PC INpact dévoile en exclusivité le contenu de la saisine UMP/UDI visant la loi de programmation militaire. « Cet article méconnaît en effet plusieurs principes constitutionnels » expliquent les auteurs de la saisine. « Il est bien sûr nécessaire de donner les moyens aux services de renseignement de lutter efficacement contre le terrorisme. Mais cette nécessité, parce qu’elle implique des techniques attentatoires aux libertés individuelles, doit être proportionnée et encadrée » tempèrent-ils.
Ce texte peut encore être considéré en ébauche, puisqu'il n'a pas encore été déposé au Conseil. Cependant, pour les députés, désireux déférer ce texte devant ce juge, l’article 20 du projet de loi de programmation militaire méconnait une série de dispositions constitutionnelles.
Il s'agit de l’article 34 de la Constitution qui demande à ce que le législateur ébauche la loi avec précision et dans toute sa plénitude, spécialement lorsque les règles touchent aux libertés et droits fondamentaux. Le texte malmène selon eux encore l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme de 1789, à partir duquel le droit à la vie privée est de rang constitutionnel. Enfin, le dispositif ne serait pas conforme à l’article 66 de la Constitution selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle.
Des termes trop flous
Dans le détail, le texte n’encadrerait pas suffisamment le recueil ou l’interception des « informations et documents » rangés dans la catégorie des données de connexion. Les finalités du recueil seraient trop floues : « rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous ».
Des services du renseignement en trop
Ceux qui pourront faire ces recueils seraient par ailleurs trop nombreux, des agents habilités des ministères de l’intérieur et de la défense, mais aussi des agents du ministère de l’économie et du budget. « Il a certes été évoqué, au cours des débats parlementaires, que les agents de la cellule « Tracfin » du ministère de l’économie peuvent traiter d’affaires en relation avec la lutte contre le terrorisme, mais cette justification est extrêmement faible, dès lors que, d’après les propres chiffres de Tracfin, les affaires de financement du terrorisme ne concernent qu’1 % des dossiers qu’elle traite. Le fait que ces dispositions soient introduites par la loi de programmation militaire renforce cette position. En permettant l’habilitation d’agents du ministère de l’économie et du budget, le législateur a méconnu les dispositions constitutionnelles précitées »
Trop de données trop mal sollicités
Ce n’est pas tout, les députés estiment que l’expression « sollicitation du réseau », moyen par lequel les agents pourront aspirer ces wagons de données « est extrêmement floue, ce qui est d’autant moins justifiable compte tenu du caractère intrusif de la mesure ». Ils considèrent encore que la liste des données susceptibles d’être ainsi aspirée est trop vaste. Et pour cause, la loi donne quelques exemples de données de connexion (qui, où, quand, avec quoi, etc.) mais laisse la liste ouverte en utilisant la notion d’« informations ou documents ». une notion « extrêmement large » alors que « le champ des données surveillées n’est ainsi pas limité aux seules données de connexion, et elle peut concerner toutes les données stockées par l’utilisateur. »
Fait notable, cette expression est déjà utilisée depuis 2004 dans d’autres textes touchant la sécurité intérieure. Si le Conseil Constitutionnel en vient à la censurer ou rectifier un peu trop fortement, les conséquences pourraient être lourdes pour le renseignement français.
Autre reproche : « le législateur a insuffisamment encadré les délais de conservation des données ». Les données aspirées pourront l’être durant 30 jours mais ce délai est renouvelable sans limite. « Aucune limite de temps n’encadre la détention des données collectées. Cet absence d’encadrement temporel méconnaît dans ce cadre les dispositions et principes constitutionnels précités ».
Le manque de contrôle
Les auteurs de la saisine auraient pu se focaliser aussi sur le sort des informations stockées en trop, laissé sans précision dans la loi, mais ils préfèrent terminer en regrettant l’absence de contrôle suffisant dans ces mesures. « Pour recueillir les informations et documents en cause, il suffit (…) d’une décision d’une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre ». Et l’autorisation de recueil des informations ou documents « est accordée par décision écrite du Premier ministre ou des personnes spécialement désignées par lui ».
Or, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité n’intervient ici que pour de simples recommandations et non pas par une décision. « Ainsi, il n’est prévu de décision ni d’une autorité judiciaire, ni même d’une autorité administrative indépendante. L’ensemble de la procédure de mise sous surveillance se déroule hors de tout contrôle de ce type, dans le seul cadre d’une décision du premier ministre. Une telle procédure ne peut être admise dès lors qu’il s’agit d’accéder à des données personnelles. Il y a en l’espèce méconnaissance tant du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 que de l’article 66 de la Constitution ».
Une saisine hypothétique
L’intervention du Conseil constitutionnel dépendra cependant du nombre de signataire de cette saisine. Il faut en effet 60 députés pour que ce texte puisse être transmis de l’Assemblée nationale aux bras des sages de la rue de Montpensier. Dans le même temps, François Hollande peut du jour au lendemain promulguer cette loi. Faute de saisine dans les temps, seule une question prioritaire de constitutionnalité permettra de garantir ce contrôle de constitutionnalité, a posteriori cette fois. Mais encore faut-il qu’elle soit soulevée dans un futur et hypothétique litige.