[Interview] Jacques Sauret, de Terra Nova, nous parle d’e-administration

Et d'Open Data, des systèmes d’information de l’État, etc.

Alors que Matignon a présenté il y a plusieurs semaines différentes mesures en faveur de la modernisation de l’action publique (sur l'Open Data, la mutualisation au sein des systèmes d’information de l’État, l'e-administration,...), PC INpact a pu interroger Jacques Sauret, l’ancien président de l'Agence pour le développement de l'administration électronique (ADAE). Et pour cause : l’intéressé a travaillé pendant plusieurs mois sur la rédaction d'un rapport à ce sujet pour la fondation Terra Nova, traditionnellement située sur la gauche de l’échiquier politique.

En décembre 2013, la fondation Terra Nova présentait un rapport très fourni sur la modernisation de l’action publique, lequel contenait plusieurs recommandations concernant directement le numérique et les nouvelles technologies. Sous la direction de Jacques Sauret, l’ancien président de l'AEDE, le groupe de travail missionné par l’organisation en appelait en effet à de nombreux efforts des pouvoirs publics en matière d’e-administration, à une ouverture systématique - et gratuite - des données publiques financées par le contribuable (travaux de recherche, données statistiques, etc.), à des investissements massifs en faveur des systèmes d’informations de l’État, etc.

 

Quelques jours après la publication de ce rapport, le Premier ministre a officialisé différents arbitrages concernant justement la modernisation de l’action publique. Économie de 800 millions d’euros sur les systèmes d’information de l’Étatsuppression de plusieurs redevances perçues pour la réutilisation de données publiques et l’engagement qu’aucune nouvelle redevance sera instaurée, déploiement de plans d’actions ministérielles afin de faire d’internet « le mode d’accès préféré des Français pour leurs contacts avec l’administration » d’ici 2016,... les annonces détaillées par l’exécutif étaient nombreuses. Nous avons voulu demander à Jacques Sauret ce qu'il pensait de toutes ces mesures.

 

jacques sauret

« Osons, il est temps ». Telle était la conclusion de votre rapport sur la modernisation de l’action publique. Au regard des annonces faites par le Premier ministre lors du dernier CIMAP, estimez-vous que les pouvoirs publics ont suffisamment « osé » ?

Au niveau du dernier CIMAP, clairement, ma réponse est non. Par contre, les annonces du président de la République lors de sa conférence de presse rejoignent le constat que fait Terra Nova dans son rapport. Que ce soit sur le pacte de responsabilité, la simplification, la baisse de 50 milliards d’euros des dépenses publiques, François Hollande a dressé des lignes directrices qui correspondent à ce que nous préconisons.

 

Maintenant, c'est une conférence de presse, donc il y a très peu de précisions. Le sujet est donc désormais de savoir comment on fait... On est d'accord sur l'orientation, mais la question est de savoir s'il va être capable de le faire et dans quelles conditions.

Dans votre rapport, vous faites plusieurs propositions concernant l’Open Data. Quand on voit que vous préconisiez que « toute information financée par le contribuable » soit mise à disposition du public gratuitement, n’est-on pas encore bien loin du compte ?

Oui ! Mais pour le coup, ce qu'a fait le gouvernement avec Etalab va vraiment dans le bon sens. Après, on peut toujours dire que ce n'est pas assez rapide ou complet... C'est clair ! Mais, je trouve qu'il y a là une véritable évolution très positive.

Quelles sont aujourd’hui les barrières à la mise en œuvre d’une telle proposition ?

Il y en a plusieurs. Il y a tout d’abord une barrière culturelle, qui consiste à dire que les données de l'administration sont celles de l'action publique, donc qu'il ne faudrait pas que des entreprises privées puissent faire du profit avec. Il y a une autre barrière, de plus en plus prégnante, qui consiste à dire que les données publiques doivent être vendues pour compenser une baisse des dotations budgétaires.

 

papiers dossiers

Le gouvernement a pour objectif d’économiser entre 500 et 800 millions d’euros d’ici 2017-2020 en « modernisant » les systèmes informatiques de l’État. Pensez-vous que cet objectif soit réaliste, alors que vous préconisiez dans votre rapport de faire passer l’investissement public en matière de systèmes d’information de 1,15 % à 3 % du budget de l’État ?

Il y a deux sujets. Tout d’abord, il y a le fait que si l'on peut avoir la même chose en dépensant un euro au lieu de trois euros, il ne faut pas se gêner ! Et de ce point de vue-là, l'organisation actuelle du pilotage des systèmes d'information de l'État, je ne vais pas dire qu'elle est calamiteuse, mais elle est très très largement perfectible ! Faire des économies, oui. Il faut les faire, il faut rationaliser, il faut faire en sorte que l'on ait un meilleur service...

 

Mais à côté de ça, il faut aussi investir, c’est-à-dire qu’il faut dépenser plus d'argent. Et je dissocie bien les deux, parce que si l'on passe de 1,15 % à 3 % du budget de l’État mais sur les mêmes modes d'organisation, ce n'est pas pertinent non plus. Il faut à la fois améliorer le fonctionnement actuel des choses, et de l'autre côté y mettre les moyens.

Quel regard portez-vous sur la méthode retenue par l’exécutif, celle de la mutualisation ?

Ce n'est pas à la hauteur des enjeux... Je ne veux pas paraître trop dur, car il y a quand même des choses qui se font, mais ce n'est pas la bonne échelle ! Très clairement, nous, ce que l'on préconise, c'est de faire quatre plateformes d'exploitation pour tout l'État, lesquelles feraient des échanges, de l'interopérabilité, des référentiels, etc. Là, c'est presque à la petite semaine... On ne remet toujours pas en cause le fait que chaque ministère exploite ses données. Or ça n'a pas de sens.

Comment expliquez-vous que les efforts suffisants ne soient pas au rendez-vous ?

Il y a plusieurs raisons encore une fois. La première c'est que ce sont des sujets d'apparence technique, où le politique et les cabinets, et même les directeurs d'administrations centrales, n'y connaissent rien, ne comprennent rien ou pas grand-chose. Et ce n'est pas anormal, ce n'est pas leur métier ! Ceux qui leur en parlent, ce sont les DSI [direction des systèmes d'information, ndlr] des ministères. Et c'est difficile pour eux, ils ont des équipes, une culture, etc. Eux n'ont aucune incitation à bouger. Ce n'est pas tous les DSI, mais j'en ai connu certains qui étaient très fiers de montrer leurs salles de serveurs, un peu comme l’on montre une belle bagnole... Tant qu'il n'y aura pas une décision, une vision stratégique claire portée par le politique, aucun DSI n'aura intérêt à changer.

Vous ne faites pas référence aux logiciels libres dans votre rapport, est-ce volontaire ?

Non ! J'étais - et je reste - très partisan du logiciel libre, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour une raison de principe, parce que je crois au crowdsourcing. Deuxièmement, parce que sur le plan économique, ça a beaucoup d'intérêts. Enfin, c'est pour des raisons d'interopérabilité. Les systèmes propriétaires, quels qu'ils soient, tendent à un imposer un marché captif. Je pense donc que le logiciel libre est une bonne solution. Après, en tant qu'ancien président de l'AEDE, je ne voulais trop apparaître comme l'auteur d'un rapport "techno", destiné uniquement aux technophiles. C'est vrai que j'aurais peut-être pu insister là-dessus, mais pour un lectorat « grand public », ce n'est pas quelque chose qui est très parlant.

Sur les services publics en ligne, ne se limite-t-on pas encore trop à « la simple dématérialisation des procédures administratives » à laquelle vous faisiez référence ?

Là, il y a quand même une orientation très bien, c'est le programme « Dites-le nous une fois ». Il s'agit là d'une approche centrale, déterminante... Et c'est normal que l'on ne voit pas encore les effets totaux, je ne suis pas donc critique à ce sujet.

 

Après, il est clair que les services sont totalement insatisfaisants au jour d'aujourd'hui. Il y en a qui sont très bien, mais c'est une toute petite minorité et ça reste encore de la dématérialisation de procédures papiers. On n'en est pas encore à de vrais téléservices tels qu'on peut les imaginer aujourd'hui. On paie cinq ans de très faible activité voire d'inactivité de l'État en la matière. Le quinquennat Sarkozy a été calamiteux sur ce sujet.

Le Conseil national du numérique a présenté quelques semaines avant vous un rapport dont plusieurs propositions allaient dans un sens similaire. Qu’avez-vous pensé des préconisations contenues dans son rapport sur l’inclusion numérique ?

Elles vont dans le bon sens ! Après, le Conseil national du numérique n'a pas peut-être pas forcément toute la liberté de parole que nous on peut avoir à Terra Nova...

Avez-vous eu des discussions avec les pouvoirs publics suite à la remise de votre rapport ?

Au niveau de l'exécutif, nous n'avons pas eu plus de retours que ça. Je sais qu'il a été lu, ou du moins parcouru par quelques personnes au sein de l'exécutif, mais à ce stade, il n'y a pas eu de retours ou d'échanges. Mais les annonces du président de la République légitiment les démarches que nous avions faites, à la fois le constat et les grandes orientations, et nous allons relancer un peu les choses.

 

Merci Jacques Sauret.

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