEDIDAM (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes) a ainsi dévoilé en début de semaine un « livre blanc » contenant huit propositions visant à améliorer la rémunération des artistes interprètes (PDF).
Principale préoccupation de l’organisation : les revenus issus des offres légales en ligne, streaming et téléchargement. En effet, comme la SPEDIDAM a déjà eu l’occasion de le souligner dans le passé, « seuls les artistes "vedettes" ou disposant d’une certaine notoriété obtiennent une rémunération complémentaire, dite "royaltie" ou "royauté", résultant de l’exploitation de leur enregistrement dans le cadre des nouveaux services à la demande ». Pour les autres (musiciens, choristes...), c’est un cachet « forfaitaire et définitif » qui est versé suite à l’enregistrement de leur interprétation. Résultat : « l’immense majorité des artistes-interprètes ne perçoit rien pour les nouveaux services commerciaux de téléchargement ou de « streaming » (écoute et visualisation) à la demande [tels que Deezer ou Spotify par exemple, ndlr] », regrette l’organisation menée par Jean-Paul Bazin.
Au travers de sa proposition numéro 3, la SPEDIDAM entend résoudre le problème en agissant sur deux leviers. D’une part, elle préconise de modifier le Code de la propriété intellectuelle afin de faire figurer la « mise à disposition du public à la demande » parmi les droits exclusifs reconnus aux artistes-interprètes. En clair, il s’agit là de revenir de fait sur une récente jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré que l’autorisation donnée par les artistes aux producteurs pour la vente de disques intégrait également celle pour le dématérialisé (streaming, téléchargement).
D’autre part, le législateur est invité à instaurer un système de gestion collective obligatoire. Un guichet unique, représentant à la fois les droits des artistes interprètes et des producteurs, pourrait ainsi récolter et répartir les revenus générés au travers des « services musicaux à la demande ». La SPEDIDAM précise que « la part respective de ces ayants droit devra être négociée entre les sociétés les représentant ».
Étendre au cloud le régime de la copie privée
Autre proposition de la société de perception : assujettir le cloud au régime de la copie privée (prop. n°6). La SPEDIDAM fait ainsi valoir que « de nouveaux services commerciaux fournissent maintenant la possibilité pour les consommateurs de stocker, sur des serveurs distants, l’ensemble de leurs fichiers, et tout particulièrement leurs enregistrements sonores et audiovisuels, afin d’y accéder à la demande en se connectant à ces services, constituant ainsi un nouveau mode de copie privée ». L’argument, maintes fois soulevé dans le passé - y compris dans le rapport Castex - a toutefois déjà fait l’objet de mises en garde. En avril 2012, la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) de Bercy avertissait ainsi des - nombreux - problèmes inhérents à une telle option : risques d’entrave aux nouveaux services servant à l'offre légale, atteintes à l’attractivité commerciale de la France, difficultés d’identification des technologies concernées, etc.
Enfin, notons que la SPEDIDAM propose de soumettre explicitement les radios diffusées sur Internet au régime de la rémunération équitable, pour combler ce qu’elle décrit comme une « anomalie » législative. Pour le moment, les radios hertziennes sont soumises à la rémunération équitable, qui implique un partage des gains publicitaires en fonction de leur valeur globale et de l'importance de la musique sur leur antenne.
L’on remarquera néanmoins l’absence d’une proposition pourtant portée de longue date par la société de perception des artistes-interprètes : la licence globale. Nous aurons cependant l’occasion d’y revenir prochainement suite à un entretien avec Xavier Blanc, directeur des affaires juridiques et internationales de la SPEDIDAM.
Gestion collective : Filippetti menace de légiférer en cas d’échec des négociations
La publication de ces propositions ne doit pas grand-chose au hasard, puisque la ministre de la Culture est actuellement en train de finaliser son projet de loi sur la création, lequel consacrera d’ailleurs le transfert des missions de la Hadopi au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Aux dernières nouvelles, Aurélie Filippetti pensait présenter son texte en Conseil des ministres avant la fin juin, mais l’intéressée n'a cessé de revenir sur son calendrier au cours des derniers mois...
Quoi qu'il en soit, dans son discours prononcé dimanche au Midem, la locataire de la Rue de Valois a fait un pas en direction des positions de la SPEDIDAM. « Mon objectif est d’établir les conditions de relations équilibrées entre les différents acteurs de la musique en ligne. Il s'agit de défendre ceux qui ont le moins les moyens de peser dans les négociations » a-t-elle déclaré. Avant d’ajouter : « Je souhaite encourager les négociations au sein de la filière musicale pour un partage plus équilibré et transparent des revenus générés par le streaming. Mais si ces négociations échouent, la loi sur la création artistique que je présenterai prochainement en Conseil des ministres prévoira des dispositions législatives, notamment le principe d’une gestion collective ». Aurélie Filippetti semble avoir été séduite par l’une des propositions clé du rapport qui lui a été remis en novembre par Christian Phéline (voir notre analyse).