Blocage des sites : débats houleux à l’Assemblée entre l’UMP et la majorité

Des hauts, débats

L’Assemblée nationale a achevé cette nuit l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi sur la Consommation. Le député UMP Lionel Tardy fut à cette occasion amené à défendre deux amendements qu’il avait déposés sur ce texte, lesquels concernaient le blocage judiciaire des sites Internet. Accompagné de sa collègue Laure de la Raudière, l’élu a tenté de mettre la majorité socialiste face à ses contradictions.

 

Comme nous le révélions en mai dernier, le projet de loi Hamon met en place un nouveau dispositif de blocage judiciaire des sites Internet. Le texte du ministre de la Consommation prévoit en effet que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) puisse réclamer du juge « toutes mesures proportionnées propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne » qui viendrait malmener une disposition du Code de la consommation. Cette mesure avait déjà été proposée en 2011 par l’UMP, alors aux manettes, suscitant au passage une vive opposition du PS. Finalement, elle avait été abandonnée.

 

Remise sur le tapis par la nouvelle majorité socialiste, cette brèche étendant de fait le périmètre des sites pouvant être bloqués sur ordre d’un juge était cependant très mal vue par Lionel Tardy. Le député UMP a donc tout simplement demandé au travers de deux amendements (le premier, le second) la suppression de cette mesure. « Malgré l’emploi du terme "mesures proportionnés", une telle disposition n’est pas acceptable, car elle est prise pour étendre encore la possibilité de bloquer l’accès à certains contenus sur Internet, et finalement stigmatiser une nouvelle fois Internet via la restriction de son accès » expliquait ainsi le parlementaire dans son exposé des motifs.

Lionel Tardy appelle le gouvernement à la cohérence

Hier, dans l’hémicycle, le parlementaire a insisté sur le fait que « le blocage des sites internet, outre qu’il envoie de mauvais signaux, [est] dans tous les cas techniquement inefficace ». Surtout, Lionel Tardy s’est plu à rappeler l’argumentaire déployé par le gouvernement pour revenir sur le blocage administratif des sites prévu par les parlementaires de sa majorité dans le cadre de leur proposition de loi sur le système prostitutionnel (voir notre article).

 

« Je ne résiste pas au plaisir de vous lire son argumentation, a ainsi déclaré Lionel Tardy : "Le partage entre les responsabilités respectives du juge et de l’autorité administrative dans ces décisions est un sujet qui mérite une réflexion plus approfondie, dans le respect des droits fondamentaux en termes de libertés d’expression et de communication. Le numérique, ses technologies et ses usages peuvent et doivent être un support et un facteur d’approfondissement de ces droits. Le Gouvernement a donc engagé cette réflexion dans le cadre de la préparation de l’habeas corpus numérique. Il est donc prématuré de prévoir l’inscription d’un dispositif de ce type dans toute proposition législative." Je n’aurais pas dit mieux. »

 

Appelant le gouvernement à respecter la plus grande « cohérence », le député UMP a donc invité l’exécutif à soutenir ses amendements. « Reconnaissez qu’il serait difficilement compréhensible que le gouvernement se contredise » a-t-il lancé.

 

Razzy Hammadi, rapporteur socialiste du projet de loi, ne l’a néanmoins pas entendu de cette oreille : « Il y a un premier écueil dans votre raisonnement, c’est de faire croire que le texte comporte autre chose que ce qu’il contient ». Le député PS a ainsi tenu à préciser que « le projet de loi ne reconnaît pas à la DGCCRF la faculté de bloquer un site, en aucun cas. Il lui offre la possibilité de saisir le juge afin qu’il délivre une injonction judiciaire en vue de prévenir ou faire cesser un dommage pour les consommateurs inhérent au contenu illicite d’un site internet ».

« Il dit des bêtises ! »

La députée Laure de la Raudière est alors intervenue pour rappeler à l’ordre la majorité : « Ce n’est pas ce que vous disiez lors de la discussion de la loi Lefebvre ! », en référence à l’opposition du Parti socialiste quant aux mesures similaires proposées en 2011 par l’UMP. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, l’opposition d’alors affirmait sans détour que « ce n’est pas parce que la procédure fait intervenir un juge qu’elle doit être considérée comme a priori légitime ». Le PS préconisait ainsi de ne réserver le blocage qu’aux atteintes les plus graves, sachant que de telles mesures étaient jugées « potentiellement dangereuses, car attentatoires à la liberté d’expression et de communication sur internet ». Le groupe mené par le député Jean-Marc Ayrault terminait cette descente en règle du projet de loi Lefebvre par ces mots : « Les acteurs de l’économie numérique ainsi que de nombreux techniciens considèrent que le traitement technique des infractions relevées sur internet est inefficace ».

 

 

Pourtant, le rapporteur est resté droit dans ses bottes : « Non, car à l'époque il n’y avait même pas le filtre du juge » a-t-il rétorqué à Laure de la Raudière. « Mais si ! » a alors hurlé l’élue UMP, tandis que le président de séance lui demandait d’attendre son tour pour prendre la parole. « Il dit des bêtises ! » a-t-elle néanmoins eu le temps d’insister... Et pour cause : le projet de loi Lefebvre prévoyait bien un recours « à l’autorité judiciaire » (voir l’extrait du texte ci-dessus).

 raudière

 

« Je voulais juste rectifier les propos de monsieur le rapporteur, qui a dit quelque chose de faux, a poursuivi la députée après avoir repris la parole. L’article présent dans la loi Lefebvre était exactement le même que celui-là. Il était donc bien prévu l’intervention d’un juge ». En direction de Razzy Hammadi elle a lancé : « Quand vous vous êtes opposés il y a moins de deux ans - pas vous personnellement, monsieur le rapporteur, car vous n’étiez pas encore député -, quand certains de vos collègues présents ici ce soir se sont opposés à ce texte, c’était justement pour les mêmes motifs que ceux avancés par Lionel Tardy ». Ce dernier a d’ailleurs eu l’occasion de lancer « Mais ce soir, on ne les entend plus ! ».

Les amendements de Lionel Tardy rejetés, le projet de loi part au Sénat

En dépit des objections formulées par les deux députés UMP, le rapporteur et le gouvernement ont donné un avis défavorable aux deux amendements de Lionel Tardy. « C’est seulement si le propriétaire d’un site dont les contenus illicites contribuent à tromper et, disons-le, à voler les consommateurs, n’est ni joignable ni identifiable que la procédure pourra être mise en place, avec le filtre du juge » a insisté Razzy Hammadi. Contrairement au projet de loi Lefebvre, le texte de Benoît Hamon veut en effet respecter le principe de subsidiarité : face à une infraction, l’autorité devra s’adresser d’abord à l’éditeur d’un site, puis en second rang à son hébergeur et à défaut, au FAI. Le texte de l’UMP permettait quant à lui d’agir directement contre le FAI.

 

Les amendements de Lionel Tardy ont finalement été rejetés sans qu’aucune autre voix ne se fasse entendre dans l’hémicycle. Le projet de loi a ensuite été adopté dans sa globalité par l’Assemblée nationale. Le texte part donc au Sénat pour une seconde lecture, qui ne devrait pas intervenir avant début 2014.

 

Très attentive sur ce sujet, la Quadrature du Net n’a pas tardé à réagir au vote de cette mesure. « Cette loi vient une nouvelle fois banaliser le blocage de sites comme mode de régulation de la liberté de communication sur Internet, et ce en dépit des graves risques inhérents à ce type de mesure comme le surblocage de contenus parfaitement licites » a ainsi déclaré Félix Tréguer, co-fondateur de l’association de défense des libertés numériques. Selon lui, « le gouvernement et le législateur s'obstinent dans leur entreprise de contrôle d'Internet, et restent sourds aux appels à protéger dans les faits la liberté de communication en ligne ».

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !