Rapport Bonnell : des amendes progressives, une SVOD à 18 mois, mais...

Tout est dans les points de suspension

Hier, le Centre national du cinéma (CNC) a remis au gouvernement un rapport sur « le financement de la production et de la distribution cinématographiques », ceci « à l’heure du numérique ». Dirigé par René Bonnell et impliquant l'avis de plusieurs dizaines d'acteurs du secteur, ce rapport aborde de nombreux sujets, dont Hadopi, la chronologie des médias et la vidéo à la demande par abonnement.

Rapport CNC René Bonnell

Tarir la source financière des sites illégaux

Abordant divers sujets, comme l'inflation du cachet des acteurs et des réalisateurs, la délocalisation des tournages, les obligations d'investissement des chaînes privées et publiques, les fonds de soutien, l'avance sur recette, le cinéma d'auteur, la distribution, etc. ce rapport fait aussi quelques suggestions sur Hadopi ou encore la SVOD. Long de près de 190 pages et de 50 propositions, ce document est une sorte de réaction au rapport Lescure dévoilé l'an passé, au rapport du CSA du mois de décembre dernier, mais aussi à la violente tribune du producteur Vincent Maraval sur les acteurs « trop payés ».

Concernant les sujets qui nous intéressent, la proposition n°31 indique que pour « lutter contre le piratage, » il faut une orientation claire de la Hadopi (ou du CSA), renforcer la répression sur la contrefaçon, et réfléchir avec les annonceurs et tous les acteurs « qui participent de la monétisation de ces activités illicites ». Ce dernier point est intéressant dès lors qu'il remet en avant une idée qui suit son cours ces dernières années, à savoir l'assèchement des recettes des sites illégaux (« principales motivations des pilleurs de droits ») en passant par une pression imposée sur les épaules des annonceurs.

 

Les sites illégaux « organisés » et lucratifs sont de plus dans le collimateur du rapport, qui fait ainsi le distinguo avec les autres types d'accès illégaux. « La lutte contre la contrefaçon, pour être efficace, doit s’efforcer de frapper le phénomène à la source et l’arsenal législatif actuellement en vigueur suffit à mettre en œuvre cette répression. Elle ne doit jamais méconnaître les grands principes en jeu : compétence du juge judiciaire, défenseur des libertés, pour ordonner d’éventuelles mesures coercitives (fermeture des sites, poursuites pénales, etc.). » Des arguments qui font suite à la fermeture de la galaxie Allostreaming ordonnée il y a moins de deux mois. Mais tous les sites et services du monde entier sont ici visés. Une coopération internationale est ainsi « indispensable » afin d'atteindre les objectifs des ayants droit.

Vite, des amendes progressives contre les internautes

Au sujet de l'Hadopi, le document note que la fin de la sanction ultime de la haute autorité, i.e. la coupure de l'accès à Internet, implique que « le système de sanction par voie d'amendes en cas de récidive doit être rapidement défini et appliqué » ce qui là encore va dans le sens des précédents rapports. « Le niveau de l'amende doit être dissuasif, progressif et lié à la fréquence et la gravité de l’acte délictueux » rajoute-t-on toutefois, ce qui s'oppose à l'idée d'une amende unique de 60 euros (rapport Lescure) ou de 120 euros comme le souhaitent certains ayants droit. René Bonnell ne précise néanmoins pas les différents montants à appliquer.

 

CNC logo

 

Le rapport rajoute que l'Hadopi ou le CSA « devront consentir également un important effort de communication pour remplir sa mission pédagogique de prévention de la piraterie », ce qui là encore n'a rien de novateur. Rappelons en effet que le précédent gouvernement a toujours affirmé que l'Hadopi était avant tout pédagogique et non répressive, concept qui n'a pas forcément été entendu par la population.

Une chronologie des médias qui fait débat

Enfin, la fameuse chronologie des médias est longuement abordée dans ce document. Rappelons tout d'abord le fonctionnement actuel afin de mieux comprendre la situation :

  • DVD et VoD : 3 ou 4 mois après diffusion en salle du film selon les cas
  • Chaîne payante (type Canal+) - première diffusion : 10 à 12 mois
  • Chaîne payante ou gratuite avec un taux minimal de coproduction - deuxième diffusion : 22 à 24 mois
  • Chaîne gratuite sans coproduction ou à un faible taux : 30 mois
  • SVOD payante : 36 mois (3 ans)
  • SVOD gratuite : 48 mois (4 ans)

Si la vidéo à la demande (payante) peut proposer très rapidement des films, ce n'est donc pas du tout le cas de la vidéo à la demande par abonnement, dite SVOD. Il lui faut pour le moment attendre trois longues années, ce qui empêche tout développement réel de ce type d'offre, l'intérêt étant amoindri. Le rapport Lescure propose ainsi de ramener cette chronologie à 18 mois, ce qui constituerait une avancée non négligeable. Le CSA, lui, a estimé que deux ans (24 mois) après la sortie en salle étaient une marge suffisante. Mais les oppositions à un tel changement sont gigantesques, notamment venant des chaînes de télévision. En effet, les chaînes payantes verraient leur avantage se réduire drastiquement, et même les chaînes gratuites en pâtiront.

 

Il ne faut ainsi pas être surpris de voir Bertrand Meheut, président du groupe Canal+, et Nonce Paolini, le PDG de TF1, publier aujourd'hui même une tribune demandant une compensation en cas de la réduction de la fenêtre de diffusion en faveur de la vidéo à la demande. Il est ainsi proposé explicitement de réduire « leurs obligations de financement du cinéma » si le gouvernement venait à suivre les propositions des rapports Lescure, du CSA et de René Bonnell. Néanmoins, les patrons de Canal et de TF1 indiquent ne pas être opposés à une sortie des films deux ans après leur sortie, mais uniquement pour les œuvres « non préfinancés et ayant réalisé moins de 100 000 entrées en salle en France ». Certes, cela concerne près de la moitié des films du marché, néanmoins, nous ne voyons pas les services de SVOD se contenter uniquement des petits films, ceci après deux longues années d'attente.

18 mois pour la SVOD, oui, mais...

Du côté du rapport du CNC, il est indiqué très précisément via la proposition n°35 qu'il faut suivre le rapport Lescure, mais via deux étapes distinctes. La première, immédiate, se contentera de proposer des dérogations pour les petits films (moins de 100 copies en salles) et de « rendre leur liberté contractuelle en aval de la salle (après 4 mois) aux films français agréés sortis sans préfinancement d’une chaine ou de la vidéo ». La deuxième étape, « sous conditions avec une date butoir d’application », aborde cette fois la fenêtre de 18 mois pour la SVOD, mais uniquement s'il y a une obligation d’engagements de production.

 

Rapport CNC Chronologie médias

 

Ce dernier point au sujet du financement de la production des œuvres est majeur. Le document indique même dans sa proposition n°33 qu'il ne faut pas hésiter à étendre l’aide automatique à la vidéo à la demande afin d'accroître sa participation au financement de la production. Or le rapport ne s'en cache pas, il craint que les acteurs de la SVOD, et en particulier les étrangers, s'affranchissent des financements et de toute production hexagonale, contrairement aux chaînes de télévision et aux autres acteurs du marché.

 

« Tout comme iTunes et Google Play, qui s’affranchissent des contraintes des quotas d’œuvres européennes et françaises et de toute contribution au financement de la production du pays consommateur, il est très peu probable que Netflix et Amazon éditent localement leurs services analyse-t-on sèchement. Ceux-ci préféreront s’appuyer sur leurs propres productions à l’image de Netflix pour les distribuer dans l’ensemble des pays où le service existe. » Une situation intolérable pour le cinéma, mais aussi pour les chaînes de télévision, qui verront alors Netflix et ses acolytes comme une concurrence déloyale.

 

Cela explique pourquoi il est conseillé de mettre en place deux étapes, ceci afin de laisser les différents acteurs du marché négocier les montants des obligations des services de SVOD, tout en appliquant la TVA du pays consommateur et non celle de l'éditeur du service. L'objectif est bien de lutter contre la concurrence déloyale, et même « de protéger les services nationaux contre l’intrusion des opérateurs étrangers » peut-on lire dans le document.

 

Dans un volet nommé « Protéger les opérateurs contre la concurrence étrangère dérégulée », il est de plus rappelé que les éditeurs de services étrangers, en cas d'arrivée en France, se doivent de fonctionner dans « les mêmes conditions de concurrence que les opérateurs nationaux ». Une règle sensée qui implique un « alignement des conditions fiscales de fonctionnement de ces services » et « la contribution des opérateurs étrangers aux cotisations du Fonds de soutien et leur soumission aux mêmes obligations de production ». Mais la pratique étant plus complexe que la théorie, cela demanderait de connaitre précisément le chiffre d’affaires « français » des sociétés étrangères. On en reviendrait alors aux polémiques de ces dernières années sur les faibles résultats déclarés par les divisions hexagonales de nombreuses sociétés high-tech et d'internet.

 

Autre problématique, le rapport explique clairement que si une nouvelle chronologie des médias (à 18 mois) accélèrerait inévitablement l'arrivée d'acteurs étrangers comme Netflix et Lovefilm (Amazon), cela entrainerait aussi une baisse des revenus de la télévision payante. Cela impacterait en particulier des chaînes comme Ciné+ et Orange Cinéma Séries (OCS), qui proposent en grande partie des films en deuxième diffusion. La concurrence de la SVOD serait alors trop forte et signerait un fort recul de leurs revenus.

La chronologie actuelle « convient à une majorité d’opérateurs » 

Étonnamment, alors que ce rapport rejoint bien ceux de Lescure et du CSA sur la chronologie des médias, tout en y imposant des conditions importantes, il est explicitement expliqué que la situation actuelle « assortie du gel actuel des fenêtres d’exploitation des chaînes convient à une majorité d’opérateurs (chaînes payantes et chaînes gratuites). Elle constitue, pour l’instant, la meilleure manière de décourager Amazon, Netflix ou Google de s’installer sur le marché français dans des conditions de concurrence déloyale. »

 

En s'alignant sur les idées du bilan de Pierre Lescure, le CNC s'oppose donc en quelque sorte aux grandes chaînes françaises. Il a toutefois pleinement conscience qu'une compensation sera inévitable, les chaînes considérant que « le niveau de leurs obligations (...) passe nécessairement par une protection stricte de leur fenêtre de diffusion ». Changer la fenêtre, c'est donc changer les obligations, comme l'ont clairement déclaré les patrons de TF1 et de Canal+. Cela explique pourquoi il est si important pour le secteur du cinéma d'imposer des obligations aux nouveaux acteurs, et en particulier ceux proposant de la SVOD.

 

Il est d'ailleurs indiqué dans le rapport que si rien ne change actuellement et que le statu quo devait être appliqué, un « risque demeure » que des éditeurs étrangers lancent leurs services de SVOD en France, ceci sans y être implanté, et donc sans imposition ni aucune obligation. Un scénario catastrophe que souhaite absolument éviter le secteur. « C’est faire un pari aléatoire sur leur comportement et être amené à réagir éventuellement en position de faiblesse » analysent judicieusement les auteurs de ce document. On comprend dès lors mieux pourquoi Fleur Pellerin s'est rendue cette semaine au CES de Las Vegas et a rencontré Reed Hastings, le patron de Netflix. Il est de plus intéressant de noter que le CNC fait remarquer que le statu quo aurait pour autre défaut majeur de marginaliser le cinéma dans les offres de SVOD, ces dernières mettant alors en avant uniquement les séries, non concernées par la chronologie des médias.


Enfin, notez que la proposition n°32 du rapport indique vouloir développer l’offre légale sur internet en diminuant les prix, « ce qui suppose une baisse aussi rapide que possible de la TVA ». L'idée d'une taxe amoindrie pour la musique et le cinéma n'est pas nouvelle, néanmoins, rien de concret n'a pour l'instant jamais été réalisé. D'une manière générale, il est aussi demandé « une plus grande fluidité de l’offre en levant tous les obstacles à sa libre circulation ». Aucune précision n'est donnée à ce sujet, mais il est possible que la question de DRM soit ici mise en avant.

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