Plongée dans les flux et reflux des sociétés de gestion

Introduction

Cette semaine, nous nous sommes rendus à la Cour des comptes : la Commission de contrôles des SPRD (les sociétés de perception et de répartitions des droits) y a présenté son rapport 2010. Ce rapport concentre le fruit de ses enquêtes dans le petit monde feutré des droits des auteurs, des artistes-interprètes et des producteurs. 

Le document est technique : il présente l’analyse des flux financiers et des prestations entre les diverses sociétés de gestion collective et les rémunérations (ou frais) qui s’y attachent. 

Ces analyses sont importantes : entre les sommes qui entrent dans les SPRD et celles qui arrivent dans les poches des artistes, il y a des ponctions. Et plus les frais d’intermédiation sont importants, moins grande est la part du gâteau réservée à l’artiste. C’est mécanique. 

 

Cour des comptes


La mission de la Commission de contrôle est de se plonger dans les dédales de ces 26 SPRD. Un secteur qui perçoit chaque année 1,2 milliard d’euros par an et dont les sommes disponibles sont supérieures… à 3 milliards d’euros. « Il fallait des motifs très puissants pour qu’un examen public fût institué sur des sociétés privées régies par le Code civil » note Bernard Menasseyre, le président de la commission. 

Ces sociétés butinent en effet des sommes prélevées au titre de la gestion collective, de la copie privée, etc. dans un secteur où la concurrence est fantomatique. De plus, ces flux sont en liaison avec la politique culturelle française. 

Le pouvoir de la CPC est à la fois grand (possibilité de faire des contrôles sur place) et limité puisque la Commission émet de simples recommandations. Elle ne dit pas « le droit » mais ses rapports publics sont d’excellents moyens pour mettre devant leur responsabilité les acteurs en place, notamment le ministère de la Culture. 

Un exemple ? La Rue de Valois avait été saisie dès 2006 par la CPC sur l’interprétation de l’article 321-9 du Code de la propriété intellectuelle. Un article qui encadre plus ou moins bien l’affectation des sommes prélevées par les sociétés de gestion. Christian Phéline, rapporteur général, conseiller maître à la Cour des comptes : « le ministère de la Culture est chargé par le législateur du contrôle de légalité des statuts des sociétés de gestion collective. C’est à ce titre que la Commission permanente, au vu des pratiques divergentes en matière d’imputation au budget d’action artistique et culturelle, des frais de gestion des aides ou des produits financiers, l’avait, dans son rapport annuel 2006, saisi afin qu’il propose une interprétation harmonisée de la portée à cet égard de l’obligation définie à l’article L. 321-9 du code. À ce jour, cette interprétation n’a pas été produite. » 

La CPC ne peut donc que recommander, mais comme on le voit ci-dessus ses petites remarques ont la saveur d’une goutte d’acide sur la peau. Il suffit de prendre le temps de lire son rapport de près de 330 pages. 

Christian Phéline donnera trois caractéristiques pour résumer la situation.

Un schéma complexe

Un schéma complexe 

Une des premières caractéristiques du système français est l’imbrication des sociétés entre elles. Chaque SPRD a des parts dans les autres SPRD. Un système de poupées russes qui évidemment, lorsque les imbrications se démultiplient, donne ceci : 

SPRD cour des comptes commission controle

Ou avec un tableau plus synthétique… 

SPRD cour des comptes commission controle

Depuis 1985, on note « une démultiplication de sociétés spécialisées à la fois par types de droits et par types de bénéficiaires [qui] se combine avec divers modes de mutualisation de moyens entre ces organismes. Il en résulte une grande complexité du système de participations capitalistiques et de mandats de gestion aujourd’hui en place ». 

Ces 26 SPRD ont rapidement recherché une mutualisation des moyens, une société de répartition confiant des services de collecte à une autre société de répartition. Mais si cette optimisation est de bon augure, les chiffres font tourner la tête. Pour la seule année 2009, 1 200 millions d’euros ont été perçus. Sur ce total, 500 millions d’euros n'ont pas été collectés non par les sociétés chargées de leur distribution finale à leurs ayants droit, mais par une ou plusieurs autres sociétés. 

Et sur ce demi-milliard, 415 millions d’euros ont été perçus par les seuls services de la SACEM (en plus des ressources qu’elle collectait directement pour ses propres ayants droit). Au passage, la CPC note que les services de la SACEM s’occupent « de tâches de collecte réalisée pour des sociétés intermédiaires dont les moyens propres sont nuls (la SDRM, la SORECOP, COPIE France) ou limités (la SPRé) ». 

Des imbrications qui démultiplient les frais 

La deuxième caractéristique : ce réseau de sociétés imbriquées est particulièrement complexe avec des participations croisées et des mandats de gestion en cascade. Selon les cas, la « filière de gestion de certains droits peut comporter jusqu’à six sociétés différentes, depuis la collecte de la ressource assurée par les services de la SACEM jusqu’à chacune des sociétés d’ayants droit assurant sa répartition finale ».

Et à chaque niveau, la société intermédiaire prélève une part financière sur les flux pour couvrir ses frais de gestion parfois coûteux. En bout de chaîne, on retrouve le « primo » ayant droit, l’auteur qui doit se contenter du reliquat et accepter ce règne de la soustraction. 

Le rôle central de la SACEM 

Dans cet imbroglio, le rôle central joué par le groupe SACEM-SDRM est souligné par la Commission de contrôle. Et puisque la SACEM est au cœur de ce dispositif, les autres ayants droit sont tributaires de la politique interne de cette société.

Ainsi en matière de copie privée : « la SACEM contrôle 69,5 % de la SDRM qui est à son tour le principal détenteur de parts dans la SORECOP comme dans COPIE France [NDLR : les deux organismes chargés de la récolte de copie privée]. Sans moyens propres, ces diverses sociétés sont dirigées par des personnes placées sous l’autorité hiérarchique de la SACEM ». 

Les recommandations de la CPC

Les recommandations de la CPC

Face à ce tableau clair-obscur, la Commission permanente a adressé cette année plusieurs recommandations aux SPRD, recommandations dont elle suivra les effets dans ses prochains rapports. 

Expliquer les liens des sociétés imbriquées 

D’abord, elle demande qu’un document détaille exactement « les conditions dans lesquelles s’effectuent et sont pris en charge toute prestation de services et tout partage de moyens entre sociétés de gestion collective ». L’objectif ? Savoir qui dans l’imbrication de sociétés fait quoi et pourquoi. 

« Ces accords intersociétés devraient, d’une façon exhaustive, préciser les tâches faisant l’objet de cette délégation ou du partage de moyens, leurs conditions et délais d’exécution, le calendrier et les clés de répartition des versements de droits, les taux, les modes de calcul et de facturation, et les délais de règlement des imputations de charges de gestion s’y attachant, leurs justifications économiques, les clauses éventuelles et critères de variabilité, les obligations d’information à l’égard de la société destinataire, qu’elles portent sur la prestation et ses coûts ou qu’elles soient utiles aux opérations ultérieures de répartition ». En clair : de la transparence à tous les étages de la collecte et de la perception. 

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Rendre vérifiable la justification économique des rémunérations pour service rendu 

La Commission permanente recommande aussi « de réviser, en tant que de besoin, les barèmes et les modes de calcul de toute imputation de charges de gestion afin qu’ils reflètent d’une manière vérifiable pour la société payeuse la réalité des frais exposés et une juste répercussion dans le temps des gains éventuels de productivité ». 

Facturer les frais imputés et les enregistrer dans les comptes de chacune des sociétés 

Dans la constellation de SPRD imbriquées, la Commission de contrôle juge en outre qu’il serait très utile que les SPRD facturent aux autres SPRD les frais imputés. Et que ces frais facturés soient enregistrés en clair dans les comptes du mandant comme du mandataire, de manière à rendre contrôlables les différentes ponctions faites dans l’intérêt des artistes. 

Actuellement, ce n’est pas tout à fait le cas : les SPRD préfèrent pratiquer un prélèvement à la source. 

Revenons par exemple sur les 500 millions d’euros collectés par d’autres sociétés que celles qui vont procéder à leur répartition, dont 400 millions gérés par la SACEM. Quand une société (mandataire) est chargée de récolter des sommes pour une autre société (mandant 1), qui elle-même travaille pour une autre société (mandant 2) et qui elle aussi œuvre pour une autre société (mandant 3), etc. chaque strate va ponctionner des frais. Et ces prélèvements sont faits à la source, avant que la somme ne soit reversée. Résultat ? En bout de course, l’artiste n’a aucune visibilité et ne sait pas combien ont été prélevées par ces différentes intermédiaires. Ni pourquoi.

La CPC demande ainsi une « facturation précisant les montants concernés, leur base juridique et leur mode de calcul et d'inscrire dans les comptes de chacune des sociétés partenaires les versements des droits à leur valeur brute, d'une part, et un flux de sens inverse représentant les charges facturées ou refacturées, d'autre part ». Sans cela, impossible d’y voir clair. 

Expliciter le cumul des frais de gestion en cascade 

La CPC demande enfin que soit explicité « systématiquement le cumul des frais de gestion prélevés « en cascade » ».

Remarque de Christian Phéline : « ces mesures assureraient également que les ayants droit, destinataires finaux des répartitions de la gestion collective, soient mieux informés de l’incidence de ses modes de fonctionnement et puissent en évaluer en toute objectivité les coûts globaux, les performances et les voies éventuelles d’amélioration ». 

Car ces phénomènes de cascade ont une performance financière à couper le souffle. Dans une critique presque feutrée, la CPC « juge difficilement admissible que, dans certains cas, le cumul des prélèvements pour frais de gestion puisse avoisiner la moitié du montant des perceptions primaires » !

Les réticences des SPRD

Les réticences des SPRD

Cour des comptesSur ce terrain, la réponse de la SACEM est niet : « Cette recommandation comporte plus d’inconvénients que d’avantages. Cela entraînerait des modifications profondes des systèmes d’information des SPRD qui génèreraient des coûts peu en rapport avec le résultat attendu, d’autant que cette règle ne s’appliquerait pas aux échanges avec les SPRD étrangères qui appliquent toutes le modèle de prélèvement. Au total, l’efficience de la mesure serait donc négative : un coût élevé pour un avantage incertain ».

Du côté de Copie France et de la SORECOP, lesquelles sont en charge de la récolte des fruits de la rémunération pour copie privée, même son de cloche : mettre en place un système de facturation « comporte plus d’inconvénients que d’avantages et contraindrait à des modifications profondes des systèmes d’information des SPRD générant des coûts peu en rapport avec le résultat attendu ».

Et sur le fait de mentionner le nom de toutes les SPRD intervenants en cascade pour un flux financier, c’est encore non : « cette recommandation nous semble difficile à mette en oeuvre et augmenterait sensiblement les coûts de gestion supportés par les ayants droit en obligeant à mettre en place des écritures comptables complexes, reconstituées a posteriori et qui ne seraient plus le reflet exact des facturations ».

(Nous reviendrons prochainement sur les détails de ce rapport de 330 pages.) 

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