Vous pouvez prévenir vos collègues qui vous envoient des mails pas forcément toujours très drôles : le fait d’adresser à un même salarié « 178 courriels accompagnés de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif » à partir d’un ordinateur mis à disposition par l'entreprise peut caractériser une faute, dès lors susceptible de licenciement. C’est en effet le sens d’une récente décision de la Cour de cassation. Explications.
Le 18 décembre dernier, la Cour de cassation s’est prononcée sur un litige vieux de plus de quatre ans. En mai 2009, Monsieur X. a été licencié pour faute grave après plus de treize années passées au sein de la même entreprise. Le motif de cette sanction ? Il passait trop de temps sur son ordinateur, durant ses horaires de travail et pour des motifs non professionnels...
L’employeur reprochait ainsi au salarié d’avoir « [bombardé] ses collègues d'innombrables courriels ». À l’appui d’un constat d’huissier effectué sur l’ordinateur d’une de ses collègues de travail, l’ancien patron de Monsieur X affirmait que ce dernier lui avait adressé 178 emails. Au programme : des messages, souvent accompagnés de courtes vidéos comportant des scènes de sexe (dont une rubrique sur « Blanche neige et le sexe »), d'humour, de politique, de football féminin...
Mais ces délicates tentatives d’amuser la galerie n’ont manifestement pas fait rire l’employeur, qui y a vu non seulement une violation au règlement intérieur de l’entreprise (qui interdisait l'utilisation du réseau informatique à d'autres fins que le travail), mais également un facteur concourant au travail « désinvolte » de Monsieur X, ce dernier ayant mis longtemps pour réparer une machine en panne.
Un licenciement d'abord jugé « sans cause réelle et sérieuse »
Une fois remercié, le salarié n’a cependant pas voulu lâcher le morceau. Il a donc exercé un recours devant les prud’hommes, lequel s’est poursuivi en appel. Et surprise : le 21 février 2012, la cour d’appel de Besançon a considéré que le licenciement de Monsieur X était « sans cause réelle et sérieuse ». Les magistrats ont en effet retenu que même si le comportement du salarié était bien « contraire non seulement au règlement intérieur dont fait état l'employeur, mais également aux obligations contractuelles du salarié censé consacrer son temps de travail à l'accomplissement de sa mission, il n'est nullement démontré par l'employeur que ces agissements aient été de nature à porter atteinte à l'image de la société, et qu'ils aient été de nature à porter préjudice à son fonctionnement ». Sans l'un de ces deux éléments justifiant le licenciement, celui-ci devenait donc irrégulier.
Pour justifier sa position, la cour d’appel précisait que « l'employeur produit d'ailleurs aux débats un courriel adressé le 18 mars 2009 à 9h15 par Madame Virginie Y en réponse à un envoi d'un courriel quelques minutes plus tôt de Monsieur X, et dont la teneur démontre l'insignifiance de la perturbation des collègues destinataires des messages adressés par Monsieur X : "Tu sais que j'ai un travail, MOI, Monsieur ?" ». Aux yeux des juges, l’employeur n’a pas non plus démontré que « le temps consacré par Monsieur X à l'envoi de messages à certains collègues ait été à l'origine d'une négligence des tâches qui lui incombaient ». Autrement dit, même si ce comportement confirmait que le salarié pouvait être parfois inoccupé, il n'était selon les magistrats « nullement de nature à justifier le licenciement pour faute grave, ni même pour faute simple, d'un salarié ancien de près de 15 ans ».
Puis invalidé par la Cour de cassation
Le salarié aurait pu se frotter les mains suite à cette décision, sauf que la Cour de cassation a finalement décidé d’invalider le raisonnement des juges du fond. La haute juridiction a en effet considéré que la cour d’appel de Besançon s’était emmêlé les pinceaux : le fait d’envoyer « à ses collègues de travail à partir de l'ordinateur mis à sa disposition par l'entreprise cent soixante-dix-huit courriels accompagnés de vidéos à caractère sexuel, humoristique, politique ou sportif » caractérisait bien « une faute », qu’auraient dû reconnaître les magistrats selon la Cour de cassation.
Dès lors, celle-ci a « cassé » la décision de la cour d’appel selon laquelle le licenciement du salarié devenait « sans cause réelle et sérieuse ». La Cour de cassation a surtout annulé la condamnation de l’employeur à verser les différents dédommagements accordés au salarié : indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de préavis, etc. Mais cette affaire ne s’arrête pas là. La cour d’appel de Dijon devra en effet examiner à nouveau le litige, tout en prenant en considération les recommandations de la Cour de cassation.
Rappelons enfin que de jurisprudence constante, le salarié bénéficie d’un droit au respect de l'intimité de sa vie privée, même au temps et sur son lieu de travail. Ce droit s’applique ainsi au secret des correspondances : emails, conversations téléphoniques... Cependant, le salarié ne doit pas avoir un usage abusif des outils de communication mis à sa disposition.