Le verdict est finalement tombé hier : le Conseil d’État a rejeté les recours introduits par Free et l'association French Data Network (FDN) contre deux décrets d’application de la loi « Création et Internet » de 2009, celle instituant la Hadopi. Explications.
Comme c’est traditionnellement le cas lorsqu’une loi est adoptée, différents décrets d’application ont été pris par le gouvernement Fillon suite au vote de la loi Hadopi. Le 12 octobre 2010, un décret dit « anti-Free » fut ainsi publié pour faire plier l’opérateur, qui refusait alors de relayer les premiers courriels d’avertissement à ses clients pris dans les filets de la riposte graduée.
En vertu de ce texte émanant du ministère de la Culture, les FAI étaient expressément « tenus d'adresser par voie électronique à l'abonné chacune des recommandations (…) dans un délai de vingt-quatre heures suivant sa transmission par la commission de protection des droits » de la Hadopi. Tout opérateur ne remplissant pas cette mission est depuis passible d’une amende d’un montant maximal de 1 500 euros d’amende par email non transmis.
Le décret « anti-Free » devant le Conseil d’État
En réaction, Free avait attaqué ce décret devant le Conseil d’État. L’opérateur clamait que celui-ci était illicite, notamment dans la mesure où différentes formalités n’avaient pas été respectées par l’exécutif (absence de contreseing du ministre de l'Économie, pas de consultation de l’ARCEP,...). Mais dans sa décision, rendue hier (et disponible ici), la juridiction administrative ne l’a pas entendu de cette oreille. À ses yeux, tout est en règle.
En effet, même si l'article L. 36-5 du Code des postes et des communications électroniques prévoit que l’ARCEP soit « consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre » le Conseil d’État a considéré que le lien était trop lointain avec le décret anti-Free. La juridiction a ainsi retenu que « le décret attaqué se borne à rappeler l'obligation faite aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec des abonnés de transmettre à ces derniers les recommandations de la commission de protection des droits de la HADOPI ».
Les arguments invoqués par Free ont ainsi tous été balayés par les magistrats de l'ordre administratif, tant sur la forme que sur le fond. Tandis que Free prétendait que la mise en oeuvre « sans délai » des obligations d'envoi des emails portait atteinte au principe de sécurité juridique, le Conseil d’État n’y a rien trouvé à redire. « L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont (...) imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante » indique la décision des juges.
Résultat : le décret n’est pas entaché d’irrégularité aux yeux du Conseil d’État. Ce dernier a donc rejeté le recours de Free et refusé par la même occasion d’annuler le texte litigieux.
Pas d'irrégularités aux yeux du juge administratif, même pour le recours de la FDN
La haute juridiction administrative a également rendu son verdict sur un second recours, qui avait été introduit en parallèle par French Data Network (PDF). L’association alors présidée par Benjamin Bayart visait cette fois un décret du 11 mars 2011 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 3331-29 du Code de la propriété intellectuelle. Un traitement qui est au cœur de la riposte graduée (saisines des ayants droit, notifications aux procureurs, etc.).
De la même manière que Free, FDN considérait que l’ARCEP aurait du être sollicitée par le gouvernement à propos de ce décret. Mais l’absence de consultation de l’autorité administrative n’est pas vue comme un argument valable aux yeux du Conseil d’État. Étant donné qu’il porte sur un traitement de données à caractère personnel, « le décret attaqué ne concerne pas les communications électroniques au sens des dispositions de l'article L. 36-5 au code des postes et des télécommunications électroniques » balaye ainsi la juridiction.
Aussi, l’association clamait qu’une différence en matière de délais d’effacement des données contenues dans ce traitement automatisé était de nature à porter atteinte à la présomption d’innocence. Et pour cause : en fonction des suites réservées par la justice aux dossiers, la suppression des données n’intervient pas au même moment. Mais pour le Conseil d’État, « cette différence n'a aucune incidence sur la culpabilité éventuelle des personnes concernées ». En ce sens, il n’y a « aucune automaticité entre la durée de conservation des données et le prononcé (...) d'une sanction pénale par l'autorité judiciaire ».
Deux échecs successifs pour l'association
Bref. Comme pour Free, la haute juridiction administrative a balayé tous les arguments avancés par le plaignant et rejeté le recours de French Data Network. Les magistrats ont ainsi suivi les conclusions du rapporteur public, qui avait préconisé un rejet des demandes de Free et FDN lors des audiences, en octobre dernier.
Rappelons enfin que ce n'est pas la première fois que l'association dont Benjamin Bayart est aujourd'hui le porte-parole connait une telle déconvenue devant le Conseil d'État à propos de décrets concernant la loi Hadopi. En 2011, l'institution avait en effet déjà refusé de donner suites aux demandes de la FDN, mais également à Apple.