Création d’une plateforme de règlement en ligne des litiges, permettre aux justiciables de suivre leurs dossiers sur Internet, ouverture de possibilités d’échanger par email avec les services judicaires,... Voici quelques-unes des propositions faites dans un rapport sur « Le juge du 21ème siècle », commandé par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, et qui vient d'être rendu public.
Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation, a remis la semaine dernière à la Garde des Sceaux les conclusions du groupe de travail sur « Le juge du 21ème siècle » (PDF), qu’il présidait depuis le mois de février. D’entrée, ce rapport affirme qu’il est aujourd’hui « inenvisageable de réfléchir à l’office du juge au XXIème siècle sans aborder l’incidence des nouvelles technologies sur l’évolution de ses missions et de ses méthodes de travail ». Ainsi, parmi les trois gros piliers autour desquels sont organisées ces conclusions, l’un a tout particulièrement trait aux nouvelles technologies : il s’agit du volet « Adapter le débat judiciaire à notre temps », qui comporte une dizaine de recommandations concrètes.
Des plaidoiries par visio-conférence
En l’occurrence, le groupe de travail fait principalement référence aux outils de visio-conférence. Il est ainsi préconisé que les avocats soient autorisés à plaider par visioconférence dans les affaires civiles, et ce sans avoir l’obligation de se trouver dans une salle d’audience ouverte au public - contrairement à aujourd’hui. L’article L111-12 du code de l’organisation judiciaire, qui organise actuellement cette possibilité, est ainsi jugé trop restrictif.
Le rapport Delmas-Goyon considère que les avocats pourraient plaider leurs dossiers depuis « les locaux dont disposent les ordres dans les palais de justice ou dans les maisons de l’avocat que possèdent de nombreux barreaux à proximité des tribunaux ». Aux yeux des membres du groupe de travail, les avocats n’auront par conséquent plus à se préoccuper de la disponibilité d’une salle. L’utilisation de la visio-conférence en deviendra selon eux « grandement facilitée ».
Un suivi des dossiers par Internet pour les justiciables
La deuxième recommandation concerne cette fois les particuliers, puisqu’il s’agit de « donner aux justiciables la possibilité d’accéder, par une liaison internet personnalisée, au suivi des procédures qui les concernent ». Aujourd’hui, la justice enregistre informatiquement les « événements », c’est-à-dire les différentes étapes relatives à un dossier. Ce récapitulatif peut être consulté par les fonctionnaires (greffiers, magistrats...), voire éventuellement par les avocats - qui disposent d’un réseau indépendant. Mais pas par les justiciables.
Le groupe de travail en appelle donc à la mise en place d’une interface « permettant une consultation d’accès libre sur internet ». Cet accès ne serait permis que « sur renseignement d’un code d’accès qui sera délivré au justiciable lorsque son nom sera enregistré dans la procédure ». D’un point de vue informatique, le rapport Delmas-Goyon prône un dispositif dans lequel l’internaute/justiciable « consultera des données téléchargées quotidiennement sur un serveur distinct » et dont « l’architecture mise en œuvre interdira toute possibilité pour l’utilisateur d’accéder au serveur principal ».
« Il ne s’agit là que d’une mise en œuvre très banale des techniques informatiques, couramment utilisée dans d’autres pays (notamment aux États-Unis et au Brésil) » observe à cet égard le groupe de travail, laissant entendre que ceci aurait pu être mis en place en France il y a bien longtemps...
Davantage de possibilités de communiquer par email
Autre recommandation, qui concerne encore une fois les particuliers : « Dans toutes les matières où les justiciables peuvent saisir en personne la justice par requête ou par déclaration au greffe [c’est notamment le cas pour les saisines des tribunaux d’instance ou de grande instance, ndlr], ils devront pouvoir transmettre cet acte introductif d’instance par voie électronique » prône le rapport Delmas-Goyon. Autrement dit, il s’agit d’offrir aux citoyens souhaitant effectuer ces démarches par email la possibilité de le faire. Des formulaires adaptés pourraient ainsi être mis en ligne par le ministère de la Justice, et « une assistance technique pourra être fournie à ceux qui le souhaitent dans les maisons de justice et du droit ».
Dans le même filon, le rapport Delmas-Goyon juge que les pouvoirs publics devraient « permettre aux parties qui le souhaitent de recevoir avis et notifications procéduraux par voie électronique ». En clair, par courriel. L’idée n’est encore une fois pas de généraliser une telle option, mais simplement de la proposer... Concrètement, une partie pourrait donner sur ce principe à la juridiction saisie d’un litige la concernant son adresse email, « en précisant qu’elle souhaite que tous avis et notifications lui soient désormais uniquement adressés par cette voie ». À la clé : une réduction des temps d’attente pour les justiciables concernés, mais aussi des économies liés aux frais postaux.
Une plateforme de règlement en ligne des litiges
L’une des propositions phare du rapport Delmas-Goyon est d’en appeler à la mise en place d’une « plateforme de règlement en ligne des litiges répondant à l’objectif de favoriser (...) la résolution amiable des conflits ». En 2001, le « Forum des droits sur l’internet » avait été crée, afin de permettre un règlement en ligne des litiges nés de l’usage du Net. Cette plateforme, gratuite pour les justiciables, permettait à ces derniers d’obtenir une information juridique avant de saisir la justice en bonne et due forme. Sauf que le fameux forum a fermé ses portes en décembre 2010. « Cet arrêt est regrettable car l’efficacité de la plateforme était reconnue, près de 6 800 cas ayant été traités avec un taux de règlement amiable de 88 % » note à cet égard le rapport.
Le groupe de travail estime ainsi qu’il convient de reprendre cette « excellente expérience » et de l’étendre à d’autres domaines de litiges. Selon les rapporteurs, les autorités y seraient d'ailleurs grandement invitées en raison de récentes dispositions adoptées en mai dernier au niveau européen. « L’occasion est ainsi donnée de mettre en œuvre un ambitieux projet qui, au-delà même du champ d’application de la directive européenne [2013/11/UE du 21 mai 2013, relative au règlement extra-judiciaire des litiges de consommation], réponde à l’objectif de favoriser par le recours aux nouvelles technologies numériques la résolution amiable de conflits ».
Des informations par SMS pour le jour des audiences
« L’attente à l’audience est une cause constante d’insatisfaction, tant pour les justiciables que pour les avocats » expliquent les membres du groupe de travail. Et pour cause : « il est encore habituel que l’attente dure plusieurs heures, sans que l’institution ne dispense les informations nécessaires pour donner du sens à cette attente ». Pour éviter que les gens ne patientent pour rien, le rapport préconise la création d’un outil permettant de gérer électroniquement les audiences. En vertu de ce dispositif, les avocats et les justiciables pourraient être avertis par SMS de l’heure à laquelle ils ont besoin de se présenter, par exemple une demi-heure avant leur passage devant le juge. Voici comment pourrait fonctionner ce dispositif :
« Il suffit que le greffier dispose d’un rôle informatique tenu à jour au fur et à mesure du déroulement de l’audience. L’ordre de passage des affaires retenues y sera indiqué et les avocats, qui pourront consulter à distance ce rôle d’audience électronique, auront ainsi une base d’appréciation fiable du délai prévisible d’évocation de leur dossier. La performance du système sera grandement améliorée si, lors de l’appel des causes, est précisée la durée prévisible de chaque affaire. Le système pourra en outre envoyer, tant aux avocats qu’aux justiciables, un message type SMS les avisant une demi-heure à l’avance de l’heure prévue pour l’appel de leur dossier. Chacun pourra ainsi occuper utilement son temps et l’institution judiciaire manifestera la considération qu’elle a pour ceux qui sont tenus de se présenter à ses audiences. »
Attention à ne pas se borner à chercher les économies
En conclusion, le groupe de travail retient que « l’usage des nouvelles technologies doit être encouragé et facilité chaque fois qu’il apparaît conforme aux exigences d’une justice de qualité, sans qu’il y ait lieu de craindre une contagion qui conduirait à l’utiliser ensuite dans d’autres situations plus discutables. Pour ces dernières, il revient à la pratique de dégager progressivement, au fur et à mesure de l’expérience acquise et des progrès de la technique, les points d’équilibre compatibles avec l’exercice d’une bonne justice ». En l’occurrence, le rapport Delmas-Goyon affirme que la justice ne doit pas inciter à une utilisation généralisée des nouvelles technologies « à seule fin de réduire les coûts ».
La révision générale des politiques publiques, la « RGPP », en prend d'ailleurs ici pour son grade, puisque son rôle est jugé de ce point de vue comme « très néfaste » : « Elle ne s’est intéressée à la visioconférence que pour l’audition des détenus en matière pénale, espérant ainsi réaliser des économies de transfèrement. Des indicateurs de taux d’utilisation ont été créés et un mécanisme de récompense ou de sanction financière des juridictions en fonction des résultats obtenus a été instauré, ce qui n’est assurément pas une bonne approche si l’on veut répondre aux attentes des justiciables et promouvoir une justice de qualité ».
Un centre de recherche pour effectuer les bons investissements
Mais pour mieux préparer la justice aux apports potentiels des nouvelles technologies, les auteurs du rapport en appellent enfin à la création d’un centre de veille et de recherche ministériel (voire interministériel) « sur les technologies de l’avenir ». Et ce « afin de faire des choix éclairés en matière d’investissement ». Et pour cause, le groupe de travail pointe le manque de clairvoyance ayant parfois prévalu au sein des services de la justice en matière d’applications informatiques :
« À titre d’exemple, on déplore actuellement l’incommunicabilité entre eux des serveurs informatiques civils. Ce cloisonnement empêche de transmettre électroniquement un dossier d’une juridiction à une autre. Il fait obstacle aux transferts de données et impose de fastidieuses répétitions des tâches de saisie. Un système intégré et communicant est certes à l’étude. Il répond au nom prestigieux de Portalis mais il n’est pas envisagé qu’il puisse être opérationnel avant de longues années. Un délai de dix ans est souvent annoncé comme nécessaire. C’est un handicap majeur pour la qualité de la justice et pour la mise en œuvre d’innovations importantes pour les justiciables, telle le guichet universel de greffe qui permettrait d’introduire une instance devant la juridiction la plus proche de son domicile, à charge pour l’institution judiciaire de l’adresser elle-même à la juridiction compétente. »