Nouveau round dans le bras de fer qui oppose les Véhicules de Tourisme avec Chauffeur (VTC) aux taxis. Alors que le gouvernement vient de publier un décret leur appliquant un délai de 15 minutes avant la prise en charge d'un client, SnapCar indique qu'il ne l'appliquera pas.
Suite à la signature par Sylvia Pinel, Ministre de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme et Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur, du décret imposant aux VTC un délai de quinze minutes avant la prise en charge d'un client, on pouvait s'attendre à de multiples réactions. Et si du côté des taxis, l'accueil est sans doute plutôt favorable, il en a bien entendu été tout autrement de la part des VTC.
Et le plus virulent a sans doute été SnapCar dont le fondateur, Yves Weisselberger, s'est fendu d'une tribune publiée dans le Huffington Post. Comme beaucoup, il voit dans la signature de ce décret un calcul politique servant à calmer les fédérations de taxis tout en sachant qu'il sera sans doute annulé par le conseil d'État en cas de recours. D'autant plus que l'avis de l'autorité de la concurrence, opposé à ce décret, bien que consultatif, constituerait une bonne base en cas de contestation. In fine, le résultat serait donc le même, mais en évitant les grèves et en déplaçant la question du terrain politique à celui de la décision de justice. Une interprétation dont on attend de voir ce qu'elle donnera en pratique, puisque le conseil d'état n'a pas encore été saisi. Cela devrait néanmoins être le cas assez rapidement.
Pour SnapCar le gouvernement cherche à se défausser : le décret ne sera pas appliqué
Quoi qu'il en soit il précise que sa société n'appliquera pas le décret en question. De fait, elle pourrait s'exposer à de lourdes sanctions si le projet de loi sur la Consommation passe en l'état au Sénat. En effet, il prévoit une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende auxquels peuvent se voir ajoutés la suspension du permis pour une durée maximale de cinq ans et la confiscation du véhicule.
Selon lui, c'est surtout l'absurdité de la situation impliquée par ce texte qui serait en cause, ce qui rejoint l'avis de l'autorité de la concurrence que nous évoquions plus tôt dans la journée : « Il nous faudrait demander à nos chauffeurs d'aller chercher les clients en roulant doucement. Ou alors prendre un café avant de partir. Ou alors empêcher les clients de monter dans la voiture lorsqu'elle est arrivée trop rapidement. Nous estimons que ce Décret, pour être exécutable, doit impérativement préciser laquelle de ces trois attitudes nous est demandée. »
Il pose aussi la question de son application et des moyens donnés aux Boers (l'unité de police des taxis parisiens) alors que, selon lui, elle a sans doute mieux à faire face aux pratiques de maraude et de racolage dans les gares et aéroports et autres adeptes du travail au noir. Il rajoute que sa société ne peut pas laisser ses clients attendre artificiellement et « leur faire perdre un temps précieux », ce qui reviendrait à leur nuire, à nuire à sa société ainsi qu'à ses chauffeurs. Il rappelle ainsi qu'après avoir créé plus de 1 000 emplois, ce secteur devrait en créer « 30 000 dans les 5 à 7 années à venir ». Une bataille de chiffre auxquels les syndicats taxis ne manqueront sans doute pas de répondre en évoquant le potentiel de destruction d'emploi dans leur activité.
AlloCab va contester le décret, mais appliquera bien le délai d'ici là
Même son de cloche du côté de chez Alllocab, un service présent dans une cinquantaine de villes en France et qui compte un peu plus de 200 chauffeurs, pour qui « Il n’est plus à prouver que la libre concurrence profite à l’économie. » Via un communiqué diffusé dans l'après-midi, la société précise qu'elle va elle aussi intenter une action devant le Conseil d'État puisque « Ce délai de 15 minutes entre la réservation et la prise en charge du client revient à priver le chauffeur de l’équivalent d’un mois de travail. »
Une perte annuelle calculée sur la base d'une différence de huit minutes par course entre les sept minutes d'attente en moyenne et le délai imposé. Soit une heure (soit 7,5 courses) par jour et 300 heures par an. Une baisse de rentabilité que l'on nous annonce déjà comme ayant un impact sur le prix final, bien que cette hausse sera sans doute plus limitée dans les zones à forte concurrence entre les différents acteurs comme la région parisienne.
Voulant ironiser sur la situation, Yanis Kiansky, fondateur d'Allocab ira même de sa petite comparaison : « Pour ne pas faire de concurrence, a-t-on imposé aux compagnies aériennes de rallonger leur temps de trajet afin de préserver les parts de marché du train ? » Un parallèle dont on doute de la pertinence puisqu'il n'est pas ici question de deux modes de transports différents, mais bien de deux services concurrents, qui n'ont juste pas les mêmes obligations, ni le même mode de tarification / facturation, ce qui est au centre du problème.
Quoi qu'il en soit, il nous a été précisé que le délai de 15 minutes serait tout de même appliqué en attendant l'aboutissement du recours. Cela se fera tout d'abord via une consigne donnée aux chauffeurs en attendant la mise en place d'une nouvelle version des applications
Évolution trop rapide ou adaptation trop lente : VTC et taxis vont être durs à réconcilier
La situation est de toutes façons complexe, et le rôle de médiation impossible dès lors que les VTC ne veulent voir s'appliquer aucune restriction à leur activité. Et ce, même pendant une phase de transition permettant au marché de s'adapter à leur arrivée, sans pénaliser ceux qui ont parfois misé des centaines de milliers d'euros pour leur plaque, lorsqu'ils ne l'ont pas obtenue sur liste d'attente.
Mais à l'inverse, on ne peut aussi que reprocher aux services de radio-taxis de ne pas avoir sur évolué assez vite notamment sur la question de la transparence des tarifs et de l'évolution de l'usage des smartphones pour ce qui est de la réservation, en mettant à disposition de leurs clients plus tôt des applications bien meilleures que ce qui est actuellement proposé. Car ce sont ces deux points, outre le débat sur la qualité du service de tel ou tel chauffeur, qui incite le plus souvent le client à opter pour le VTC plutôt que le taxi.
Chauffeur privé rêve d'une situation new-yorkaise
Yan Hascoet, co-fondateur de Chauffeur privé était pour sa part ce matin l'invité des Grande gueules de RMC à 11h20. Après près de deux ans d'activité, son entreprise revendique plus de 500 véhicules en île de France et plus de 80 000 clients avec des dizaines de milliers de courses assurées chaque mois. Il se dit d'ailleurs moins cher qu'un taxi réservé, mais plus cher qu'un taxi pris à la volée, une pratique qui est interdite aux VTC, qui ne disposent pas d'une licence et d'une enseigne lumineuse. Une différence importante pour lui qui rappelle souvent qu'à New York, l'inverse est aussi vrai. Ainsi, les fameux Yellow cabs ne peuvent pas y être réservés, les deux pratiques étant segmentées.
Il rejoint d'ailleurs son confrère sur la question du racolage et de la maraude, précisant qu'il n'a aucun intérêt à ce que ses chauffeurs aient de telles pratiques, puisqu'il ne touche alors aucune commission et que cela est désormais sous le coup de la loi pénale : « ce n'est pas un problème de législation, c'est une question de contrôle ». Pour lui aussi, cette décision aura un impact négatif pour le client comme pour le chauffeur puisque le temps d'arrivée après la réservation est doublé. Un point confirmé par la suite par Olivier, un taxi qui pratique aussi en tant que VTC, qui y voit un problème surtout pour ceux qui réservent à la dernière minute plutôt que pour ceux qui préparent un déplacement.
Mais pour Yan Hascoet, il faut au contraire encourager à la pratique des VTC afin de faire croître leur nombre et se retrouver dans une situation similaire aux autres grandes villes. Sur la question des 15 minutes, il ne donnera aucun détail sur la façon de procéder de son service dans les semaines à venir mais précisera tout de même qu'il mise sur une issue favorable : « notre postulat, c'est que l'on respecte les institutions, on a des recours juridiques que l'on va mettre en œuvre et on a bon espoir d'y gagner ».
Chez la plupart des VTC, pour le moment, c'est silence radio
Les autres sociétés de VTC n'ont semble-t-il pas encore réagi que ce soit via leur blog ou leurs comptes sur les réseaux sociaux. De son côté, Uber a simplement précisé ses règles pour la nuit de la saint Sylvestre : outre l'augmentation du nombre de chauffeurs, les tarifs seront adaptés en fonction de la demande avec un écran spécifique lorsqu'une majoration sera appliquée. Une communication assez précoce, sans doute afin d'éviter les phénomènes de grogne de l'année dernière et le fameux clash avec Valérie Damidot. Quoi qu'il en soit, il n'est nullement précisé qu'un délai de 15 minutes sera désormais appliqué.
Car une chose est sûre, la question est encore loin d'être réglée, et la décision de faire passer ce décret à quelques jours seulement du nouvel an ne devrait pas vraiment calmer les esprits. Il sera d'ailleurs assez intéressant de voir comment chaque camp gère cette période charnière, lorsqu'il sera question de ramener les fêtards à bon port, une fois le 1er janvier arrivé.