Comment le numérique pourrait aider le « juge du 21ème siècle »

Comment le numérique pourrait aider le « juge du 21ème siècle »

Rapport à la ministre de la Justice

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

16/12/2013 10 minutes
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Comment le numérique pourrait aider le « juge du 21ème siècle »

Création d’une plateforme de règlement en ligne des litiges, permettre aux justiciables de suivre leurs dossiers sur Internet, ouverture de possibilités d’échanger par email avec les services judicaires,... Voici quelques-unes des propositions faites dans un rapport sur « Le juge du 21ème siècle », commandé par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, et qui vient d'être rendu public. 

rapport juge

 

Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation, a remis la semaine dernière à la Garde des Sceaux les conclusions du groupe de travail sur « Le juge du 21ème siècle » (PDF), qu’il présidait depuis le mois de février. D’entrée, ce rapport affirme qu’il est aujourd’hui « inenvisageable de réfléchir à l’office du juge au XXIème siècle sans aborder l’incidence des nouvelles technologies sur l’évolution de ses missions et de ses méthodes de travail ». Ainsi, parmi les trois gros piliers autour desquels sont organisées ces conclusions, l’un a tout particulièrement trait aux nouvelles technologies : il s’agit du volet « Adapter le débat judiciaire à notre temps », qui comporte une dizaine de recommandations concrètes.

Des plaidoiries par visio-conférence

En l’occurrence, le groupe de travail fait principalement référence aux outils de visio-conférence. Il est ainsi préconisé que les avocats soient autorisés à plaider par visioconférence dans les affaires civiles, et ce sans avoir l’obligation de se trouver dans une salle d’audience ouverte au public - contrairement à aujourd’hui. L’article L111-12 du code de l’organisation judiciaire, qui organise actuellement cette possibilité, est ainsi jugé trop restrictif.

 

Le rapport Delmas-Goyon considère que les avocats pourraient plaider leurs dossiers depuis « les locaux dont disposent les ordres dans les palais de justice ou dans les maisons de l’avocat que possèdent de nombreux barreaux à proximité des tribunaux ». Aux yeux des membres du groupe de travail, les avocats n’auront par conséquent plus à se préoccuper de la disponibilité d’une salle. L’utilisation de la visio-conférence en deviendra selon eux « grandement facilitée ».

 

webcam

Un suivi des dossiers par Internet pour les justiciables

La deuxième recommandation concerne cette fois les particuliers, puisqu’il s’agit de « donner aux justiciables la possibilité d’accéder, par une liaison internet personnalisée, au suivi des procédures qui les concernent ». Aujourd’hui, la justice enregistre informatiquement les « événements », c’est-à-dire les différentes étapes relatives à un dossier. Ce récapitulatif peut être consulté par les fonctionnaires (greffiers, magistrats...), voire éventuellement par les avocats - qui disposent d’un réseau indépendant. Mais pas par les justiciables.

 

Le groupe de travail en appelle donc à la mise en place d’une interface « permettant une consultation d’accès libre sur internet ». Cet accès ne serait permis que « sur renseignement d’un code d’accès qui sera délivré au justiciable lorsque son nom sera enregistré dans la procédure ». D’un point de vue informatique, le rapport Delmas-Goyon prône un dispositif dans lequel l’internaute/justiciable « consultera des données téléchargées quotidiennement sur un serveur distinct » et dont « l’architecture mise en œuvre interdira toute possibilité pour l’utilisateur d’accéder au serveur principal ».

 

« Il ne s’agit là que d’une mise en œuvre très banale des techniques informatiques, couramment utilisée dans d’autres pays (notamment aux États-Unis et au Brésil) » observe à cet égard le groupe de travail, laissant entendre que ceci aurait pu être mis en place en France il y a bien longtemps...

Davantage de possibilités de communiquer par email

Autre recommandation, qui concerne encore une fois les particuliers : « Dans toutes les matières où les justiciables peuvent saisir en personne la justice par requête ou par déclaration au greffe [c’est notamment le cas pour les saisines des tribunaux d’instance ou de grande instance, ndlr], ils devront pouvoir transmettre cet acte introductif d’instance par voie électronique » prône le rapport Delmas-Goyon. Autrement dit, il s’agit d’offrir aux citoyens souhaitant effectuer ces démarches par email la possibilité de le faire. Des formulaires adaptés pourraient ainsi être mis en ligne par le ministère de la Justice, et « une assistance technique pourra être fournie à ceux qui le souhaitent dans les maisons de justice et du droit ».

 

Dans le même filon, le rapport Delmas-Goyon juge que les pouvoirs publics devraient « permettre aux parties qui le souhaitent de recevoir avis et notifications procéduraux par voie électronique ». En clair, par courriel. L’idée n’est encore une fois pas de généraliser une telle option, mais simplement de la proposer... Concrètement, une partie pourrait donner sur ce principe à la juridiction saisie d’un litige la concernant son adresse email, « en précisant qu’elle souhaite que tous avis et notifications lui soient désormais uniquement adressés par cette voie ». À la clé : une réduction des temps d’attente pour les justiciables concernés, mais aussi des économies liés aux frais postaux.

Une plateforme de règlement en ligne des litiges

L’une des propositions phare du rapport Delmas-Goyon est d’en appeler à la mise en place d’une « plateforme de règlement en ligne des litiges répondant à l’objectif de favoriser (...) la résolution amiable des conflits ». En 2001, le « Forum des droits sur l’internet » avait été crée, afin de permettre un règlement en ligne des litiges nés de l’usage du Net. Cette plateforme, gratuite pour les justiciables, permettait à ces derniers d’obtenir une information juridique avant de saisir la justice en bonne et due forme. Sauf que le fameux forum a fermé ses portes en décembre 2010. « Cet arrêt est regrettable car l’efficacité de la plateforme était reconnue, près de 6 800 cas ayant été traités avec un taux de règlement amiable de 88 % » note à cet égard le rapport.

 

Le groupe de travail estime ainsi qu’il convient de reprendre cette « excellente expérience » et de l’étendre à d’autres domaines de litiges. Selon les rapporteurs, les autorités y seraient d'ailleurs grandement invitées en raison de récentes dispositions adoptées en mai dernier au niveau européen. « L’occasion est ainsi donnée de mettre en œuvre un ambitieux projet qui, au-delà même du champ d’application de la directive européenne [2013/11/UE du 21 mai 2013, relative au règlement extra-judiciaire des litiges de consommation], réponde à l’objectif de favoriser par le recours aux nouvelles technologies numériques la résolution amiable de conflits ».

 

tribunal justice xavier

Des informations par SMS pour le jour des audiences

« L’attente à l’audience est une cause constante d’insatisfaction, tant pour les justiciables que pour les avocats » expliquent les membres du groupe de travail. Et pour cause : « il est encore habituel que l’attente dure plusieurs heures, sans que l’institution ne dispense les informations nécessaires pour donner du sens à cette attente ». Pour éviter que les gens ne patientent pour rien, le rapport préconise la création d’un outil permettant de gérer électroniquement les audiences. En vertu de ce dispositif, les avocats et les justiciables pourraient être avertis par SMS de l’heure à laquelle ils ont besoin de se présenter, par exemple une demi-heure avant leur passage devant le juge. Voici comment pourrait fonctionner ce dispositif :

 

« Il suffit que le greffier dispose d’un rôle informatique tenu à jour au fur et à mesure du déroulement de l’audience. L’ordre de passage des affaires retenues y sera indiqué et les avocats, qui pourront consulter à distance ce rôle d’audience électronique, auront ainsi une base d’appréciation fiable du délai prévisible d’évocation de leur dossier. La performance du système sera grandement améliorée si, lors de l’appel des causes, est précisée la durée prévisible de chaque affaire. Le système pourra en outre envoyer, tant aux avocats qu’aux justiciables, un message type SMS les avisant une demi-heure à l’avance de l’heure prévue pour l’appel de leur dossier. Chacun pourra ainsi occuper utilement son temps et l’institution judiciaire manifestera la considération qu’elle a pour ceux qui sont tenus de se présenter à ses audiences. »

Attention à ne pas se borner à chercher les économies

En conclusion, le groupe de travail retient que « l’usage des nouvelles technologies doit être encouragé et facilité chaque fois qu’il apparaît conforme aux exigences d’une justice de qualité, sans qu’il y ait lieu de craindre une contagion qui conduirait à l’utiliser ensuite dans d’autres situations plus discutables. Pour ces dernières, il revient à la pratique de dégager progressivement, au fur et à mesure de l’expérience acquise et des progrès de la technique, les points d’équilibre compatibles avec l’exercice d’une bonne justice ». En l’occurrence, le rapport Delmas-Goyon affirme que la justice ne doit pas inciter à une utilisation généralisée des nouvelles technologies « à seule fin de réduire les coûts ».

 

La révision générale des politiques publiques, la « RGPP », en prend d'ailleurs ici pour son grade, puisque son rôle est jugé de ce point de vue comme « très néfaste » : « Elle ne s’est intéressée à la visioconférence que pour l’audition des détenus en matière pénale, espérant ainsi réaliser des économies de transfèrement. Des indicateurs de taux d’utilisation ont été créés et un mécanisme de récompense ou de sanction financière des juridictions en fonction des résultats obtenus a été instauré, ce qui n’est assurément pas une bonne approche si l’on veut répondre aux attentes des justiciables et promouvoir une justice de qualité ».

Un centre de recherche pour effectuer les bons investissements 

Mais pour mieux préparer la justice aux apports potentiels des nouvelles technologies, les auteurs du rapport en appellent enfin à la création d’un centre de veille et de recherche ministériel (voire interministériel) « sur les technologies de l’avenir ». Et ce « afin de faire des choix éclairés en matière d’investissement ». Et pour cause, le groupe de travail pointe le manque de clairvoyance ayant parfois prévalu au sein des services de la justice en matière d’applications informatiques :

 

« À titre d’exemple, on déplore actuellement l’incommunicabilité entre eux des serveurs informatiques civils. Ce cloisonnement empêche de transmettre électroniquement un dossier d’une juridiction à une autre. Il fait obstacle aux transferts de données et impose de fastidieuses répétitions des tâches de saisie. Un système intégré et communicant est certes à l’étude. Il répond au nom prestigieux de Portalis mais il n’est pas envisagé qu’il puisse être opérationnel avant de longues années. Un délai de dix ans est souvent annoncé comme nécessaire. C’est un handicap majeur pour la qualité de la justice et pour la mise en œuvre d’innovations importantes pour les justiciables, telle le guichet universel de greffe qui permettrait d’introduire une instance devant la juridiction la plus proche de son domicile, à charge pour l’institution judiciaire de l’adresser elle-même à la juridiction compétente. »

Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Des plaidoiries par visio-conférence

Un suivi des dossiers par Internet pour les justiciables

Davantage de possibilités de communiquer par email

Une plateforme de règlement en ligne des litiges

Des informations par SMS pour le jour des audiences

Attention à ne pas se borner à chercher les économies

Un centre de recherche pour effectuer les bons investissements 

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Commentaires (24)


Que de bonnes idées dans l’ensemble, à mon avis, … à mettre en oeuvre de manière intelligente.


La société de service qui va être choisie pour mettre en œuvre tout ça va bien se gaver vu la somme que devrait représenter le contrat final… <img data-src=" />


Converser avec la Hadopi en direct, j’en rêve d’avance.








MichaelCaine a écrit :



Converser avec la Hadopi en direct, j’en rêve d’avance.





Je croyais que le sujet était sur la justice. <img data-src=" />



Judge Dredd power.<img data-src=" />








fred42 a écrit :



Je croyais que le sujet était sur la justice. <img data-src=" />







Petite boutade roh



Un Chorus bis ?



Va falloir amener les glacières alors, l’attente risque de durer encore plus longtemps <img data-src=" />


Va falloir voir les questions de sécurité aussi si l’on transite par le numérique.








MichaelCaine a écrit :



Va falloir voir les questions de sécurité aussi si l’on transite par le numérique.







Génération d’un ID sur 3040 caractères comprenant un peu de tout (chiffres, lettres (maj, min), ponctuation) + un mot de passe dans le même genre, générés au justiciable et à l’affaire, le tout en HTTPS, ça devrait être suffisamment sécurisé niveau usurpation d’identité. Après reste toujours l’attaque du serveur et la récup sur celui-ci d’infos…









gab69110 a écrit :



La société de service qui va être choisie pour mettre en œuvre tout ça va bien se gaver vu la somme que devrait représenter le contrat final… <img data-src=" />







Doit être possible de trouver 2 bonnes vingtaine de techniciens en informatique qui ne sont ni manchot et on un peu de jugeote qui travail déjà pour l’État, autant le faire en interne.( Ou alors sa craint ).





Des plaidoiries par visio-conférence





Ah ? C’est à ce demander pourquoi on ne pouvait pas le faire par téléphone avant… <img data-src=" />








Ricard a écrit :



Judge Dredd power.<img data-src=" />







Erf grilled ! J’ai pensé la même chose cash en voyant le sous-titre !



Le temps que je me réveille pour poster ça trop tard !



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NonMais a écrit :



Génération d’un ID sur 3040 caractères comprenant un peu de tout (chiffres, lettres (maj, min), ponctuation) + un mot de passe dans le même genre, générés au justiciable et à l’affaire, le tout en HTTPS, ça devrait être suffisamment sécurisé niveau usurpation d’identité. Après reste toujours l’attaque du serveur et la récup sur celui-ci d’infos…





HTTPS, pour ce que ça sert….<img data-src=" />









Ricard a écrit :



Judge Dredd power.<img data-src=" />



Plus récent, je pensais plus à The Priest <img data-src=" />



Doublon, désolé








Delqvs a écrit :



Ah ? C’est à se demander pourquoi on ne pouvait pas le faire par téléphone avant… <img data-src=" />







Quote d’orthographe, j’ai les yeux qui saignent..



Grrr 3 postes pour dire si peu, je suis pas en forme aujoud’hui <img data-src=" />



Etant dans le milieu et ayant lu ce rapport la semaine dernière je serai ravi s’ils ne faisaient que la moitié des préconisations du rapport tant le travail reste archaïque en juridictions.



Le rapport sur les juridictions du 21ème siècle qui doit bientôt sortir sera d’ailleurs sans doute intéressant à étudier également.


Serait-t-il possible d’éviter de forcer la couleur de texte en noir ? Quand on est avec le skin noir, c’est difficilement lisible ^^‘… Merci à l’équipe.








Delqvs a écrit :



Quote d’orthographe, j’ai les yeux qui saignent..



Grrr 3 postes pour dire si peu, je suis pas en forme aujoud’hui <img data-src=" />





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Snark a écrit :



Serait-t-il possible d’éviter de forcer la couleur de texte en noir ? Quand on est avec le skin noir, c’est difficilement lisible ^^‘… Merci à l’équipe.





Carrément…<img data-src=" />





Autrement dit, il s’agit d’offrir aux citoyens souhaitant effectuer ces démarches par email la possibilité de le faire





L’ennui, c’est que l’email utilise un protocole assez obsolète qui n’assure pas que le destinataire a bien reçu sa correspondance. Et de fait, il arrive plus souvent qu’on ne pense qu’un email se perde en chemin.



Bref, le système n’a pas été conçu pour assurer le niveau de fiabilité pour faire des choses aussi importantes.


Dans l’ensemble ce sont de bonnes idées <img data-src=" />



Reste à voir ce que l’exécutif en fera <img data-src=" />


Mon Dieu, après 25 ans ils commencent à se dire qu’utiliser les nouvelles technologies pourrait être utile ? Putain mais c’est des génies les gars….



(attention hein, que celles qui ont pas grand intérêt et n’empiètent pas sur les rentes/rackets de leurs petits camarades des éditions judiciaires hein…..faut pas pousser).



Non parce que bon, depuis le temps devrait y avoir un ordi par juge/magistrat dans toutes les cours de Justice, juste sur l’intranet, avec accès à toutes les jurisprudences/arrêts de France (histoire qu’ils puissent vérifier que les avocats leurs montent pas des bobards/qu’ils comprennent bien ce que ça dit….), ET une version type “wiki” avec révision des codes Civils/Pénaux/du Travail…. pour que ce soit lisible et compréhensible et applicable.



Mais ça ça supprimerait les millions engrandés par les éditeurs, et surtout, comme pour nos Lois, ça prouverait que 90% n’ont plus aucun sens avec les trouzaines de lois/articles/amendements modificatifs, et qu’il est temps de tout refondre. :)





Non sérieusement vous imaginez ce que ça permettrait un accès simple/facile/exhaustif à tous les arrêts/jugements/articles de Lois, sans avoir à se palucher 350 sous articles et modifications pour comprendre et avoir le texte final, le tout avec des index, un moteur de recherche par mots clés et tout le toutim ?


J’y pensais il y a quelques mois, qu’il y avait quand meme un gros potentiel pour la creation d’un systeme de verification des procedures automatique a 90%



Ca permettrait de faciliter le travail du juge, qui aurait une information sur la forme avant meme d’ouvrir les debats, et par exemple permettre une rectification avant que ca soit trop tard, et donc faire perdre des annees sur une procedure qui est vouee a l’echec en cassation.



M’enfin, un tel outil, ca mettrait facilement 85% des procedures en “rouge” et ca pourrait etre un veritable bordel.



Et puis, faut aussi laisser les erreurs de procedures pour que les plus riches puissent toujours s’en sortir avec un bon avocat <img data-src=" />