Le décret « Sunshine » du 22 mai 2013 tend à lutter contre les conflits d’intérêts entre les laboratoires pharmaceutiques et les professionnels de santé qui seraient un peu trop arrosés de cadeaux en tout genre. Selon nos informations, le site unique synthétisant ces flux sera mis en ligne au printemps. Un texte préparant cette étape devrait être diffusé dans les prochains jours. Mais Google & co seront interdits de référencer son contenu.
Le décret « Sunshine » est consécutif à la loi Bertrand du 29 décembre 2011 sur la sécurité du médicament et des produits de santé. Il oblige la diffusion des avantages versés par les labos à ces professionnels en blouse blanche. Tous les « cadeaux » supérieurs à 10 euros doivent ainsi être listés sur un « site internet public ».
Cependant, le décret en question a oublié d’imposer un calendrier pour assurer cette diffusion par ce site unique. Entre temps, il a demandé à chaque laboratoire de décrire ces liens d’intérêts dans une page quelconque de leur site internet. En clair, le patient en mal de transparence doit ainsi connaître d’abord le nom du labo, l’adresse de cette page, puis ensuite fouiller ces longs PDF pour découvrir ces drôles de liens.
Selon nos informations, cependant, lors d’une réunion organisée hier à la Direction Générale de la Santé, il a été précisé que le texte encadrant ce site unique sera publié ces prochains jours, peut être entre Noël et Jour de l’An. Sa mise en ligne pourrait alors être orchestrée au printemps 2014. Le dispositif soulève cependant nombre de questions pratiques, touchant notamment aux protocoles de diffusion des données poussées par les laboratoires afin de faciliter leur traitement sur ce fameux site unique.
Les moteurs ne peuvent référencer ces liens
Rappelons que le décret en question a imposé un autre verrouillage. Les informations des laboratoires ou de ce futur site unique ne peuvent être référencées par les moteurs de recherche. Une contrainte réclamée par la CNIL qui a demandé que « les responsables de traitement qui procèdent à la mise en ligne des données à caractère personnel [soient] tenus de mettre en place des mesures visant à empêcher les moteurs de recherche externes de procéder à une indexation des données directement identifiantes ».
La Commission a suggéré le levier du fichier « robots.txt », le protocole d’exclusion des moteurs qui permet d’exiger aux moteurs de ne pas référencer telle ou telle page d’un site. Elle a encore proposé que l’accès à chaque fiche soit verrouillé par un captcha. Le tout est inspiré par un souci d’équilibre entre le respect de la vie privée de chaque médecin et l’exigence de transparence au profit des patients.
Un travail de compilation difficile voire impossible
D’ores et déjà, plusieurs labos diffusent ces liens d’intérêt comme on peut le voir ici, où pullulent les repas, boissons, frais d’inscription, vols, hôtels et autres cadeaux offerts à des professionnels de santé. On pourra également voir cette liste ou celle-ci, en fait des images-scans mises en PDF. « Autant dire que le travail que nous souhaitons faire pour analyser, à l'échelle de la filière, de ce que ces cadeaux et contrats représentent est vraiment très compliqué ! » regrette Tangui Morlier, de l’initiative Regards Citoyens. « De même, les noms ne sont pas toujours classés par ordre alphabétique, le patient ne peut que difficilement retrouver son médecin dans la liste. »
L’intéressé nous signale d’ailleurs que la CNIL a récemment autorisé dans une délibération tous les labos à rediffuser sans trop de conditions les informations à caractère personnel du registre des médecins (le RPPS). Conséquence ? Selon Regards Citoyens, des entreprises vont pouvoir vendre plus facilement aux labos le fichier des médecins. « D'un coté, merci la CNIL, les citoyens ne peuvent pas savoir combien les labos dépensent en cadeaux aux médecins et de l'autre, pas de problème pour la commission à ce que des données à caractère personnel soient vendus aux labos ».
Cette délibération appuie en fait un arrêté qui « octroie un accès limité au répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) pour les industriels des produits de santé et des cosmétiques afin de leur permettre de se conformer aux obligations découlant du décret sur le "Sunshine Act à la française" » rappelait pour sa part l’agence de presse médicale APM. L'enjeu est d'avoir des données Sunshine à jour du côté des labos. Mais le revers de la médaille est que ceux-ci se voient apporter sur un plateau de précieux listing.
La gardienne des données personnelles cite en tout cas une de ses délibérations où elle expliciterait ce choix, mais elle se garde bien de la diffuser. « Nous leur avons donc demandé communication, sans succès et venons donc de solliciter la CADA » nous confie Regards Citoyens.
Précisons enfin que l'association Formindep, favorable à la transparence, a attaqué devant le Conseil d'Etat le décret Sunshine. Elle repproche notamment à ce texte administratif de ne pas avoir respecté la loi Bertrand. En effet, il exclut de l'obligation de transparence les liens d'intérêts résultant d'un contrat soumis à facturation (achats de biens, ou prestation de services) entre labo et professionnels de santé.