Le « Happy Slapping » gommé du projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem

Don't worry, be happy

Finalement, la Commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas supprimé l’article 17 du projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem sur l’égalité femme-homme. Celui-là même qui pourrait faire des FAI et des hébergeurs une véritable « police privée du Net » selon les opposants au texte. Il a néanmoins été allégé de ses dispositions relatives aux vidéos dites de « happy slapping ». Compte-rendu.

commission lois

 

Arrivé sur le bureau de l’Assemblée nationale quelques jours avant la pause de Noël, le projet de loi « pour l’égalité entre les femmes et les hommes » de Najat Vallaud-Belkacem a néanmoins eu le temps d’être étudié par la Commission des lois du Palais Bourbon. Comme nous l’avions expliqué quelques jours avant cet examen, une série d’amendements avait été déposée par des députés de différents bords politiques afin de s’attaquer à l’article 17 de ce texte. Et pour cause : celui-ci accentue la responsabilité des FAI et des hébergeurs dans la lutte contre les propos sexistes, homophobes ou handiphobes qui leur sont signalés par les internautes, de même que pour les vidéos de violences volontaires dites de « happy slapping » – suite à un amendement adopté au Sénat.

 

Le problème est que cette extension du régime applicable jusqu’ici pour des contenus dont l’illicéité saute facilement aux yeux (contenus pédopornographiques, racistes ou négationnistes) pourrait susciter un phénomène d’autocensure « préventive » chez les intermédiaires. En effet, pour ne pas prendre le risque de voir leur responsabilité engagée parce qu’ils n’ont pas traité le signalement d’un contenu sexiste par exemple (une blague sur les blondes ?), ils pourraient être tentés de tous les considérer comme illicites. De telle sorte que même les contenus légitimes seraient purgés.

L’article 17 maintenu par la Commission des lois

Les députés Christian Paul et Axelle Lemaire, qui appartiennent à la majorité socialiste, avaient ainsi déposé un amendement visant tout simplement à supprimer l’article 17 du projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem. Un texte à l’objectif identique avait également été concocté du côté de l’UMP par Lionel Tardy, ainsi que chez les Verts par les députés Massonneau, Coronado, Molac, et Pompili. Mais aucun d’entre eux n’a finalement été adopté par la Commission des lois.

 

« L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, votée en 2004, vise les signalements sur l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale et la pornographie enfantine. L’article 17 du projet de loi étend cette liste, à mon sens exagérément, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap » avait pourtant fait valoir Axelle Lemaire (PS) durant les débats en Commission, le 18 décembre dernier. « La police du Net ne relève pas des hébergeurs et fournisseurs d’accès » plaidait de son côté l’écologiste Sergio Coronado, qui n’a pas manqué d’insister sur le fait que « la suppression de cet article serait conforme à l’appréciation du Conseil national du numérique », lequel a rendu il y a peu un avis plutôt défavorable sur l’article litigieux (voir notre article).

Najat Vallaud-Belkacem « totalement opposée à la suppression de l’article 17 »

Mais les arguments des deux députés n’ont pas réussi à convaincre la ministre des droits des Femmes. « Je suis totalement opposée à la suppression de l’article 17 » a ainsi rétorqué Najat Vallaud-Belkacem. La benjamine du gouvernement a expliqué aux parlementaires de la Commission des lois que « la LCEN oblige les fournisseurs d’accès et les hébergeurs à mettre en place un dispositif de signalement des messages de haine raciale, antisémites, faisant l’apologie de crime contre l’humanité ». L’intéressée estime à cet égard « que le sexisme et l’homophobie doivent être combattus avec les mêmes armes ».

 

Najat Vallaud-Belkacem  

Sébastien Denaja, député (PS) rapporteur du projet de loi, a rejoint la ministre, affirmant au passage que les auditions qu’il avait menées à ce sujet n’avaient « pas fait ressortir de difficultés potentielles ». Mais le député Coronado a maintenu sa position : « J’y insiste : le dispositif prévu à l’article 17 sera inefficace, aux dires mêmes des hébergeurs, de la CNIL, du Conseil constitutionnel, du Conseil national du numérique ! ». Il sera donc intéressant de parcourir l'avis du rapporteur lorsque celui-ci sera publié...

Christian Paul n’exclut pas de représenter son amendement en séance publique

Assurant à la ministre que leurs divergences portaient « non sur les objectifs, mais sur la stratégie », le député socialiste Christian Paul a mis en garde l’exécutif : « On ne cesse de nous présenter des textes de nature très différente incluant des dispositions sur l’exercice des libertés numériques. Le risque d’une véritable incohérence dans la manière dont nous écrivons le droit est réel (...). En outre, nous pensons que des autorités administratives ou des entreprises n’ont pas à jouer le rôle de censeur : c’est à l’autorité judiciaire de procéder à l’identification des contenus illicites et de prononcer les sanctions ».

 

L’élu a préféré retirer son amendement co-écrit avec Axelle Lemaire, tout en précisant qu’il n’excluait pas « de le redéposer dans le cadre de la discussion en séance publique ». L’amendement des Verts fut quant à lui rejeté, tandis que celui de Lionel Tardy n’a pas été défendu.

Les vidéos de « happy slapping » disparaissent de la liste des contenus concernés

Néanmoins, le passage en Commission des lois se sera conclu par un allègement de l’article 17 du projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem. En effet, les sénateurs avaient souhaité que les vidéos de violences volontaires, également appelées « happy slapping », soient obligatoirement dénoncées par les intermédiaires, au même titre que les contenus sexistes, homophobes et handiphobes. Sauf que le passage a finalement été gommé par la Commission des lois, qui a adopté un amendement du rapporteur Denaja.

 

Dans son exposé des motifs, celui-ci faisait valoir que cette extension « fragiliserait l'équilibre nécessaire entre liberté d'expression et impératifs de sécurité, en permettant la mise en jeu de la responsabilité - pénale ou civile - des fournisseurs d'accès et des hébergeurs dans des situations où le caractère manifeste de l'illicéité du contenu serait discutable ». Et pour cause, « certaines images de violences [peuvent] laisser place au doute quant à leur gravité, à leur caractère réel ou fictif ou au consentement des personnes pouvant être vues sur les images - et ce, d'autant plus que l'article 12 bis du projet de loi prévoit d'étendre le champ d'application de ce délit à la diffusion d'images de harcèlement sexuel » indiquait le député.

 

Pourtant, force est de constater que ce sont les mêmes arguments qui sont mis en avant par les opposants à l’article 17. S’il s’est clairement dit « défavorable à la suppression de l’article 17 », le rapporteur Denaja a justifié sa position en affirmant que ses auditions avaient « souligné une difficulté d’appréciation des contenus » à ce sujet.

 

Adopté en première lecture par le Sénat au mois de septembre, le texte de Najat Vallaud-Belkacem doit désormais être examiné à l'Assemblée nationale, en séance publique cette fois, à partir du 20 janvier.

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