La French Tech, énième coup d'épée dans l'eau ou future réussite ?

Ça dépend ça dépasse

Lancée en grande pompe cette semaine par la ministre Fleur Pellerin, la French Tech a suscité une large couverture médiatique et une effervescence assez rare pour être soulignée. Cette initiative, qui vise à mieux mettre en avant les startups et à « créer un effet boule de neige, » va-t-elle pour autant réussir et non pas être un nouveau coup d'épée dans l'eau, comme nous en avons connu dans le passé ?

 

Mettre en avant et développer les écosystèmes de startups en France

Dévoilée il y a déjà un moment, l'initiative French Tech a donc donné son réel top départ cette semaine, avec comme vitrine le site LaFrenchTech.com. Ses objectifs sont multiples : faire de la France une terre de startups numériques, favoriser ces dernières, rétablir l'image du pays dans ce domaine et développer un écosystème performant en s'appuyant sur les startups à succès, les investisseurs, les écoles et les universités, les laboratoires de recherche, etc. Un bien beau programme qui a au moins le mérite de ne pas se concentrer sur une seule et unique ville (Paris), mais bien de viser toute la France, ou tout du moins ses principales villes.

 

Une labellisation de plusieurs « Métropoles French Tech » sera ainsi mise en place, tout du moins celles qui « fédèrent un projet très ambitieux de développement de leur écosystème de startups selon un cahier des charges précis ». Outre les incontournables Paris, Lyon et Marseille, d'autres villes comme Montpellier, Grenoble ou encore Nancy n'ont pas caché vouloir disposer du label, qui a pour but de donner une meilleure visibilité internationale et notamment donner accès à des subventions. Mais redresse-t-on un pays avec de bons mots, un site web, des labels et quelques coups de pouce financiers ? Non, d'autant que cela ressemble à d'anciennes initiatives et qu'elle n'est que le prolongement des Quartiers Numériques, renommés en French Tech donc.

 

Si médiatiquement, la French Tech a plutôt réussi son départ, avec même un article sur TechCrunch (mais écrit par un Français et commenté principalement par... des Français), ceci en continuité d'un CES de Las Vegas assez animé, concrètement, qu'est-il proposé ? L'initiative est accompagnée d'un budget de 215 millions d'euros, dont 15 millions pour vendre la France à l'étranger et donc 200 millions pour accélérer le développement des startups. Une somme importante pour des sociétés naissantes, mais une goutte d'eau pour l'économie globale du numérique. Le but n'est de toute façon pas de financer tout le monde et à 100 %, mais bien de donner des coups de pouce en fonction de certains critères, notamment l'internationalisation des entreprises du numérique. Rajoutons toutefois qu'un accès privilégié aux offres de BPI France, d'Ubifrance et de la Caisse des Dépôts sera aussi proposé, ce qui ouvre la voie à un budget plus conséquent.

Une question d'image avant tout

La French Tech, plus qu'une histoire d'argent, est en réalité surtout une question d'image et donc d'ambition. Et sur ce point, deux perceptions sont à changer : celle des Français sur eux-mêmes, et celle des étrangers sur la France. Alors que la Silicon Valley brille depuis de longues années et jouit d'une image incomparable, il faut surtout noter que Londres, Berlin, Tel Aviv, Moscou, et bien d'autres grandes villes à travers le monde tentent elles aussi de créer massivement des startups à succès et à attirer un maximum d'entrepreneurs, de développeurs, etc. Et si les critères fiscaux ont une grande importance, bien d'autres sont dans la balance, dont celui de l'image du pays. Mais on ne change pas cette dernière d'un coup de baguette magique ni avec la méthode Coué.

 

Depuis des années, le gouvernement français a souvent parlé, beaucoup promis, mais l'image du pays n'a pas grandement changé. L'affaire des pigeons a même plutôt dégradé cette vision. Avec un certain recul, on peut d'ailleurs se rendre compte que ce qui embellit réellement le tableau, ce sont des actions concrètes et fortes réalisées par le privé. Cela peut tout aussi bien être le succès et l'entrée au NASDAQ de Criteo, comme un forfait mobile à 2 euros chez Free, un jeu populaire sur Facebook (Criminal Case), l'internationalisation massive des services de Deezer, etc.

 

L'exemple le plus marquant est certainement celui de Pretty Simple, la société à l'origine de Criminal Case. Basée à Paris, l'éditeur a eu la bonne et logique idée de citer les atouts de sa ville (arts, architectures, nourriture, etc.), tout en évitant bien entendu de citer ses défauts et de faire du « french bashing » de base. Sur son site, Pretty Simple explique ainsi, en anglais, qu'il est avantageux de travailler en France, allant même jusqu'à citer les cinq semaines de congés payés. En effet, si d'un point de vue de l'entrepreneur (surtout étranger), ces cinq semaines sont une énorme épine dans le pied, pour le salarié, il en est tout autrement. L'éditeur parisien a donc retourné la situation à son avantage afin de recruter. N'est-ce pas là le meilleur ambassadeur qui soit ?

 

Corentin Raux, co-fondateur de Pretty Simple, déclarait d'ailleurs en novembre dernier : « On a tout ici à Paris ! Je suis très surpris du discours ambiant sur les difficultés d'entreprendre en France. Si vous avez un projet, vous allez voir un incubateur. Quand vous voulez lever des fonds à Paris, vous en trouvez. » Les incubateurs, i.e. ces structures qui permettent à des entreprises naissantes de vivre ensemble, d'obtenir des conseils précieux (juridiques, comptables, économiques, etc.), parfois un hébergement à bon prix, le tout dans un environnement positif, ont justement explosé ces dernières années en France, que ce soit par des initiatives privées, via des écoles spécialisées ou encore grâce à des subventions des collectivités locales.

 

L'incubateur qui a fait le plus grand bruit ces derniers mois est évidemment celui qui sera financé par Xavier Niel, et qui devrait accueillir un millier de startups à Paris, dans des locaux d'environ 100 000 mètres carrés, ceci d'ici 2016 ou 2017, le temps que les travaux soient terminés. Si la Caisse des Dépôts participera au projet (à 10 %), c'est le milliardaire et patron de Free qui mettra la main à la poche. Là encore, point besoin de label ou d'effets d'annonce pour redorer l'image du pays, de l'entreprenariat, et obtenir une visibilité internationale. Il en a été d'ailleurs de même avec l'école 42. Et si l'on devait continuer en ce sens, comment ne pas citer Kima Ventures, son fonds d'investissement créé il y a quatre ans en compagnie de Jeremie Berrebi et qui investit dans une à deux startups dans le monde par semaine. Et bien d'autres sociétés équivalentes existent en France et à travers la planète. Là encore, point besoin d'initiative directe du gouvernement pour y arriver. 

 


 

L'objectif de French Tech est de rassembler ce qu'il y a de mieux et de faire ressortir des « champions » à l'instar d'un Criteo. Un but fort louable et qui permettra de briller un peu plus encore dans un secteur ultra concurrentiel, les autres pays ayant des objectifs tout aussi élevés, si ce n'est plus. Néanmoins, si le gouvernement voulait vraiment faire passer la France à un niveau supérieur et à la fois retenir les entrepreneurs français, attirer les investisseurs étrangers et créer un véritable cercle vertueux comme il en existe un outre-Atlantique (et où les ex-employés de jeunes pousses créent déjà des startups à succès), il faut bien évidemment aller plus loin que ce type d'initiative, ceci en revenant à certaines bases. Créer un environnement fiscal favorable (sans pour autant se « prostituer »), redorer l'image des patrons (ceux du CAC 40 ne sont pas forcément représentatifs), mieux former et orienter les étudiants, simplifier tout ce qui touche à l'administratif et à la comptabilité, et surtout, avoir une politique cohérente, non pas en tendant la main un jour pour frapper le lendemain. Plus facile à dire qu'à faire, bien entendu, surtout dans la période économique actuelle, mais est-ce impossible pour autant ?

« Un portail ne crée pas une communauté. Il la sert. »

Enfin, concluons cet édito par les bons mots de Duc HA DUONG, Français d'origine vietnamienne, qui a commenté cette initiative, notamment sur l'identité collective qu'elle est censée donner : 

 

« Si les 200 Millions c'est "I have a plan", le mouvement French Tech, c'est "I have a Dream"... le rêve que la réputation des Frenchies dans la tech soit à la hauteur de leur mérite... le rêve que chaque entrepreneur colle "FrenchTech" sur ses slides, parce que ça lui fait marquer des points... le rêve que le silence se fasse quand un Frenchie entre dans la pièce, qu'on murmure "ouh attention les copains, la #FrenchTech est là !" La French Tech, ça doit être 10 points de Klout, direct ! Bref, faisons face à London Tech City, à Startup Nation, à Silicon Alley et consorts. Construisons-nous une image pour nous autres acteurs de la techno française avec, osons-le, un rayonnement important à l'international. L'idée est donc que chacun puisse dire, s'il se sent en être, qu'il fait partie de cette grande famille. C'est ça, la vraie #FrenchTech ! (...)

 

Et que va donc faire le gouvernement dans ce troisième volet ? Rien. Ou quasi-rien. Oui il y a une histoire de portail, et c'est cool, mais un portail ne crée pas une communauté. Il la sert. C'est à nous tous, collectivement, de nous saisir de ce terme pour lui faire porter nos couleurs. N'attendons rien de l'Etat et constituons ensemble une FrenchTech Nation qui perdurera durant toutes les générations à venir. On me parle de 15M€ pour faire connaître cette tribu, mais je réponds qu'une identité, une âme, ça n'a pas de prix. Personne n'a payé pour faire la réputation du mot "Silicon Valley". Personne n'en détient les droits, personne ne décide qui en est et qui n'en est pas. À chacun de choisir son camp. »

 

Ces dernières lignes résument assez bien la situation. L'objectif fort louable de l'initiative French Tech est en quelque sorte de forcer quelque chose qui doit être naturel. Les chances que cela réussisse sont donc faibles dans de telles conditions, mais si cela permet déjà de lancer une machine qui s'auto-alimentera ensuite, alors ce sera déjà un grand pas en avant.

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