#PLPM et article 13 : Tribune du député socialiste Christian Paul

Pas de liberté sans libertés numériques

PC Inpact diffuse une tribune du député socialiste Christian Paul relative au Projet de loi de Programmation militaire. Contacté par téléphone, celui-ci refuse de se joindre aux parlementaires UMP pour co-saisir le Conseil constitutionnel. « Je ne me vois pas signer avec des gens qui ont piétiné les libertés numériques pendant 10 ans ». Alors que l’ensemble des députés PS ont voté le projet de loi en question, Christian Paul ne veut pas prendre de risque : « Si le Conseil constitutionnel valide l’interprétation selon laquelle le texte veut encadrer exclusivement la géolocalisation et les fadettes, on fait quoi ? ». Plutôt que transgresser les limites du groupe, il sollicite une mise à niveau des connaissances sur les questions soulevées par cette thématique.

christian paul

 

PAS DE LIBERTÉ SANS LIBERTÉS NUMÉRIQUES

Christian Paul, député de la Nièvre

 

L’enfer numérique est pavé de bonnes intentions. Le Parlement ne doit pas l’oublier, qui vient d’achever l'examen de la Loi de Programmation Militaire. Ce texte important contient à la fois des décisions programmatiques organisant l'armée de demain, et d'autres plus normatives, actualisant par exemple le cadre juridique du renseignement. Disons-le d’emblée : ceux qui n’ont pas voté cette loi ne l’ont pas fait à cause de son article 13 (mais parce qu’ils veulent davantage de dépenses militaires). Et ceux qui l’ont adoptée souhaitèrent d’abord valider des orientations qui engagent la politique militaire de la France.

 

Initialement, le texte concernait peu les libertés numériques. Ce sujet n'a fait irruption dans le débat public qu'après un remaniement en profondeur de son article 13 (devenu 20 dans la loi définitive). Les sénateurs ont souhaité aller au-delà de la seule question de l'accès aux données de localisation et ont proposé, en collaboration avec le Gouvernement, une nouvelle rédaction dont l'ambition est de mieux encadrer l'accès à toutes les données techniques. Fallait-il qu’un article voulant réglementer des activités de renseignement aussi sensibles soit introduit par voie d’amendement, sans consultations préalables, sans débat éclairé? A la réflexion, probablement pas. Nous avons suffisamment dénoncé les improvisations et les approximations de la droite quand elle gouvernait, pour ne pas préférer la méthode de l’incubation pour de tels sujets.

 

Il est très significatif de lire le blog de Jean-Marc Manach, que l'on ne soupçonnera pas aisément de complaisance envers les promoteurs de la «société de surveillance», exposer sa difficulté à se faire une idée sur ce texte. Elle réside d’abord dans la rédaction elle-même. Je ne suspecte pas Jean-Pierre Sueur, parlementaire sage et responsable, d’autre intention que de border sérieusement une part des activités de renseignement qui exigent des données de connexion, au sens strict, les « fadettes » ou la géolocalisation. Mais la rédaction actuelle de l’article 13 prête le flanc à une interprétation beaucoup plus large. Sans surprise, toutes les peurs s’y engouffrent.

 

La situation était bien différente sur la loi relative à la prostitution, par exemple. Le filtrage envisagé était inefficace, et décidé sans le juge. Nous avons, avec Patrick Bloche, relayé des arguments de principe, et une vision équilibrée a prévalu. Avec la loi de programmation militaire, la situation est différente, et plus complexe. J’entends ce que l'on peut lire de la part de certains des défenseurs les plus déterminés des libertés numériques – pour beaucoup des compagnons de route, ou de quinze ans de mes propres combats. Mais quand dans le «Canard enchaîné» ou «Le Monde», d’autres saluent au contraire les avancées qu'apporterait cette nouvelle rédaction, il est encore plus permis de chercher à comprendre.

 

Dans ce débat, personne dans la majorité n'a donc souhaité que les forces de l'ordre aient un accès plus large à nos «vies numériques».

 

Je ne prête pas plus d'intentions malignes à l’ASIC ; c'est aussi Dailymotion, Deezer, Exalead ou encore Skyrock, sociétés bien françaises. Jérémie Zimmermann, Philippe Aigrain et les militants de la «Quadrature du Net» ne sont pas plus des agents de Google. Ne nous en prenons pas aux lanceurs d'alerte, ils sont précieux.

 

Regrettons en revanche, et beaucoup en conviennent, que cette alerte ait été si tardive. Le temps nécessaire à l’articulation de la mobilisation citoyenne et du travail parlementaire nous a manqué.

 

Si les débats sur la loi de programmation militaire sont terminés, ceux sur les libertés numériques ne font que commencer dans ce quinquennat. Il se poursuivra probablement devant le Conseil constitutionnel. L'issue me semble douteuse. Que dirait-on si le Conseil validait la loi ?

 

Je souhaite plutôt prendre deux rendez-vous. D'une part, l'examen du projet de loi sur le renseignement, viendra début 2014. Le ministre de la Défense a indiqué lors des débats au Sénat qu'il pourrait être l'occasion d'ajustements, d’autant que ces mesures ne sont applicables… qu’en 2015. Saisissons cette première opportunité. Un texte qui inquiète autant le monde du numérique ne peut rester en l'état. D'autre part, une loi sur les libertés numériques devient urgente. Nous avons constamment défendu depuis plus de dix ans, avec toute la gauche, une vision progressiste de la société de l'information et de la neutralité du net. Nous n'avons pas changé d'avis. Le Gouvernement ne doit plus tarder à ouvrir ce chantier essentiel. Engageons-nous y résolument dès à présent.

 

Il nous faut maintenant additionner les forces de tous ceux qui veulent renforcer le contrôle sur les moyens de surveillance et actualiser… notre logiciel.

 

Des événements majeurs se sont en effet déroulés ces dernières années. L'affaire Snowden a justement suscité l'émoi dans le monde entier. La perspective d'une atteinte généralisée à nos vies privées nous a, à juste titre, indigné et a instillé un peu plus le poison de la défiance envers tous les pouvoirs. Quelques années plus tôt, nous dénoncions le rôle joué par la société Amesys en Libye. Des technologies françaises d'écoute ont été mises, sans scrupules, à la disposition de dictateurs. De manière plus générale, l'accroissement très rapide des capacités de stockage et d'analyse, comparativement à la vitesse des transmissions, a rendu possibles des fouilles massives de données, à l'échelle d'un pays ou même au-delà. Par des États, mais aussi par des acteurs privés. Le politique, souvent à la traîne de la société numérisée, doit prendre toute la mesure de cette évolution et éclairer l'avenir.

 

L'enjeu est considérable. Les libertés numériques sont à notre temps ce que représentaient, pour les fondateurs de la République, les droits politique chèrement arrachés à l’arbitraire et au despotisme. Si nous ne sommes pas vigilants, le risque de dériver vers une société de surveillance, est réel. Nous ne serons fidèles à nous-mêmes qu'en accordant aux libertés numériques une large protection par notre constitution et par nos lois.

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