Les délits de diffamation, d’injure ou de provocation à la haine en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap verront-ils bientôt leurs délais de prescription passer de trois mois à un an ? C’est effectivement ce qu’a décidé l’Assemblée nationale la semaine dernière, afin de faire face notamment à l’augmentation de ce type de messages litigieux sur Internet.
Jeudi soir, l’Assemblée nationale s’est prononcée sur un texte déposé il y a plus de deux ans par deux députés qui étaient alors dans l’opposition : Jean-Marc Ayrault et Catherine Quéré. L’objet de leur proposition de loi ? Rallonger le délai de prescription applicable à trois infractions réprimées par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Le texte, tel qu’adopté au Sénat en février 2013, prévoyait en effet de faire passer à un an le délai au bout duquel il n’est plus possible d’exercer d’action, au lieu de trois mois actuellement. Sont ainsi concernés les délits :
- De provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap (article 24 de la loi de 1881).
- De diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap (article 32 de la loi de 1881).
- D’injure envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap (article 33 de la loi de 1881).
Pour l’heure, le délai de prescription d’un an s’applique à ces infractions lorsqu’elles sont commises pour des motifs liés à la race, à la nation ou à la religion. L’idée est donc de procéder à une harmonisation.
« Il n’est pas possible de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations en faisant varier les délais de prescription selon la gravité supposée du motif, a ainsi justifié Catherine Quéré dans l’hémicycle. Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie du pire entre les propos haineux en fonction de la composante de la population qui en est la cible. Une discrimination reste une discrimination, qu’elle se fonde sur l’ethnie, la race, la religion, l’orientation ou l’identité sexuelle ou sur le handicap ». La co-auteure de la proposition de loi a d’autre part insisté sur le fait que les différences entre les délais de prescription créaient une confusion pour les victimes, et qu’un alignement améliorerait par conséquent la lisibilité et la compréhension du droit.
Les délits en ligne dans le collimateur du législateur
Dans la pratique, une telle évolution législative tend tout particulièrement à s’appliquer aux délits de diffamation, d’injure et de provocation à la haine commis grâce à Internet. « Si les modifications apportées par la proposition de loi relèvent de la loi sur la presse, les infractions visées ne concernent en réalité que très marginalement cette dernière. Il s’agit, dans l’immense majorité des cas, de propos et d’écrits tenus par des particuliers, notamment sur internet » a ainsi expliqué la députée Quéré.
Et pour cause, « Internet a rendu le délai de prescription de trois mois des délits de presse obsolète » s’est inquiété la parlementaire. Car c’est en effet un problème bien connu : pour les articles ou propos publiés sur Internet, le point de départ est fixé au jour de la première mise en ligne. C’est à partir de là que se décomptent les trois mois. C’est aussi au-delà de ce délai que toute action devient en principe impossible (sauf parfois lorsqu'il y a publication d'un lien hypertexte par exemple).
Catherine Queré n’a ainsi pas manqué de faire valoir que ce délai de prescription conduisait à ce que nombre de litiges ne puissent pas être jugés, faute d’avoir été traînés devant les tribunaux dans les temps. « Les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante : entre 2003 et 2011, aucune condamnation n’a été prononcée sur le motif de diffamation ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, du handicap, par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique [dont Internet, ndlr]. Ce chiffre montre que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription » a-t-elle regretté.
Une proposition de loi adoptée sous un large consensus
Réaction des députés en présence ? Aux yeux du socialiste Patrick Bloche, cette proposition de loi va instaurer « un rééquilibrage essentiel », lequel permettra « d’atteindre en ce domaine l’objectif d’une parfaite égalité des droits ». Pour l’UMP Virginie Duby-Muller ce « texte important » constitue « la réparation d’une incohérence », qui aura par ailleurs pour avantage « de lutter contre la banalisation de ces infractions sur la toile ». Bref, c'est un consensus relativement large qui s'est exprimé sur les bancs de l'Assemblée nationale.
Par conséquent, la proposition de loi a été adoptée. Notons que les discussions ont eu lieu sous l’œil de Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des Femmes, qui est d’ailleurs intervenue avant le vote. « Il n’y a pas de raison d’établir une hiérarchie du pire dans les propos haineux en fonction de la composante de l’humanité à laquelle ils s’adressent » a ainsi déclaré la benjamine du gouvernement.
Avant de préciser : « Ce principe, nous allons l’affirmer aujourd’hui [via cette proposition de loi, ndlr] et je vous proposerai de l’affirmer davantage encore la semaine prochaine ». L’Assemblée nationale doit en effet débattre cet après-midi en séance publique du projet de loi pour l'égalité femmes-hommes de la ministre, lequel est contesté jusque dans les rangs de la majorité en raison des risques qu’il fait courir à l’égard de la liberté d'expression (voir notre article). Nous ne manquerons donc pas d’y revenir prochainement.